Procès de Samuel Paty: plaidoiries et réquisitions pour Brahim Chnina

16:4318/12/2024, mercredi
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Au procès de l’attentat Samuel Paty, les avocats de Brahim Chnina, accusé de complicité, plaident son innocence.
Crédit Photo : STEPHANE DE SAKUTIN / AFP
Au procès de l’attentat Samuel Paty, les avocats de Brahim Chnina, accusé de complicité, plaident son innocence.

Ce mardi, à trois jours de la fin du médiatique procès de l'attentat qui a coûté la vie à Samuel Paty, c'était au tour de la défense de Brahim Chnina, auteur d'une vidéo mettant en cause l'enseignant pour avoir exclu sa fille après avoir montré des caricatures du prophète Mohammed à sa classe de 4ème, de plaider.

Alors que le PNAT (Parquet national antiterroriste) a requis, lundi, une peine de 10 ans de prison dont 2/3 de sûreté, et une interdiction définitive du territoire français, ses avocats se sont livrés à de longues plaidoiries visant à contester non seulement la volonté de Brahim Chnina, de nuire à l'intégrité physique de Samuel Paty, mais l'existence même d'une association de malfaiteurs et ont réclamé sa relaxe.


À la barre, Maître Nabil El Ouchikli s'est d'abord penché sur cette qualification
"d'association de malfaiteurs terroriste"
retenue par le parquet en revenant sur la chronologie même des faits qui ont débuté le 7 octobre 2020, pour conduire le 16 octobre, à l'exécution du professeur d'Histoire, par le terroriste Abdoullakh Anzorov.

Demandant expressément à la Cour de
"sortir Abdoullakh Anzorov"
de l'équation qui mène à envisager l'existence d'une association de malfaiteurs terroriste, l'avocat a assuré qu'entre le 7 octobre et le 8 octobre, période au cours de laquelle, Brahim Chnina a produit les seuls éléments matériels qui lui sont reprochés, à savoir des SMS et une vidéo pour dénoncer l'exclusion de sa fille, celui-ci a toujours agi seul.

"Pour revenir sur l'infraction d'association de malfaiteurs terroriste, il faut, pour qu'elle existe matériellement, qu'il y ait 2 personnes à minima. Comment le 7 octobre, alors qu'il envoie ces messages et diffuse sa vidéo seul, a-t-il pu être en association avec Sefrioui qui n'est toujours pas intervenu dans ce dossier? C'est cela la réalité spatiale et temporelle. Vous ne pouvez pas condamner Brahim Chnina sur la base d'une association de malfaiteurs qui n'existe pas !"
a-t-il lancé face au Président et à ses assesseurs.

Et de poursuivre:
"Si cela constitue une association de malfaiteurs terroriste, on sort du monde réel".

La vidéo a été tournée par Brahim Chnina seul. Où est l'association ? Cette vidéo n'a ni été commandée, ni dirigée, ni demandée par Abdelhakim Sefrioui, c'est lunaire que de l'affirmer.

Ainsi, pour Maître El Ouchikli, s'il ne peut pas y avoir d'association dans la mesure où son client a agi seul, celle-ci ne peut pas davantage être de nature terroriste, en l'absence de volonté d'attenter à la sécurité de la victime.


Il rappelle à cet effet que Brahim Chnina n'a jamais été menaçant à l'égard de Samuel Paty et que son seul souhait était d'obtenir une
"sanction administrative"
et souligne que tout au long de cette affaire, les mots les plus virulents utilisés pour qualifier le professeur sont
"malade"
et
"voyou".

Ainsi
"la réalité du dossier, c'est que pendant les 4 premiers jours, Brahim Chnina n'a aucun contact avec Abdelhakim Sefrioui"
qui va produire sa propre vidéo, qui n'a d'ailleurs pas été visionnée par Anzorov, le 12 octobre 2020, a martelé l'avocat, qui assure que son client n'a par ailleurs
"jamais eu conscience que l'enseignant pouvait être mis en danger".

Nabil El Ouchikli souligne à ce propos que lorsqu'il diffuse son premier message contenant notamment le nom de Samuel Paty et celui du collège dans lequel il enseignait, sur le réseau social Facebook, le soir du 7 octobre, il prend la décision de retirer ces éléments d'identification dans la foulée
"non pas parce qu'il a envisagé qu'il pouvait être menacé mais simplement parce qu'un contact le lui demande".

"Après avoir retiré le nom de l'enseignant et de l'établissement, Brahim Chnina ne les diffusera plus jamais",
a-t-il précisé, promettant que la seule volonté du père de famille était de dénoncer une discrimination dont il considérait que sa fille, collégienne, a été victime.

Dans la dernière partie de sa plaidoirie, le conseil de Brahim Chnina s'est attaqué aux nombreux amalgames qui ont été faits depuis le début du procès entre signe de religiosité et radicalisation terroriste.


Le terrorisme c'est les ceintures explosives, les bombes, les égorgements, ce n'est pas le Ramadan, les prières, et les pèlerinages à la Mecque !

"On accuse mon client, parce qu'il organise des pèlerinages pour les personnes handicapées, d'être un extrémiste !"
s'est-il insurgé devant la salle d'audience, pleine à craquer, dénonçant
"des raccourcis faits pour fabriquer une radicalité qui n'existe pas".

Après lui, Maître Louise Tort, elle aussi avocate de Brahim Chnina a expliqué combien le père de famille était
"écrasé"
par
"le rouleau-compresseur qui empêche de vivre-ensemble".

"Ces 4 années à tenter de venir expliquer ce que personne ne veut entendre, je les ai vécues comme un échec personnel et collectif"
a-t-elle expliqué, considérant que Brahim Chnina n'a jamais été entendu.

Ces plaidoiries intervenaient au lendemain des réquisitions prononcées par le PNAT à l'encontre des huit prévenus qui comparaissent devant la Cour d'Assises depuis le 4 novembre.


Dans le détail, le parquet a requis 14 et 16 ans de prison dont 2/3 de sureté contre Azim Epsirkhanov et Naim Boudaoud, considérant qu'ils
"étaient pleinement conscients"
de l'idéologie du terroriste Abdoullakh Anzorov et qu'ils lui
"ont fourni les conditions matérielles de les mettre en oeuvre".

Tout au long des débats, les deux prévenus, incarcérés depuis 4 ans à l'isolement, n'ont eu de cesse de clamer leur innocence en assurant n'avoir jamais eu connaissance du projet mortifère de leur ami, qui les a utilisés
"comme pigeons".

Pointant une
"campagne mensongère destinée à nuire à Samuel Paty"
et un prétendu
"séparatisme islamiste"
, le PNAT considère également que le mode d'action utilisé par Brahim Chnina et Abdelhakim Sefrioui en publiant des vidéos pour dénoncer le professeur, visait à
"pousser, en connaissance de cause, les autres à agir"
en participant à la diffusion
"massivement virale de messages le désignant".

Alors même que rien, au cours de l'enquête, n'a permis d'établir qu'Abdoullakh Anzorov a visionné la vidéo d'Abdelhakim Sefrioui, ou que Brahim Chnina était informé d'une volonté de passage à l'acte du terroriste, les avocats généraux ont demandé à la Cour de condamner les deux hommes à des peines respectives de 12 et 10 ans de prison dont 2/3 de sureté, pour des faits qualifiés
"d'association de malfaiteurs terroriste".

Enfin sur le volet qui concerne le supposé soutien idéologique apporté par les quatre derniers prévenus, le PNAT a demandé la condamnation de Louqmane Ingar à 3 ans de prison assortis d'un sursis probatoire de 2 ans pour des faits d'association de malfaiteurs terroriste tandis que pour Ismaïl Gamaev, une peine de 5 ans dont 18 mois avec sursis, a été réclamée afin que les deux prévenus
"ne soient pas réincarcérés"
car
"ils présentent les garanties suffisantes pour prévenir les risques de réitération".

Les avocats généraux ont enfin requis une condamnation à un an de prison avec une obligation de soins, pour apologie publique du terrorisme à l'encontre de Yusuf Cinar et une peine de 18 mois de prison assortis d'un sursis probatoire de 3 ans à l'encontre de Priscilla Mangel, pour des faits de provocation au terrorisme.


Pour rappel, le procès de l'attentat qui a coûté la vie à Samuel Paty s'est ouvert le 4 novembre à Paris, et durera jusqu'au 20 décembre selon le calendrier prévisionnel transmis par le PNAT (Parquet National Antiterroriste) à Anadolu.

Quatre ans après les faits, la justice doit déterminer les responsabilités des huit accusés, dans l'assassinat, le 16 octobre 2020, de Samuel Paty, professeur d'histoire-géographie au collège du Bois d'Aulne à Conflans-Sainte-Honorine, décapité à la sortie des cours par un ressortissant russe, d'origine tchétchène, âgé de 18 ans.


Son bourreau, Abdoullakh Anzorov, abattu dans la foulée par les forces de l'ordre, reprochait à l'enseignant d'avoir montré à ses élèves, des caricatures issues du journal satirique Charlie Hebdo et mettant en scène le prophète Mohammed nu.


L'attentat avait provoqué une onde de choc dans tout le pays, et le nom de Samuel Paty fait depuis office de symbole. Six mineurs ont déjà été condamnés par le tribunal pour enfants, au terme d'un procès intervenu fin 2023.


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