Depuis l’ouverture du marché des transferts cet été (mercato estival), l’Europe est secoué par de nouveaux acteurs aux capacités financières hallucinantes: les saoudiens. Les transferts vers les clubs saoudiens se multiplient, l’Arabie Saoudite parvient surtout à attirer de grands noms du football mondial. Il y a un an pourtant, Cristiano Ronaldo choisissait ce pays arabe pour y continuer sa longue et riche carrière. Une “destination exotique” pour certains, une folie pour d’autres. Mais cet été, la fièvre semble monter plus haut qu’on ne le pensait. Sadio Mané, Allan Saint-Maximin, Riyad Mahrez, Firmino, Karim Benzema et même la superstar brésilienne, Neymar, ont tous quitté l’Europe. Direction, la Saudi Pro League. Pourtant, rien n’est fortuit. L’Arabie Saoudite veut faire du football un outil de soft power, pour redorer son image, mais aussi pour renforcer son attractivité.
En 2016, l’Arabie Saoudite lançait son plan “Saudi Vision 2030”, destiné à réformer le pays, le rendre plus libéral, plus ouvert au monde et en diversifier l’économie. Le pays veut surtout sortir de sa traditionnelle rente pétrolière et développer d’autres axes de l’économie. Depuis lors, sous la houlette du jeune Prince héritier Mohamed Ben Salmane, Riyad a changé de fusil d’épaule et nourrit une politique plus attractive et plus conciliante, loin de l’étiquette d’autoritarisme et de conservateur qu’on lui colle traditionnellement, à tort ou à raison. Cette stratégie se traduit par des réformes politico-sociales destinées à "libéraliser" le pays, mais aussi dans sa politique étrangère où Riyad cherche davantage à pacifier ses relations, surtout au Moyen-Orient. Le récent réchauffement des relations diplomatiques avec la Syrie ou encore l’Iran en est l’illustration parfaite. Mais qu’en est-il du football?
La Saudi Pro League envisage d’entrer dans le top 10 des plus grands championnats de football au monde et vise des recettes d’environ 2 milliards de dollars d’ici 2030. En octobre 2021, l’Arabie Saoudite s’offrait le club anglais de Newcastle -qui jouera cette saison la Ligue des Champions- pour un montant de 330 millions d’euros. Ce rachat mettait alors la lumière sur les ambitions de Ryad autour du football. Mais les choses sérieuses ont débuté cet été.
Le Fonds d’Investissement Souverain le PIF (Public investment fund) est devenu l’arme majeure, lui qui gère des actifs estimés à 620 milliards de dollars. Il détient désormais 75% des parts de cinq clubs saoudiens: Al Nassr, Al Hilal, Al Ahli, Al Ettifaq et Al Ittihad, soient les clubs les plus actifs sur ce mercato estival. Selon la presse sportive, le budget dégagé pour cette fenêtre de transfert est de 20 milliards de dollars. Hallucinant !
L’objectif derrière tous ces investissements est de créer une économie autour du football local saoudien mais aussi de surfer sur l’attractivité de ce sport. Si le Qatar par exemple a compté davantage sur l’organisation d’évènements, l’Arabie Saoudite pourrait, elle, déplacer tout simplement le centre de gravité du football mondial, jusque-là basé principalement en Europe. Il y a quelques années, la Chine concevait à peu près la même stratégie mais le succès a été éphémère. Les gros salaires proposés aux joueurs n’ont pas pu être supportés dans le temps. L’Arabie Saoudite elle, dispose d’une manne financière presque illimitée et pourrait bien inscrire son succès dans la pérennité.
Ces efforts autour du football sont manifestement à des fins diplomatiques. Avec une population très jeune, l’Arabie Saoudite veut aussi renforcer son industrie du divertissement et utiliser le football pour exposer ses atouts touristiques, sa culture et son histoire...Bref, renforcer son "soft power", sa capacité d’influence sans usage de moyens coercitifs, en renvoyant une image plus séduisante et plus attractive. Riyad veut renforcer son influence aussi sur le plein international et cela passe par redorer d’une certaine manière son image. L’affaire Jamal Khashoggi, journaliste assassiné en octobre 2018 au consulat saoudien d’Istanbul, a écorné l’image du pays et Prince Ben Salmane. Pour se départir de ce statut d’autoritarisme et des questions du respect des Droits de l’Homme base de critique du Royaume saoudien pour les occidentaux, Riyad veut incarner un pays “moderne” et plus “cool”, capable d’attirer les yeux même des plus sceptiques. C’est ce procédé destiné à utiliser l’attractivité du sport pour redorer son image qui est souvent appelé “sportwashing”.