France: jugement très attendu pour le ministre de la Justice après un procès historique

12:4029/11/2023, mercredi
MAJ: 29/11/2023, mercredi
AFP
Le ministre français de la justice, Éric Dupond-Moretti. Crédit photo: LUDOVIC MARIN / AFP
Le ministre français de la justice, Éric Dupond-Moretti. Crédit photo: LUDOVIC MARIN / AFP

Après un procès inédit en France, le ministre de la Justice Éric Dupond-Moretti saura mercredi s'il est condamné ou non dans une affaire de conflits d'intérêts qui pourrait sceller le sort de ce pilier du gouvernement.

Au cours de l'audience en novembre, l'accusation a requis un an de prison avec sursis à l'encontre de cette ancienne star du barreau, soupçonnée d'avoir profité de ses fonctions de ministre pour régler ses comptes avec quatre magistrats qu'il avait critiqués du temps où il était avocat.


Nommé au gouvernement à la surprise générale à l'été 2020, l'ex-pénaliste de 62 ans, personnalité éruptive et clivante, a toujours clamé son innocence dans cette affaire déclenchée par une plainte sans précédent des syndicats de magistrats à la fin 2020. 


Pendant ce procès du ministre de la Justice en exercice, une première en France, ses avocats avaient martelé que M. Dupond-Moretti n'était
"coupable de rien"
et avaient plaidé la relaxe. Mais ils avaient soutenu qu'une condamnation, même
"la plus basse"
, même
"la plus ridicule"
,
"suffirait"
à entraîner sa
"démission". 

Le sort du ministre repose désormais entre les mains de la la Cour de justice de la République  (CJR), seule juridiction habilitée à juger les faits commis par un membre du gouvernement.

Cette juridiction controversée, composée de trois magistrats professionnels et de 12 parlementaires de tous bords, a longtemps été accusée de faire preuve de clémence à l'égard des dirigeants politiques qu'elle a jugés.  


Sa décision est attendue à 14H00 GMT.

Jusqu'à présent et malgré l'enquête et le procès devant la CJR, le président français Emmanuel Macron lui a maintenu sa confiance et s'est refusé à exiger sa démission, nonobstant l'émoi suscité par cette affaire dans la magistrature. 


Sur ce dossier comme dans d'autres, le chef de l'État a refusé d'appliquer une règle non-écrite longtemps observée en France selon laquelle un ministre inculpé devait quitter ses fonctions. 

En 2021, ce n'est ainsi qu'après sa condamnation à six mois de prison avec sursis que le ministre délégué aux Petites et moyennes entreprises Alain Griset avait été contraint de démissionner.


S'il était reconnu coupable, Éric Dupond-Moretti devrait connaître le même sort. En octobre, invoquant une
"règle claire"
, la Première ministre Élisabeth Borne avait écarté la possibilité que son garde des Sceaux soit maintenu en fonctions en cas de condamnation. 

Un départ contraint de M. Dupond-Moretti priverait toutefois le gouvernement d'un ministre de poids qui n'hésite à ferrailler avec l'extrême droite et peut se targuer d'avoir obtenu des hausses sans précédent du budget de la Justice, qui souffre en France d'une sous-dotation chronique. 

Une condamnation serait par ailleurs embarrassante alors qu'un autre membre du gouvernement, le ministre du Travail Olivier Dussopt, est actuellement jugé à Paris pour une affaire de favoritisme remontant à son mandat d'élu local à la fin des années 2000.


"Vengeance"


L'affaire Dupond-Moretti débute fin juin 2020, en marge d'une affaire de corruption visant l'ancien président Nicolas Sarkozy.


L'hebdomadaire Le Point révèle que des magistrats du Parquet national financier (PNF) ont fait éplucher des factures téléphoniques détaillées de plusieurs avocats, dont Éric Dupond-Moretti, pour débusquer une éventuelle taupe qui aurait informé M. Sarkozy qu'il étaient sur écoute.


Éric Dupond-Moretti, sans doute alors l'avocat le plus connu de France, dénonce une
"enquête barbouzarde". 

Une fois nommé au gouvernement, il ordonne une enquête administrative contre trois magistrats du PNF après réception d'un rapport commandé par sa prédécesseure sur ce parquet redouté en France.


Dans une autre affaire, il décide d'ouvrir une enquête contre un quatrième magistrat, Edouard Levrault, ex-juge détaché à Monaco dont il avait dénoncé en tant qu'avocat les méthodes de
"cow-boy"
et contre lequel il avait porté plainte au nom d'un client pour violation du secret de l'instruction.

Le ministre
"qui savait mieux que quiconque les conflits d'intérêts qu'il pouvait avoir avec les magistrats concernés"
aurait dû s'abstenir d'être
"décideur"
, a conclu l'enquête.

"J'ai fait ce que n'importe quel garde des Sceaux aurait fait à ma place"
, s'est défendu le ministre, qui a réfuté toute idée de
"vengeance".

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