Une fois encore, la pêche est maigre: deux minuscules poissons s’échappent des filets et tombent dans la pirogue d’Ali Sani, qui file lentement sur l’eau trouble du fleuve Niger à Niamey. À la nuit tombée, ce pêcheur nigérien retentera sa chance jusqu’à l’aube, dans l’espoir d’attraper un "gari" ou un "salambalé" bien en chair.
Le temps presse, car la saison chaude arrive et le fleuve baisse. D’ici quelques jours, les poissons ne pourront plus survivre dans les mares qui subsisteront entre les bancs de sable.
Le pêcheur Abdoul Rahamane déplore:
Avant c’était possible de pêcher toute l’année, mais à cause de l’ensablement, maintenant tu vas seulement te fatiguer et revenir à la maison bredouille.
Un phénomène qui bouleverse le mode de vie des Sorkos et les contraint à se détourner d’une activité ancestrale.
Érosion
Au Niger, un pays qui compte l’un des taux de fécondité les plus élevés au monde et où l’agriculture et l’élevage emploient plus de 80 % de la population, le développement des surfaces agricoles et le défrichement ont accéléré l’érosion des terres sablonneuses dont les particules se déversent dans les cours d’eau, selon une étude publiée en 2022 par des chercheurs nigériens.
Représentant d’une association de pêcheurs de Niamey, Moussa Sanou estime:
Le secteur va mal, il n’est pas bien organisé tandis que le fleuve est gravement menacé.
Quelque 50 000 personnes vivent de la pêche au Niger, mais elle ne suffit pas à combler la demande nationale dépendante des importations des pays voisins, selon le réseau national des chambres d’agriculture du Niger (Reca).
En période d’étiage, les camions bennes remplacent les pirogues, avec l’autorisation du gouvernement, pour prélever le sable et fournir les constructeurs en ciment.
Plusieurs programmes de lutte contre l’érosion des sols et de développement de la pisciculture ont été initiés par les régimes successifs, avec l’appui des partenaires internationaux.
Mais l’insécurité entretenue par les groupes terroristes en amont et en aval du fleuve et les tensions diplomatiques depuis le coup d’État de juillet 2023, compromettent leur avenir.
Résistance
Les Sorkos n’ont pas attendu pour s'adapter: de vastes rizières s’étendent désormais à proximité des villages de pêcheurs où les habitants travaillent pieds nus dans une boue crémeuse.
Devant la rizière familiale, Abdoul Rahamane explique:
Les gens se sont lancés dans le jardinage, les rizières, et d’autres activités comme la couture, la mécanique, l’électricité… Ils se diversifient pour pouvoir gagner leur vie.
Désormais, même les terres environnant son village se trouvent menacées.
Dans ce hameau paisible et hors du temps, les derniers pêcheurs de Niamey recousent leurs filets sous une pluie de feuilles dorées que le vent arrache aux arbres, loin du brouhaha de la capitale qui bourdonne de l’autre côté de la berge et où les chantiers pullulent.
Des Sorkos ont déjà été déplacés par les projets immobiliers. Même quand les inondations menacent d’engloutir leurs champs et leurs maisons en argile, les habitants rechignent à partir de peur d’être expropriés.