Corde, sel, bois: par-delà les carats, les bijoux audacieux d'une créatrice kényane
09:3218/03/2024, lundi
AFP
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Crédit Photo : Tony KARUMBA / AFP
La créatrice kenyane, Ami Doshi Shah, avec quelques-uns de ses bijoux éclectiques dans son atelier, où elle crée des bijoux éclectiques à la main en utilisant des matières premières d'origine locale variant entre les pierres semi-précieuses et les métaux, à Nairobi, le 16 février 2024.
Cristaux de sel, cordes de sisal, bois, roches volcaniques: la créatrice kényane d'origine indienne Ami Doshi Shah mêle matériaux hétéroclites et design épuré pour confectionner ses bijoux, loin des injonctions d'une industrie qui ne jure que par les carats.
Ses pièces sont distribuées à travers l'Afrique (Nigeria, Ghana, Afrique du Sud, Côte d'Ivoire, Kenya...) et l'une de ses collections, baptisée "Salt of the Earth" ("Le sel de la terre"), a voyagé jusqu'au Victoria and Albert Museum de Londres en 2022 et au Brooklyn Museum de New York l'an dernier.
Mais il a fallu de longues années avant qu'Ami Doshi Shah ne se convainque d'embrasser son art.
Aujourd'hui âgée de 44 ans, cette petite-fille d'immigrants indiens au Kenya a étudié la joaillerie et l'orfèvrerie à Birmingham (Royaume-Uni), obtenant le prestigieux prix Goldsmiths de meilleure apprentie et effectuant des stages chez des bijoutiers indiens comme le Gem Palace, prisé de célébrités telles qu'Oprah Winfrey, Gwyneth Paltrow ou la princesse Diana.
Mais le clinquant de la bijouterie traditionnelle ne l'inspire pas, et son style expérimental lui semble décalé par rapport aux impératifs commerciaux du secteur.
Alors, à 22 ans, elle change de voie : elle rejoint une société de publicité, travaillant durant 12 ans entre Londres et Nairobi.
"Ce n'était pas ma vocation",
confie-t-elle aujourd'hui, dans son atelier surplombant Nairobi.
Durant sa deuxième grossesse, elle prend un congé sabbatique et commence une résidence d'artiste dans la capitale kényane.
Une année cathartique, mais toujours
"remplie de doutes".
"Je m'inquiétais de savoir si les gens allaient aimer mon travail"
, explique la créatrice:
"C'est difficile d'accepter que vous puissiez ne pas connaître un succès commercial, surtout quand vous avez passé tant d'années à vous concentrer sur le fait de gagner de l'argent".
Personnel et politique
En 2015, elle se lance et crée sa marque, qui porte son nom, décidée à exprimer son style minimaliste, résolument ancré au Kenya.
Colliers conceptuels en sisal, manchettes serties de larges pierres, boucles d'oreilles balancier en laiton... Ses pièces s'inspirent du rôle talismanique des bijoux dans ce pays d'Afrique de l'Est, où ils sont portés dans les rites de passage, pour se protéger ou pour donner de la force.
Elle n'utilise que des matériaux locaux, comme le laiton, métal le plus utilisé dans la bijouterie kényane, le cuir, le bois de manguier ou la zoïsite, pierre de laquelle est extrait le rubis. Elle explique:
Tout le monde ne va pas aimer mon travail, tout le monde ne va pas le comprendre et ce n'est pas grave.
Ses créations, dont les prix vont de 75 à 375 dollars (69 à 345 euros), prennent parfois une dimension politique, comme sa collection "Salt of the Earth".
Ces pièces composées d'épaisses cordes, de cristaux de sel et de laiton patiné aux teintes bleu-vert explorent la double nature du sel, à la fois essentiel à la vie mais également corrosif et destructeur.
Elles portent aussi une référence au passé colonial de la Grande-Bretagne, dont le prohibitif impôt sur le sel avait amené Gandhi à organiser en 1930 une "marche du sel" dans l'État indien du Gujarat, région d'origine de ses grands-parents.
"C'était la première fois que j'avais le sentiment que les bijoux pouvaient être politiques, comme un fil reliant tant de choses",
assure-t-elle.
"Notre propre histoire"
Sa dernière création "Memento Mori" a été inspirée par les derniers jours passés sur la côte kényane avec son père, décédé en 2021.
Si son travail est désormais reconnu en Occident, elle se concentre avant tout sur le continent africain, tant comme source d'inspiration que marché pour ses créations.
"Je me sens bien plus Kényane qu'Indienne",
confie-t-elle, appelant la communauté originaire du sous-continent indien (environ 60 000 personnes) à privilégier l'intégration plutôt que de chercher dans l'endogamie une certaine sécurité, notamment après le traumatisme des brutales expulsions menées en Ouganda voisin en 1972.
Alors qu'elle a récemment fait ses premières tentatives dans la création de mobilier, elle rêve de créer un atelier multidisciplinaire avec des designers
"majoritairement kényans": "Il est important de pouvoir raconter notre propre histoire à notre manière".