"Cela fait deux semaines que je n'ai pas pu accéder au blé que j'ai semé mi-novembre"
, affirme à l'AFP Ahmed al-Amine, 43 ans, depuis sa ferme à 20 kilomètres au nord de Wad Madani, chef-lieu d'al-Jazira.
Le 15 avril, une guerre pour le pouvoir éclate entre l'armée soudanaise, dirigée par le général Abdel Fattah al-Burhane, et les Forces de soutien rapide (FSR) du général Mohamed Hamdane Daglo.
Epargné par les violences, l'Etat agricole d'al-Jazira, bordant le sud de la capitale soudanaise Khartoum, était devenu un sanctuaire humanitaire pour un demi-million de personnes, d'après l'ONU.
Mais depuis quelques mois, les paramilitaires des FSR, qui contrôlent la majorité de la capitale, ont avancé le long de l'autoroute qui relie Khartoum à Wad Madani.
Quand, mi-décembre, leurs tanks se sont amassés autour de la ville et que la bataille pour Wad Madani a commencé, des centaines de milliers de personnes ont pris la fuite.
Tout au long de leur implacable descente vers le sud, les redoutés FSR ont pillé village après village et terrorisé leurs habitants forcés d'abandonner leurs champs.
Mais sans eau et sans engrais, les céréales de M. Amine ne peuvent pas survivre, se désole-t-il.
"Catastrophe alimentaire"
Sa ferme se situe au coeur de la région fertile d'al-Jazira, une source essentielle de nourriture pour le Soudan et où les autorités ont annoncé vouloir planter 600.000 hectares de blé en octobre pour lutter contre la faim.
L'ONU a alerté qu'en l'absence de récoltes satisfaisantes et avec 5.8 millions de déplacés internes, "
une catastrophe alimentaire"
menace de s'abattre sur des pans entiers du Soudan, qui importe la majeure partie de ses besoins en nourriture.
Dix-huit millions de Soudanais souffrent d'ores et déjà d'une faim aiguë, dont cinq millions sont en situation "
selon le Programme alimentaire mondial (PAM).
"A moins que, par magie, la paix ne revienne au Soudan, la famine est inévitable"
, assure à l'AFP William Carter, du Norwegian Refugee Council (NRC) au Soudan. Ajoutant ainsi:
Les frappes aériennes et les combats urbains tuent, mais ce ne sont pas les seuls (facteurs de mortalité).
Dimanche, le système d'alerte précoce de la famine de l'Agence américaine pour le développement, USAID, a fait état d'une "menace sérieuse" concernant
"la disponibilité alimentaire au niveau national"
à cause des combats dans le centre et l'est du Soudan.
La guerre qui a plongé le Soudan dans le chaos et l'urgence humanitaire, a fait plus de 12.000 morts, selon une estimation prudente de l'ONG Armed Conflict Location and Event Data Project.
Sur la route qui relie Khartoum à Wad Madani, les FSR ont installé des checkpoints et assiégé des villages entiers.
Kamel Saad, 55 ans, avait commencé à récolter ses légumes depuis trois jours quand il a vu les premiers paramilitaires arriver dans son village, à 50 kilomètres au nord de Wad Madani.
Depuis, "
tout a pourri à cause du déploiement des FSR sur la route",
qui sépare M. Saada de son champ, dit-il à l'AFP, précisant avoir investi ses dernières économies dans l'achat d'engrais pour la culture de ses légumes.
Ceux qui, plus chanceux, avaient achevé leur récolte, ne savent pas où l'écouler. Dans tout al-Jazira, les marchés, qui permettent habituellement de nourrir des millions de personnes, ont été fermés ou pillés.
Les paramilitaires n'ont rien épargné sur leur passage, selon plusieurs habitants.
"Les voitures et machines agricoles"
du plus gros projet agricole de l'Etat d'al-Jazira ont été
, affirme dans un communiqué son dirigeant, Omar Marzouk.
Le mois dernier, des FSR avaient razzié un entrepôt du PAM à al-Jazira, dérobant "
suffisamment de stocks pour nourrir pendant un mois près de 1,5 million de personnes en insécurité alimentaire",
a déploré l'organisation onusienne.
Fin décembre,
"300 voitures et véhicules agricoles"
du projet agricole Juneid ont été pillés, affirme son chef, Mohamed Gad al-Rabb.
Entrepôts d'engrais et de pesticides ont eux aussi été vidés et des agriculteurs accusent les paramilitaires d'avoir pris le contrôle des pompes de l'unique accès à l'eau.
Cela faisait déjà "
, un des plus gros acheteurs de produits agricoles du pays, "
ne nous a pas payé nos récoltes"
, déclare à l'AFP Khader Abbas, un agriculteur.
Cette année,
"sans pompes pour tirer l'eau, tout va pourrir sur place"
, déplore-t-il.