Exhumation des corps sur le site de la fosse commune de Shakahola, à l'extérieur de la ville côtière de Malindi, au Kenya, le 25 avril 2023. Crédit photo: YASUYOSHI CHIBA / AFP
La mort d'au moins 90 personnes, adeptes d'un culte préconisant un jeûne extrême pour rencontrer Dieu, a révélé les dangers des "églises" et "pasteurs" autoproclamés au Kenya, que les autorités de ce pays d'Afrique de l'Est peinent à encadrer.
Devant l'ampleur des découvertes macabres, les pouvoirs publics ont rapidement monté le ton.
"Ce qui s'est passé à Shakahola est un tournant dans la manière dont le Kenya gère les menaces à la sécurité posées par les extrémistes religieux"
, a déclaré mardi le ministre de l'Intérieur Kithure Kindiki. Et d'affirmer:
L'utilisation prétendue de la Bible pour tuer des gens, pour commettre des massacres de masse de civils innocents ne peut être tolérée.
Les propos du ministre faisaient suite à ceux du président William Ruto qui a promis de réprimer les mouvements religieux
, comparant leurs dirigeants à des
.
Les autorités religieuses aussi ont commencé à donner de la voix.
"Ce sont des gens qui ont interprété de façon abusive les écritures au lieu de les utiliser à bon escient"
, a dit Calisto Odede, évêque de l'église Christ Is The Answer Ministries, d'influence pentecôtiste.
Nous devons être capables d'évaluer les messages de certains prédicateurs.
Les efforts pour mettre en place des garde-fous pourraient toutefois se heurter à une forte résistance.
Mgr Odede a précisé lundi que les églises indépendantes ont rejeté précédemment des propositions de surveillance de la part du Conseil national des églises du Kenya.
En 2019, le "pasteur" autoproclamé Paul Mackenzie Nthenge, accusé d'être au coeur du "massacre de la forêt de Shakahola", a décidé de fermer son Eglise Internationale de Bonne Nouvelle (Good News International Church) près de la ville cotière de Malindi en assurant:
"Jésus m'a dit que le travail qu'il m'a confié est terminé"
.
Mais le chef charismatique aurait ensuite emmené ses fidèles dans une forêt voisine et les aurait convaincus de jeûner pour rencontrer Dieu.
Le Kenya a découvert avec stupéfaction la semaine dernière les premières fosses communes de fidèles, dont beaucoup abritant les restes d'enfants morts de faim.
Mais selon Stephen Akaranga, professeur de religion à l'Université de Nairobi, il est peu probable que ce
entraîne une attitude plus ferme des autorités vis-à-vis des sectes.
Les tentatives de contrôle des questions religieuses ont souvent rencontré de l'opposition dans ce pays à majorité chrétienne, en particulier au nom de la liberté de culte.
Il existe plus de 4.000 églises au Kenya, un pays d'environ 50 millions d'habitants, selon des chiffres officiels.
Certains incitent les fidèles à s'acquitter de dons financiers. D'autres exercent un contrôle bien plus dramatique sur la vie des croyants, n'hésitant pas à détourner certains passages de la Bible.
"La plupart de ces pasteurs autoproclamés n'a jamais mis un pied dans une université de théologie"
, assure à l'AFP M. Akaranga.
Mais leurs lacunes en théologie ne sont pas perçues par leurs ouailles, dit-il, ajoutant que la plupart de ces églises indépendantes ont essaimé dans les zones rurales du Kenya
"où les gens ont peu d'informations sur l'éducation"
.
La pauvreté, le manque d'éducation et un accès facile aux sermons en ligne ont contribué à l'essor de ce type de cultes.
En 2018, une famille a perdu sept enfants en quatre ans car l'organisation Kanitha wa Ngai (Eglise de Dieu) préconisait de ne pas avoir recours aux hôpitaux et à la médecine moderne.
La même année, le Directoire des enquêtes criminelles (DCI) a lancé un avertissement au sujet d'une secte nommée Young Blud Saints, visant les étudiants d'université.
"Les membres sont incités à sacrifier ce qu'ils aiment le plus pour prouver leur loyauté à l'organisation"
, prévenait la DCI dans un communiqué appelant les parents à surveiller leurs enfants.
Mais les sectes du Kenya ont souvent réussi à échapper à la loi.
Paul Mackenzie Nthenge lui-même avait été arrêté en 2017, accusé de radicalisation.
Il avait à nouveau été arrêté en mars après que deux enfants étaient morts de faim sous la garde de leurs parents. Il avait rejeté les accusations et avait été libéré contre une caution de 100.000 shillings kényans (environ 670 euros).
Il est aujourd'hui détenu, avec 14 autres personnes, dans l'affaire des morts de la forêt de Shakahola.
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