Au procès de l'attentat contre Samuel Paty, les accusations de radicalisation de certains prévenus fragilisées

11:5816/12/2024, Pazartesi
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Des membres du public sont assis devant un portrait de Samuel Paty tandis que Gabriel Attal, ancien ministre français de l'Éducation et de la Jeunesse, prononce un discours à l'université de la Sorbonne, à Paris, le 14 octobre 2023.
Crédit Photo : GEOFFROY VAN DER HASSELT / AFP
Des membres du public sont assis devant un portrait de Samuel Paty tandis que Gabriel Attal, ancien ministre français de l'Éducation et de la Jeunesse, prononce un discours à l'université de la Sorbonne, à Paris, le 14 octobre 2023.

La Cour d'assises spécialement composée examine cette semaine à Paris, l'implication de plusieurs mis en cause dans l'attentat qui a coûté la vie à Samuel Paty le 16 octobre 2020.

Après s'être focalisée sur les cas d'Azim Epsirkhanov, Naïm Boudaoud (deux ancien amis du terroriste Abdoullakh Anzorov), Brahim Chnina et Abdelhakim Sefrioui (les auteurs de vidéos dénonçant la diffusion de caricatures du prophète Mohammed), la justice s'efforce d'établir le degré d'implication des quatre derniers accusés.


Avant une semaine qui s'annonce particulièrement intense avec les plaidoiries et le délibéré attendu pour le 20 décembre, c'est au tour de Yusuf Cinar, Louqman Ingar, Ismail Gamaev et Priscilla Mangel d'être au cœur des débats.

Dans ce dernier volet d'un procès historique, les quatre accusés, qui ont tous été en communication avec Abdoullakh Anzorov sur les réseaux sociaux, sont soupçonnés de lui avoir apporté un soutien idéologique.


De fait, l'enquête s'est focalisée sur leur éventuelle radicalisation et dépeint des jeunes, acquis à des thèses religieuses violentes et radicales.


Mais les interrogatoires successifs des fonctionnaires de police affectés à la SDAT (sous-direction antiterroriste) et à la DGSI (direction générale de la sécurité intérieure), sont venus semer le trouble et montrent des raisonnements souvent fragiles, étayés par très peu d'éléments factuels.

Mi-novembre déjà, la SDAT avait laissé transparaître les lacunes de son raisonnement concernant Azim Epsirkhanov et Naïm Boudaoud, donc les expertises psychologiques écartent formellement la radicalisation.


Au cours des débats, les amalgames se sont à nouveau succédés, forçant par exemple Naïm Boudaoud à s'expliquer sur la présence de l'application Muslim pro (NDLR: Qui donne notamment les horaires de prières), sur son téléphone, ou encore sur le visionnage d'une vidéo de l'imam Abdelmonaïm Boussenna, accusé par l'avocat général d'être un
"imam salafiste",
avant d'être repris par l'un des avocats de la Défense qui a dénoncé des "contre-vérités".

La veille, c'est Azim Epsirkhanov qui avait eu à faire les frais de questionnements très peu compréhensibles de la part du ministère public.


"Savez-vous que c'est aussi la phrase qu'a utilisée Anzorov?"
lui avait lancé la vice-procureure du parquet national antiterroriste, concernant la phrase
"c'est à Dieu que nous appartenons et vers lui que nous retournerons",
sans avoir l'air de savoir qu'il s'agit d'une formule utilisée par l'ensemble des musulmans après un décès.

L'accusé a alors expliqué que cette phrase est liée à la mort d'un de ses amis, fin septembre 2020.


Sur place, plusieurs observateurs se sont offusqués, dans les rangs du publics et des familles des prévenus, de la manière dont la pratique religieuse semble être mise en accusation par certains intervenants.

Mais les expertises qui ont été passées par Naïm Boudaoud et Azim Epsirkhanov durant leur passage en quartier d'évaluation de la radicalisation, en prison, viennent balayer les allusions de certains avocats des parties civiles et du parquet.


Quelques jours plus tard, un agent de la SDAT, venu témoigner du profil d'Abdelhakim Sefrioui, a lui aussi été mis en difficulté par les questions des avocats du prévenu, poursuivi pour des faits d'association de malfaiteurs terroriste pour avoir notamment publié une vidéo mettant en cause Samuel Paty.


Après avoir dépeint un militant au profil inquiétant, proche des Frères musulmans, acquis à des thèses radicales et violentes dans la sphère privée, l'enquêteur a eu bien du mal à étayer ses propos, par ailleurs, largement contredits par les proches de Sefrioui.


"Je n'ai pas d'informations", "je n'ai pas d'éléments"
a-t-il mécaniquement répondu à quasi toutes les questions posées par Ouadie Elhamamouchi, Colomba Grossi et Vincent Brengarth qui défendent le sexagénaire.

Et le clou a été enfoncé par son actuelle compagne et puis par son ex-épouse qui ont toutes les deux décrit à la barre, un homme éloigné de toute violence ou radicalité, un père de famille aimant, seulement animé par les causes qui lui sont chères, dont la lutte contre l'islamophobie et la question palestinienne.

De leur côté, Louqman Ingar, de Yucuf Cinar et de Priscilla Mangel, clament leur innocence et assurent n'avoir jamais eu connaissance du projet terroriste d'Abdoullakh Anzorov. Ils affirment tous les trois qu'ils n'ont jamais été radicalisés.


Interrogée mercredi par la Cour, Priscilla Mangel, qui est la seule femme à comparaître dans ce procès, avait communiqué avec l'assaillant dans les jours qui ont précédé l'attentat, sur le réseau social X.


Qualifiant ces discussions
"d'anodines"
, elle assure n'avoir jamais envisagé le passage à l'acte de son interlocuteur.

"J'ignorais son intention. La seule responsabilité que j'ai, c'est d'avoir participé à la polémique",
a-t-elle expliqué au Président durant son interrogatoire, tout en reconnaissant être opposée au droit au blasphème qui constitue selon elle, un frein
"à la fraternité ".

Et de promettre:
"J'ai une pratique modérée: prières, Ramadan, jeûne, voile. Les bases, en fait".

Mais je n'ai jamais eu d'idéologie, j'ai une croyance, une pratique, elle peut paraître rigoriste, mais je ne suis pas radicalisée.

Sur les huit accusés, seul Ismail Gamaev a reconnu les faits en expliquant avoir été radicalisé et avoir envisagé de partir vers une zone de combat, avant de cheminer vers un autre mode de pensée, au cours de son incarcération.


"On a l'impression que tout n'est que construction. Les profils des accusés, maintenant qu'ils ont été passés au crible, montrent que l'accusation a fait des liens sur la base de rien, parce qu'il fallait faire rentrer les gens dans des cases prédéfinies"
souffle l'un des avocats de la Défense auprès d'Anadolu.

Pour rappel, le procès de l'attentat qui a coûté la vie à Samuel Paty s'est ouvert le 4 novembre à Paris, et doit durer jusqu'au 20 décembre selon le calendrier prévisionnel transmis par le PNAT (Parquet National Antiterroriste) à Anadolu.

Et pour cause, quatre ans après les faits, la justice doit déterminer les responsabilités des huit accusés, dans l'assassinat, le 16 octobre 2020, de Samuel Paty, professeur d'histoire-géographie au collège du Bois d'Aulne à Conflans-Sainte-Honorine, décapité à la sortie des cours par un ressortissant russe, d'origine tchétchène, âgé de 18 ans.


Son bourreau, Abdoullakh Anzorov, abattu dans la foulée par les forces de l'ordre, reprochait à l'enseignant d'avoir montré à ses élèves, des caricatures issues du journal satirique Charlie Hebdo et mettant en scène le prophète Mohammed nu.


L'attentat avait provoqué une onde de choc dans tout le pays, et le nom de Samuel Paty fait depuis office de symbole. Six mineurs ont déjà été condamnés par le tribunal pour enfants, au terme d'un procès intervenu fin 2023.


Au cours des sept semaines prévues pour ce procès présidé par un juge assisté de quatre assesseurs, le rôle des huit accusés âgés de 22 à 65 ans, dont cinq comparaissent détenus, est examiné en détail pour déterminer les responsabilités de chacun, conformément à un arrêt de mise en accusation daté du 13 septembre 2023.


Parmi les accusés, figurent deux des proches d'Abdoullakh Anzorov, Azim Epsirkhanov et Naim Boudaoud, qui répondent de faits qualifiés de complicité d'assassinat terroriste et encourent une peine de prison à perpétuité.

Tous deux âgés respectivement de 23 et 22 ans, sont soupçonnés d'avoir aidé le tueur de Samuel Paty, en l'accompagnant dans l'achat d'armes mais nient avoir eu connaissance du projet terroriste. Naim Boudaoud l'a, par ailleurs, déposé sur les lieux de l'attentat.


Brahim Chnina et Abdelhakim Sefrioui, âgés de 52 et 65 ans et tous deux également détenus depuis les faits, ont à répondre à des accusations d'association de malfaiteurs terroriste.


Dans le détail, Abdoullakh Anzorov, qui n'était aucunement lié à l'établissement ni à Samuel Paty, a vraisemblablement eu connaissance des faits suite à la polémique engendrée par la diffusion d'une vidéo, devenue virale et diffusée par Brahim Chnina, l'un des parents d'une élève, dénonçant la démarche du professeur d'histoire-géographie.


Ce dernier, alerté par sa fille (dont l'enquête démontrera par la suite qu'elle n'était en fait pas présente au cours), est alors soutenu par le militant associatif Abdelhakim Sefroui, qui publiera, le 11 octobre, une autre vidéo qualifiant Samuel Paty de
"voyou"
.

Leurs vidéos génèrent de très nombreux commentaires, et le nom de l'enseignant ainsi que celui de son établissement sont finalement divulgués, permettant à Abdoullakh Anzorov de l'identifier, le localiser, avant de se rendre sur les lieux pour le décapiter.


Yusuf Cinar, Ismaïl Gamaev, et Louqmane Ingar, tous trois âges de 22 ans et membres de divers groupes Snapchat auxquels participait Abdoullakh Anzorov, sont accusés de lui avoir apporté un soutien idéologique.

Le premier a notamment relayé le message de revendication de l'attentat ainsi que la photo de Samuel Paty décapité, le second est accusé d'avoir conforté son procès d'assassinat et d'avoir publié des messages de satisfaction après l'annonce de la décapitation de Samuel Paty. Le troisième, également âgé de 22 ans, comparait libre mais sous contrôle judiciaire pour avoir participé aux groupes Snapchat et évoquait un éventuel départ vers des zones de guerre pour y rejoindre une organisation terroriste.


Priscilla Mangel, la seule femme à comparaître devant la Cour d'Assises spéciale, est pour sa part âgée de 36 ans. Il lui est reproché d'avoir longuement et régulièrement échangé avec le terroriste en le confortant dans son projet.


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