Quoi de plus éloigné de l'art, en apparence, que le nucléaire ? Pourtant, des premières découvertes scientifiques sur l'atome à l'usage de la bombe atomique, le thème a inspiré de nombreux artistes, comme le montre une exposition inédite au musée d'art moderne de la Ville de Paris (MAM).
"C'est une grande lacune dans l'histoire de l'art que nous avons voulu combler, en montrant l'ambivalence du nucléaire et la manière dont les artistes l'ont perçu à travers le temps"
, explique Maria Stavrinaki, professeure d'histoire de l'art contemporain à l'université de Lausanne et commissaire de l'exposition avec Julia Garimorth, conservatrice en chef au MAM.
Quelque 250 œuvres, parmi lesquelles des peintures, dessins, photographies, vidéos, films et installations peu connus du grand public, sont présentées à partir de vendredi et jusqu'au 9 février, dans le contexte de leur création, accompagnées d'innombrables documents.
Parmi elles, plusieurs pièces inédites proviennent du laboratoire américain de Los Alamos, dirigé par J. Robert Oppenheimer, père de la bombe atomique, ainsi que des musées japonais d'Hiroshima et de Nagasaki.
Ces œuvres sont exposées aux côtés d'un étonnant film du cinéaste ukrainien Vladimir Shevchenko, réalisé juste après l'accident nucléaire de la centrale de Tchernobyl en 1986, qui lui fut fatal.
Intitulé
"L'âge atomique: les artistes à l'épreuve de l'histoire"
, le parcours est structuré en sections thématiques liant intimement art, science et politique.
L'exposition commence au début du XXe siècle avec les premières découvertes scientifiques sur l'atome et la radioactivité, qui ont bouleversé notre rapport à la matière. On y découvre notamment la "danse du radium", interprétée en 1911 par l'Américaine Loïe Fuller pour les Français Marie et Pierre Curie, vêtue d'immenses ailes ou manches de soie recouvertes d'une matière phosphorescente.
"Certains artistes optent alors pour l'abstraction mystique, comme le Russe Vassily Kandinsky ou la Suédoise Hilma af Klint, d'autres pour l'art conceptuel tel que Marcel Duchamp"
, expliquent les commissaires.
"L'invention de la bombe atomique et son utilisation au Japon par les États-Unis en août 1945 marquent un tournant dans l'histoire moderne de l'atome, inaugurant 'l'âge atomique'"
, poursuivent-elles.
L'atome destructeur devient un champ d'expérimentation pour de nombreux artistes, avec
"l'omniprésence de l'image du champignon atomique qui ancre la réalité du nucléaire dans la propagande, la consommation et le spectacle"
, ajoutent-elles.
Des documents d'archive retracent les exploits d'une
, un concours de beauté organisé pour soutenir les essais nucléaires dans le désert du Nevada, aux États-Unis. Par ailleurs, le célèbre maillot de bain "bikini" tire son nom d'un atoll du Pacifique où fut réalisé un essai nucléaire américain.
Aux côtés d'œuvres de Francis Bacon, Salvador Dalí, Lucio Fontana, Gary Hill, Asger Jorn, Yves Klein, Sigmar Polke, Jackson Pollock ou Thomas Schütte, l'exposition présente des dessins émouvants de survivants d'Hiroshima et de Nagasaki, considérés comme des œuvres de mémoire collective, ainsi que des photos inédites après l'explosion des bombes surnommées par l'armée américaine "Little Boy" et "Fat Man".
Colonialisme nucléaire et féminisme
Dès la fin des années 60, une conscience écologique accrue émerge avec la menace persistante que représente l'énergie nucléaire pour la vie.
L'exposition met en lumière des collectifs autochtones aux États-Unis, en Afrique ou dans le Pacifique, qui se révoltent contre ce qu'ils appellent le
: les essais nucléaires et le travail d'extraction d'uranium par leurs populations.
Photos et œuvres d'art témoignent également de l'héritage toxique de ces activités en Algérie, en Polynésie, sur la côte ouest des États-Unis et en Afrique du Sud.
Un autre volet marquant: le féminisme écologique et antimilitariste des années 60 autour du nucléaire et son militantisme, à la croisée de l'art et de l'activisme.
En 1977, la peintre Hélène de Beauvoir, sœur de la romancière et philosophe Simone de Beauvoir, crée les "Mortifères", une toile exposée aux côtés d'une robe d'ampoules électriques multicolores de la Japonaise Atsuko Tanaka, ainsi que des gouaches de Nancy Spero, dénonçant les effets dévastateurs de la radioactivité sur les organes reproducteurs féminins.
L'exposition s'achève par des œuvres évoquant un hiver nucléaire dystopique et des dessins de la Française Natacha Nisic, inspirée par la catastrophe de la centrale japonaise de Fukushima en 2011, rappelant que
fait toujours partie de notre présent.