Génocide au Rwanda: un témoignage de survivante, rareté en librairie

11:5610/01/2024, mercredi
MAJ: 10/01/2024, mercredi
AFP
Une vue d'ensemble des expositions au Mémorial du génocide de Kigali, au Rwanda, le 7 avril 2021.
Crédit Photo : SIMON WOHLFAHRT / AFP (Archive)
Une vue d'ensemble des expositions au Mémorial du génocide de Kigali, au Rwanda, le 7 avril 2021.

"Le Convoi" de Beata Umubyeyi Mairesse, qui paraît mercredi, est un livre rare: un témoignage d'une survivante du génocide du Rwanda, peu nombreux jusqu'ici à intéresser éditeurs et lecteurs.

Près de trente ans après les faits et les plus de 800.000 morts entre avril et juillet 1994, essentiellement parmi la minorité tutsi, mais aussi chez les Hutu modérés, les livres ne manquent pas sur le Rwanda.


Les œuvres des Franco-Rwandais Scholastique Mukasonga ("Notre-Dame du Nil", prix Renaudot 2012) et Gaël Faye ("Petit pays", succès de 2016) sont des références, mais des fictions d'auteurs qui n'étaient pas au Rwanda au moment du génocide.

La majorité des récits de témoins ou essais sont signés d'auteurs qui ne sont pas rwandais. Surtout des journalistes français, et des hommes.


Ceux de Jean Hatzfeld (
"Une saison de machettes
" en 2003 et ses suites) viennent immédiatement à l'esprit. Le dernier de l'année 2023, "
Murabeho
" fin octobre, était un roman d'un autre reporter, Pierre Lepidi. Le premier à être sorti en 2024, le 5 janvier, l'essai
"Papa, qu'est-ce qu'on a fait au Rwanda? La France face au génocide",
est encore l'œuvre d'un journaliste français, Laurent Larcher.

Pourquoi? Beata Umubyeyi Mairesse, aujourd'hui Franco-Rwandaise qui vit à Bordeaux, enfant de la ville de Butare, dans le sud du Rwanda, n'a pas d'explication toute faite.

"J'ai envie de renvoyer la question au lectorat occidental. Est-ce qu'on fait plus confiance à quelqu'un qui est comme soi?",
demande-t-elle à son tour, interrogée par l'AFP.

Cachée dans un camion


Cette autrice publie chez Flammarion, une maison prestigieuse à Paris, et a été interrogée dans le quotidien français, Le Monde. Elle avait préalablement fait ses preuves dans la fiction. Ses romans s'appellent
"Tous tes enfants dispersés"
, sur le génocide, et "
Consolée
" (en poche mercredi également), sur l'exil forcé par les colonisateurs.

Les autres Rwandais qui ont publié des témoignages de rescapés n'ont pas eu les mêmes chances, avec souvent de plus petites maisons d'édition.


Les livres de Révérien Rurangwa ("
Génocidé
", 2006) et Annick Kayitesi-Jozan, autre native de Butare (
"Nous existons encore",
2004, et
"Même Dieu ne veut pas s'en mêler"
, 2017) ont eu quelque retentissement. Ceux d'Albert Nsengimana ("
Ma mère m'a tué
", 2019) ou Charles Habonimana ("
Moi, le dernier Tutsi
", 2019), beaucoup moins. Et d'autres pas du tout.

Beata Umubyeyi Mairesse avait 14 ans quand ce génocide a commencé. De père polonais et de mère tutsie, elle doit la vie à deux miracles.


D'abord, au moment où des miliciens hutus s'apprêtaient à la tuer, elle a eu l'idée de clamer qu'elle était française, ce qu'elle n'était pas. Son instruction dans une école belge permettait de le croire.

Ensuite, elle a quitté le Rwanda pour le Burundi grâce à l'ONG suisse Terre des hommes, cachée dans un camion au sein d'un convoi humanitaire pour enfants qui n'était pas censé la transporter, elle et sa mère.


"La littérature que nous pouvons"


"Le Convoi"
est un récit d'enquête, qui dit la difficulté pour une survivante à rassembler, auprès des archivistes ou journalistes, les traces laissées par sa propre histoire.

"Il dit à quel point, si on n'est pas journaliste, chercheur, il y a des choses on n'a pas forcément accès. Alors que c'est mon histoire. Que c'est notre histoire"
, explique l'autrice.

Il est aussi un essai sur la question: à qui appartient la mémoire d'un tel événement? La réponse est tout sauf simple dans la mesure où l'on trouve aussi des livres de témoins occidentaux marqués, voire traumatisés à vie, par ce qu'ils ont vu de ce génocide.

"Des survivantes et des survivants, on n'est pas tant que ça"
, relève Beata Umubyeyi Mairesse. Ce qui fait la différence, d'après elle, avec les livres sur le génocide des juifs d'Europe: "
Aujourd'hui, si on vous demande des références sur la Shoah, vous allez penser à Primo Levi, à Elie Wiesel, à Jorge Semprun (...) Donc c'est toute une réflexion aussi autour de la littérature que nous pouvons, que nous souhaitons faire maintenant".

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