Ce n'est qu'une menace, mais très proche d'une déclaration de guerre. La loi sur l'immigration, la folle perspective d'envoi de troupes en Ukraine, comme tant d'autres mesures et réformes, rendraient la France plus forte, selon Macron. Ne conforteraient-elles pas une radicalisation à droite ?
En tout cas, il a réussi à en rajouter après sa journée de samedi dernier, à Porte de Versailles, lors de l'ouverture du Salon de l'agriculture qui a, encore une fois prouvé, son manque de lucidité, d'aura. Et pas seulement...
L'ambiance était surchauffée, dès les premières heures de ce matin-là, hostile même. L'inauguration de l'événement qu'aucun président ne veut rater, n'allait pas être festive, ni à l'heure d'ailleurs. Macron était attendu de pied ferme par les petits agriculteurs, dits
pas tous syndiqués, toutefois tous frappés par la politique agricole européenne commune, favorisant les
exploitations, avec son incitation à s'agrandir, synonyme de s'endetter, et à courir sans cesse derrière une compétitivité, où la concurrence est déloyale, tant le coût du travail est déséquilibré, les ouvriers étant payés trois à quatre fois moins cher en Pologne, par exemple, qu'en France. Les subventions de l'Union européenne sont insuffisantes pour combler l'écart.
À son apparition, la tension s'électrise. Huées, heurts avec le service d'ordre, avant l'arrivée des CRS, la colère monte et les slogans fusent, dont le plus laconiquement direct
Un instant, le regard furibond, l'Européen maastrichtien convaincu qu'est le président français se maîtrise et tente, pour contenir la gronde, de la placer dans un cadre politique, accusant le Rassemblement national de l'avoir ourlée, dans son dessein avoué de provoquer un "Frexit" (traduisez: sortie de l'UE). Ce n'était pas très opportun.
Encore moins lorsqu'il dira, se voulant apaisant et confiant dans la condescendance:
La ferme France reste forte...il ne faut pas en dresser un portrait catastrophique.
L'implacable réponse jaillit immédiatement d'un interlocuteur qui lui tend un relevé bancaire:
"regardez l'état des comptes d'un agriculteur paysan. Le 5 du mois, une fois mes factures payées, il me reste zéro euro, monsieur le président"
.
Il essaiera encore d'engager des discussions avec des représentants syndicaux, mais la pression aidant, les divergences sont telles que Laurence Marandola, porte-parole de la Confédération paysanne, dénoncera un
Macron tempère quand même, émet la proposition floue de prix-plancher pour chaque filière et promet
"des mesures d'urgence dès lundi (26 février) et une réunion à l'Élysée, après le Salon, avec l'ensemble des organisations syndicales pour officialiser des engagements nationaux et européens et bâtir un plan d'avenir agricole français et européen".
Et si l'Europe, à laquelle il est fortement attaché, est toujours présente dans son discours, il est loin de ses dispositions et de ses certitudes de quelques heures plus tôt.
Contradictions et revirements...à droite
Mais comme le laissait entendre Marandola, il est peu probable qu'il y ait des mesures qui déraillent de la voie de l'Europe communautaire et ce, quoi qu'il dise.
Sur les ondes d'une radio locale, en commentant les positions et les décisions politiques, économiques et sociales d'Emmanuel Macron, Jean Luc Mélenchon affirmait:
C'est qu'intempestif, il peut s'empresser de dire la chose puis son contraire, promettre une action et faire son opposé.
Même son allié François Bayrou (MoDem) ne cache plus sa désapprobation des
du gouvernement et des œillades lancés vers l'extrême-droite, quand son nouveau Premier ministre, Gabriel Attal, a implicitement inclus le Rassemblement national dans
"l'arc républicain qu'est l'Hémicycle de l'Assemblée".
Macron qui, fustige pourtant le RN à tout bout de champ, répondra sèchement:
Ce qui intéresse les Français, ce sont les états de service, pas les états d'âme.
Idem pour la guerre et les exactions commises à Gaza qu'il a commencé par justifier et même légitimer, il a fini, face au soulèvement de l'opinion publique contre cette injustice, par rétrograder et par s'engager un tant soit peu, pour qu'un cessez-le-feu soit décrété et qu'on vînt en aide aux civils gazaouis.
En fait, les contradictions, les revirements et les volte-face du président français ne sont pas rares. Ils concernent les déclarations faites à chaud où il est souvent poussé à se rétracter (
"la colonisation a été un crime contre l'Humanité"
devenue
) ou remis à sa place, comme l'a fait le président congolais, en conférence de presse, quand il l'a reçu, au bout de sa dernière tournée africaine qui, a d'ailleurs, scellé l'affaiblissement de la présence de la France sur le continent.
Ils touchent, également, les grandes réformes, comme celle concernant la baisse de la taxation sur les revenus du capital qu'il a imposée, dès son premier quinquennat.
Supposée booster l'économie, élever le pouvoir d'achat et réduire les inégalités, elle a été on ne peut plus clairement dénoncée par le Comité chargé de son évaluation, dont le rapport final indique
"davantage d'enrichissement des riches...hausse significative des inégalités...sans amélioration notable de la situation économique";
soit exactement l'opposé de ce qui était prétendu ou promis.
La France n'en est pas devenue plus forte, mais cette réforme a confirmé l'étiquette qui collait à Macron, depuis qu'il était sous l'aile de François Hollande:
Rien à voir avec ce qui restait de l'esprit de
dans le Parti socialiste.
Sa gestion de la crise des Gilets jaunes, son programme électoral jugé largement emprunté à l'extrême-droite, sa réforme des retraites, sa loi Darmanin...démontrent qu'Emmanuel Macron, au-delà de son côté caméléon, de son désir de plaire à tout le monde, n'est pas un centriste, comme prétendu. Il est résolument à droite, privilégiant le capital à l'humain et il est en train de, socialement, radicaliser la France.
Plus que l'expulsion, en douze heures et sans possibilité de recours sur place, de l'imam, d'origine tunisienne Mahjoub Mahjoubi, séparé de sa femme et de ses quatre enfants, tous français, c'est le commentaire de Gérald Darmanin, ministre de l'Intérieur:
"...une expulsion aussi rapide rend la France plus forte"
qui interpelle sur cette radicalisation, parfois manifeste, souvent insidieuse et qui n'est pas seulement socio-économique, mais politique.
Les hauts faits à l'Éducation de Gabriel Attal pour lesquels Emmanuel Macron l'a catapulté Premier ministre, ne sont-ils pas l'interdiction du port de l'abaya (longue robe) dans les établissements scolaires, en tant que signe ostentatoire contre la laïcité, sans évocation expresse de la kippa ou de la croix, ainsi que la création d'une
, dont l'extrême-droite s'est réjouie ?
À propos de cette dernière mesure de
, Benoît Hamon, l'ex-ministre de l'Éducation, déclarera, cynique:
C'est décréter que des élèves seront dans la cave, d'autres au rez-de-chaussée, le reste au premier étage.
Sophie Vénétitay, professeure et secrétaire générale du syndicat SNES-FSU, sera plus précise:
"c'est le fantasme des plus riches"
, dira-t-elle.
Finalement, plus radicale la France ? Sûrement...mais certainement pas plus forte. Ni à l'Intérieur ni à l'extérieur.