Premier voyage à Damas

17:4725/01/2025, samedi
MAJ: 25/01/2025, samedi
Taha Kılınç

Dans ma vie, j’ai rarement ressenti une telle excitation pour un voyage. Je suis certain que, jeudi matin, lorsque l’avion "Akdeniz" de Turkish Airlines (THY) a décollé d’Istanbul, a plané au-dessus de Chypre et du Liban pour finalement, après exactement 13 ans, atterrir à Damas, ceux qui partageaient ce sentiment n’étaient pas rares. L’enthousiasme sincère des passagers syriens dans notre avion, les chants qu’ils entonnaient à l’unisson, les larmes qu’ils versaient, les prosternations de gratitude

Dans ma vie, j’ai rarement ressenti une telle excitation pour un voyage. Je suis certain que, jeudi matin, lorsque l’avion "Akdeniz" de Turkish Airlines (THY) a décollé d’Istanbul, a plané au-dessus de Chypre et du Liban pour finalement, après exactement 13 ans, atterrir à Damas, ceux qui partageaient ce sentiment n’étaient pas rares. L’enthousiasme sincère des passagers syriens dans notre avion, les chants qu’ils entonnaient à l’unisson, les larmes qu’ils versaient, les prosternations de gratitude qu’ils faisaient dès qu’ils touchaient le tarmac, tout cela en témoignait déjà. Ce n’était pas rien : parmi eux, certains allaient voir leur pays pour la première fois. D’autres étaient séparés de leur terre natale depuis des décennies en raison des interdictions arbitraires du régime baasiste. Dans l’avion, il y avait même des gens venus des États-Unis uniquement pour ne pas manquer ce premier vol. La joie pure qu’ils exprimaient en retrouvant Damas valait vraiment le coup d’œil.


Pendant le vol, l’espace aérien libanais était fermé, mais on pouvait apercevoir à travers les nuages les sommets enneigés des montagnes blanches qui donnent leur nom et leur couleur dominante au pays. Finalement, en entrant dans l’espace aérien syrien, les nuages se sont dissipés et nous avons atterri à l’aéroport en observant Damas, à partir du mont Qasioun.


Alors que nous descendions vers l’aéroport international de Damas, la terrible destruction, particulièrement dans les quartiers périphériques de la ville, était visible dans toute sa nudité. Douma, Harasta et d’autres quartiers, où le régime de Bachar al-Assad soutenu par l’Iran a largué des barils d’explosifs sur sa propre population, ressemblaient à une zone sinistrée ayant subi plusieurs séismes violents. La même destruction pouvait être observée à Yarmouk et Hajar al-Aswad ainsi que dans les environs. Yarmouk était un camp de réfugiés établi par des Palestiniens contraints de quitter leur patrie en raison de l’occupation israélienne. Et les Palestiniens, ici, avaient été assiégés pendant des mois par le régime d’Assad, certains mourant même de faim. Pourtant, si on leur demandait, le Baas représentait "l’axe de la résistance contre Israël"...


En observant Damas depuis les airs, un autre point notable était l’étendue des terres fertiles et des espaces verts de la ville. Malgré la guerre et la destruction, les terres riches de Damas continuaient à offrir de l’espoir à l’humanité. Tout au long de l’histoire islamique, la Goutha, appelée par tous les voyageurs "le paradis de l’Occident" (tandis que le "paradis de l’Orient" était Samarcande), portait en son sein ses nombreuses souffrances tout en arborant sa bénédiction. Alors que la Syrie laisse derrière elle une période sombre, la terre elle-même semblait se préparer aux bonnes nouvelles d’un avenir lumineux.


Je le souligne souvent : ce qui s’est passé depuis 2011, en plus des crises humaines multidimensionnelles qu’il a provoquées, a porté un coup sévère à notre imagination et à notre mémoire. Le Bilad al-Cham, région qui inclut la Syrie, a été réduit, pour les gens ordinaires vivant en Türkiye, à la question des réfugiés, aux polémiques politiques et aux tensions internes. La Syrie, l’un des bassins intellectuels, spirituels et historiques les plus profonds du monde islamique, a été confinée dans une parenthèse de réfugiés, marginalisée et exclue de notre horizon. Maintenant que les opportunités de communication et de transport avec ce précieux voisin se développent rapidement, cette situation constitue une opportunité en or pour connaître la Syrie dans sa véritable identité.


La reprise des vols d’Istanbul à Damas par THY est sans aucun doute l’un des éléments qui augmentent la visibilité de la Türkiye sur la scène syrienne. Le rôle actif joué et le soutien ouvert apporté lors de la chute du Baas sont déjà bien connus. Alors que la stabilité s’installe en Syrie et que les pièces se mettent lentement en place, il devient clair que l’un des plus grands défis du nouveau gouvernement sera de trouver un équilibre entre le monde arabe et la Türkiye, puis de le maintenir. En effet, la Ligue arabe, menée par l’Arabie saoudite et l’Égypte, qui rivalise déjà avec le Qatar, semble s’être engagée sur le terrain pour dominer la scène politique en Syrie. L’aéroport de Damas accueille successivement des avions cargo qatariens et saoudiens. Riyad, Le Caire et Abou Dhabi observent de très près les événements à Damas, élaborant des feuilles de route avec de multiples options dans le cadre de leurs propres agendas.


Dans une atmosphère où la reconstruction d’un pays réduit à des ruines ouvre des portes et excite des appétits à l’échelle mondiale, la Türkiye continue de maintenir sa ligne : elle considère la Syrie non pas comme une province ou une préfecture, mais comme un voisin précieux doté d’une existence et d’un poids indépendant. Elle considère le bien-être et la stabilité de la Syrie comme étant liés aux siens. Tout en restant aux côtés de la Syrie avec toute son expérience et ses ressources, elle s’abstient prudemment d’adopter des attitudes négatives, comme diriger ou faire pression sur le nouveau gouvernement de Damas de l’extérieur.


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