La fenêtre est courte pour la chasse au cétacé dont la corne peut atteindre trois mètres de long: le plus grand fjord au monde, sur la côte est du Groenland, n'est libéré de ses glaces qu'un mois par an, pendant l'été arctique.
Mais la tranquillité indispensable à son activité est fréquemment troublée par les bateaux de croisière qui viennent naviguer entre les icebergs pour montrer aux touristes cette région encore miraculeusement sauvage.
Cet été, une soixantaine, du simple voilier à l'énorme paquebot, ont fréquenté les eaux turquoises du village d'Ittoqqortoormiit, à quelque 500 km de la colonie humaine la plus proche.
L'homme de 37 ans est inquiet: le bruit des bateaux effraie la faune et complique davantage la vie des chasseurs inuits, déjà en voie de disparition.
Mais préserver un mode de vie traditionnel à Ittoqqortoormiit, 350 habitants, est de plus en plus difficile.
La population doit faire face aux effets conjugués du réchauffement climatique -en Arctique les températures grimpent quatre fois plus vite que la moyenne mondiale- et de l'activité humaine même lointaine.
Le narval s'y fait de plus en plus rare. Le réchauffement des eaux réduisant son habitat et sa nourriture, des scientifiques demandent aujourd'hui d'interdire la chasse de cette espèce vulnérable.
La fragilisation de la banquise complique la traque des phoques lorsqu'ils viennent respirer à la surface au travers des trous qu'ils construisent dans la glace.
Les Anciens narraient des histoires de chasses fastes à la sortie du village. Désormais, il faut s'enfoncer au fin fond du fjord pour trouver une proie.
Tandis que la réduction des chutes de neige limite les déplacements en traîneau à chiens et la chasse au boeuf musqué l'hiver...
Rien ne pousse ici. Le village, l'un des plus isolés du monde, est habitué à vivre sans aide extérieure, son supermarché aux prix élevés n'est ravitaillé par cargo qu'une ou deux fois par an.
Avec la peau de phoque on fait des bottes, avec la fourrure de l'ours polaire des pantalons portés l'hiver par les chasseurs et lors des cérémonies religieuses.
Leur viande, comme le fameux muktuk à base de peau de narval, est un pan majeur de l'alimentation qui fournit les protéines nécessaires pour survivre aux longs mois de nuit polaire.
Ces difficultés ont conduit certains chasseurs -qui n'ont plus de marché pour vendre les peaux d'ours hors de l'île depuis un embargo de l'UE-, à se mettre à la pêche au flétan du Groenland, explique M. Danielsen l'ancien maire du village.
D'autres à se tourner vers le tourisme.
Les sentiers longtemps tranquilles sont désormais sillonnés par des groupes de croisiéristes qui prennent des selfies avec des peaux d'ours suspendues à l'extérieur des maisons ou des carcasses de phoque dans le port.
Ittoqqortoormiit et son emplacement improbable aux premières loges du changement climatique attirent des visiteurs désireux de découvrir une culture traditionnelle avant qu'elle ne disparaisse.
Pour arrondir les fins de mois, certains chasseurs proposent tours de traîneau, visites guidées ou navettes en bateau.
Une croisière peut coûter jusqu'à 20.000 euros par personne. Jusqu'ici, faute de structures d'accueil adaptées, la manne touristique profitait principalement aux entreprises étrangères. Mais dès janvier 2024, les autorités locales pourront prélever une taxe sur les croisiéristes.
Cela menace vraiment le mode de vie traditionnel, la chasse et la pêche, (...) qui sont le seul moyen de subsistance pour beaucoup.