Crédit Photo : JOEL SAGET / AFP
Le journaliste de Mediapart Fabrice Arfi pose lors d'une séance photo dans son bureau à Paris, le 2 juillet 2019.
La récente enquête de Mediapart, signée Fabrice Arfi, a mis en exergue l'implication présumée de Lafarge, géant du ciment, dans le financement de groupes terroristes, notamment Daech, en Syrie.
Dans un article publié jeudi dernier, le journaliste de Mediapart a révélé des détails inédits sur ce dossier, éclairant les zones d'ombre qui entourent les relations entre Lafarge et des autorités françaises, particulièrement les services secrets et le ministère des Affaires étrangères.
Pour rappel, le Parquet national antiterroriste (PNAT) a requis, vendredi 9 février, le renvoi devant le tribunal correctionnel de la société Lafarge et de neuf personnes pour financement de groupes terroristes, en raison de ses activités en Syrie en 2013 et 2014, et pour violations d'embargos internationaux interdisant tout versement à des entités terroristes.
Dans son article pour Mediapart, Fabrice Arfi, rapporte qu'un procureur du PNAT a démonté les allégations d'une complicité d'institutions de l'État français, dans son réquisitoire final, demandant un procès pour
"financement du terrorisme"
et
"non-respect des sanctions financières internationales"
contre Lafarge SA et ses anciens dirigeants, y compris l'ex-PDG Bruno Lafont.
L'enquête judiciaire a mis en lumière que Lafarge, pour maintenir l'activité de son usine syrienne (la plus importante du groupe au Proche et Moyen-Orient), a versé environ 5 millions d'euros à divers groupes terroristes entre 2012 et 2014. Par ailleurs, les États-Unis avaient sanctionné Lafarge en 2022 par une amende de 778 millions de dollars pour ces faits, qualifiés de
par un enquêteur du Homeland Security Investigations.
Implication des renseignements français ?
Le Pnat a souligné que, si certains cadres de Lafarge avaient des liens avec les services de renseignement français, il n'y a pas de preuve que ces derniers aient encouragé ou facilité les actions illégales de Lafarge. Les accusations selon lesquelles ces cadres auraient agi comme agents des services secrets sont réfutées par le Pnat, qui insiste sur la responsabilité individuelle des cadres de l'entreprise dans le contexte des activités de celle-ci.
Selon Me Solange Doumic, l'avocate de Christian Herrault, directeur général adjoint de Lafarge au moment des faits, l'intérêt des services de renseignement français à ce que l'usine Lafarge en Syrie continuât ses activités résidait dans le fait qu'elle
"représentait le seul point d'entrée en Syrie pour l'obtention de renseignements et, d'autre part, tous pensaient que les troubles n'allaient pas durer et que le régime de Bachar al-Assad allait incessamment tomber, l'usine Lafarge permettant un appui dans la lutte anti-Bachar".
Mediapart précise aussi que la presse britannique avait rapporté la défense de l'un des mis en cause, Ahmad Jaloudi, ancien responsable de la sécurité de l'usine syrienne, qui affirme avoir œuvré en lien avec la DGSE (Direction générale de la Sécurité extérieure) française et des services de renseignement d'autres pays.
Le journaliste de Mediapart, Fabrice Arfi, note également que l'ancien directeur de la sécurité de Lafarge,
"Jean-Claude Veillard, concentre sur lui une grande partie de cette question épineuse des rapports entretenus par la multinationale avec l'État, et tout particulièrement avec ses services secrets. Direction du renseignement militaire (DRM), Direction générale de la sécurité extérieure (DGSE) ou Direction générale de la sécurité intérieure (DGSI)".
Selon le Pnat, les services de renseignement français ont agi par
, mais rien ne prouve qu'ils aient agi afin que Lafarge restât en Syrie et, a fortiori, en finançant le terrorisme international dans cette optique.
Implication du Quai d'Orsay ?
Concernant le rôle du ministère français des Affaires étrangères, selon Mediapart, le réquisitoire du Pnat qui observe que la défense de certains cadres de Lafarge, tels que Christian Herrault, s'est appuyée
"sur l'existence d'une incitation à maintenir l'activité du groupe Lafarge en Syrie de la part du ministère des Affaires étrangères, en insistant sur la connaissance de la situation que devaient avoir les autorités étatiques françaises et sur le biais stratégique de la diplomatie hexagonale".
Cependant, le parquet antiterroriste a réfuté cette théorie, affirmant qu'aucune preuve ne soutient l'existence d'une telle incitation ou d'une complicité avec des groupes armés terroristes.
Mediapart rapporte également que
"Si le Pnat reconnaît l'existence d'échanges entre le Quai d'Orsay et des responsables de Lafarge au moment de la dégradation de la situation en Syrie et de l'avènement, à partir de 2012, de groupes terroristes, rien ne permet, selon lui, de corroborer le fait que l'État français ait poussé l'entreprise à la faute".
Me Solange Doumic, l'avocate de Christian Herrault, a estimé au contraire qu'
"il y a au dossier une multitude d'éléments démontrant la parfaite information des autorités diplomatiques françaises et des services français"
, rapporte Mediapart.
"Je regrette et m'étonne, dit-elle, que le parquet ne les prenne pas en compte. Le maintien de l'usine syrienne n'aurait pas eu lieu s'il n'avait pas été conforme au désir de l'époque des autorités françaises et plus généralement à la politique de la France qui soutenait activement l'ensemble de l'opposition syrienne [contre Bachar al-Assad – ndlr], dont les groupements les plus radicaux"
, lit-on encore dans les colonnes du journal d'investigation.
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