France / Comparutions immédiates: une injustice accélérée

13:5510/07/2023, Pazartesi
MAJ: 10/07/2023, Pazartesi
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L'avocat, essayiste et cofondateur de la plateforme "Islamophobia", Rafik Chekkat. Crédit photo: AGENCE ANADOLU
L'avocat, essayiste et cofondateur de la plateforme "Islamophobia", Rafik Chekkat. Crédit photo: AGENCE ANADOLU

Dans une interview accordée à la presse, l'avocat Rafik Chekkat a souligné les jugements sévères et les lacunes des dossiers lors des audiences de comparution immédiate à Marseille qui ont eu lieu suite aux récentes violences urbaines en France ayant entraîné des procédures judiciaires accélérées et des peines sévères, suscitant des inquiétudes quant à l'équité de la justice.

Dans le contexte des violences urbaines qui ont eu lieu la semaine dernière dans l'Hexagone, suite au meurtre du jeune Nahel par un policier à Nanterre (Hauts-de-Seine), le Garde des Sceaux et ministre de la Justice Éric Dupond-Moretti a émis une circulaire demandant que les personnes interpellées soient jugées dans le cadre de procédures accélérées, ainsi qu'avec sévérité.


L'Agence Anadolu (AA) a interrogé l'avocat Rafik Chekkat, qui a assisté, la semaine dernière, aux audiences de comparution immédiate devant la 11ᵉ Cour correctionnelle de Marseille (Bouches-du-Rhône).



Me Chekkat a notamment fait état d'une forme de
"punition collective"
pour les prévenus, avec des jugements
"très sévères en pareille espèce"
.

Une procédure très accélérée et des peines très sévères


Interrogé par AA, l'avocat Rafik Chekkat a d'abord expliqué que
"des dizaines, même des centaines de personnes ont été présentées devant la Cour"
, en l'espace de quelques jours. Il s'agissait de personnes qui ont été arrêtées entre le 29 juin et le 2 juillet, dans le contexte des émeutes, notamment à Marseille.

"Les peines ont été très sévères, vraiment très sévères en pareille espèce. Tous les confrères ont rappelé cela. Je reprends les termes d'un confrère: pour les mêmes faits le reste de l'année, le tarif n'est absolument pas identique et on a jugé en fonction du contexte davantage qu'en fonction des faits"
, a témoigné Me Chekkat, ajoutant que
"les dossiers étaient très légers"
, alors que très souvent le procès-verbal des policiers interpellateurs faisait foi.

L'avocat précise que
"les magistrats s'appuyaient également sur ce que l'on appelle le 'PV d'ambiance', le procès-verbal d'ambiance qui est dressé par les policiers pour donner, comme son nom l'indique, une ambiance générale des faits sur la ville. Cela commence par exemple à vingt heures et puis ça finit à quatre heures du matin"
.

Me Chekkat indique que la plupart du temps, les magistrats se sont appuyés sur le procès-verbal d'interpellation et le PV d'ambiance pour pallier la lacune des dossiers, l'avocat faisant état de
"très peu d'éléments dans les dossiers"
, alors que, très souvent, les vidéos de caméras n'ont pas pu être exploitées et qu'il n'y a eu ni témoignage, ni confrontation entre le policier interpellant et le prévenu.

Il a également déploré l'urgence dans laquelle le système judiciaire et notamment les avocats ont dû travailler.


"Pour vous donner une idée, un avocat peut recevoir un dossier à seize heures, sans connaître la date d'audience, et il apprend dans la soirée, vers 20, 21 heures, que l'audience aura lieu le lendemain, soit le matin, soit en début d'après-midi"
, précise-t-il avant d'ajouter que dans ces conditions, il est très difficile de travailler correctement sur le dossier. Et de résumer:

On peut dire que la comparution immédiate est à la justice, ce que le 49.3 est à la vie parlementaire, c'est une procédure accélérée.

En d'autres termes, il n'y a pas place au débat, aux discussions de divers éléments du dossier, qui pourraient potentiellement changer l'issue judiciaire.


Maintien en détention systématique


Me Rafik Chekkat rappelle qu'il est possible pour les prévenus de refuser de comparaître immédiatement et de demander un délai pour préparer leur défense et, auquel cas, une date ultérieure d'audience sera fixée, généralement entre deux à six semaines plus tard.

Dans ce cas, la Cour va examiner ce que l'on appelle
"les garanties de représentation"
, pour savoir si le prévenu a, par exemple, un travail, une adresse fixe et s'il présente toutes les garanties de se présenter à l'audience qui sera fixée quelques semaines après, explique l'avocat.

Cependant, dans ce cas,
"dans la séquence exceptionnelle dans laquelle nous sommes, systématiquement, la Cour ordonne le maintien en détention, c'est-à-dire que vous demandez un délai pour préparer votre défense, mais [que vous soyez coupables ou innocents, NDLR] vous allez demeurer incarcérés"
, déplore l'avocat.

"Et beaucoup de personnes, en se disant qu'elles n'avaient rien à se reprocher, choisissaient de comparaître immédiatement, en se disant que si elles étaient relaxées le soir même, elles pouvaient rentrer chez elles, alors que si elles demandaient un délai pour se défendre, elles allaient rester un mois en prison et à l'issue de ce mois-là, si elles étaient relaxées, elles auraient fait un mois de détention pour rien"
, ajoute l'avocat.

"C'est la raison pour laquelle la plupart des personnes ont accepté de comparaître immédiatement. Il y a eu quelques exceptions et ces personnes-là, qui ont demandé un délai, ont vu l'audience repoussée pour que leur cas soit examiné le 1ᵉʳ août et d'ici au 1ᵉʳ août, elles vont rester en détention"
précise Me Rafik Chekkat qui ajoute ce qui suit:

Les personnes qui ont accepté de comparaître immédiatement ont quasi toutes été condamnés à des peines de prison ferme.

L'avocat ajoute que de telles peines
"ne sont jamais prononcées telles quelles en pareille espèce le reste de l'année"
, soulignant que beaucoup de prévenus n'avaient pas de casier judiciaire, et que dans de nombreux cas, les actes qui auraient été commis n'étaient pas clairement établis par preuve ou témoignage.

"Par exemple, un lycéen que l'on a accusé d'avoir jeté un objet en caoutchouc sur des policiers. Mais, le dossier n'est pas très clair. Les faits ne sont pas clairement établis. Il a été condamné à douze mois de prison, dix avec sursis, et deux mois de prison ferme, il va les accomplir et il va passer le mois de juillet, le mois d'août en prison et reprendre la rentrée des classes en septembre"
, explique-t-il.

"Pareillement, une jeune femme qui a 19 ans, est entrée dans un magasin de sport à Marseille. Elle en est ressortie sans rien, sans objet. Elle a été condamnée à quatre mois de prison ferme, avec maintien en détention. Elle aussi est en prison depuis lundi, même depuis son interpellation, parce qu'elle a fait 48 heures de garde à vue et ensuite, elle a dormi en détention"
.

L'avocat cite encore de nombreux exemples et invite les lecteurs à se rendre sur son compte Twitter pour en prendre connaissance.


Une "punition collective" loin de la réalité médiatique


Dans la suite de son entretien, accordé à Anadolu, Rafik Chekkat fait remarquer deux éléments pertinents quant à ces comparutions immédiates.


"La première, qui est assez particulière, c'est que si vous êtes arrêtés au même moment, vous serez jugés en même temps. Par exemple, il y a des personnes qui ont été arrêtées parce qu'elles se trouvaient dans le magasin Foot Locker pour faire des 'snaps' des heures après le pillage. Cela donne une impression désastreuse devant la Cour. Vous êtes sept personnes à comparaître en même temps. On examine les dossiers des sept cas en même temps, ce qui donne une impression d'indifférenciation totale. On ne sait plus qui est qui. Vraiment, on s'y perd un petit peu dans les faits, les noms, les éléments propres et singuliers à chaque dossier. Donc, ça, c'est une chose, à savoir: si vous êtes arrêtés en même temps, vous êtes jugés en même temps"
, explique Me Chekkat.

"Et l'autre chose particulière, c'est que toutes les personnes qui ont été arrêtées et qui ont comparu devant la 11ᵉ chambre correctionnelle à Marseille, sont les personnes qui arrivent sur les lieux, c'est-à-dire un magasin était éventré, la porte, par exemple, ou l'enseigne, la vitrine du magasin, est fracturée, brisée, cassée, selon diverses modalités, par exemple à 21 heures ou 22 heures, ou à minuit. Et, les personnes que l'on arrête, ce sont celles qui passent soit dans le magasin, soit à proximité du magasin, qui ramassent des objets au sol ou qui entrent dans le magasin, des heures après (trois heures, quatre heures, jusqu'à même six heures, sept heures du matin). Donc, il ne s'agit pas, entre guillemets, de la première vague, ni même de la deuxième et de la troisième, de la quatrième vague, et il s'agit en réalité, pour beaucoup de cas, des marginaux",
fait-il remarquer.

"Il y a beaucoup de personnes SDF (sans domicile fixe), par exemple, qui ont comparu, des personnes qui n'ont pas d'adresse fixe, c'est-à-dire les personnes qui errent, qui sont dehors à deux heures, trois heures, quatre heures du matin.
Ce n'est absolument pas le profil qui a été dépeint dans les médias, sur les grandes chaînes d'information en continu, de casseurs, de pilleurs. Et, ce n'est absolument pas ça! Ce n'est absolument pas le profil des personnes qui ont comparu durant la semaine"
, explique Rafik Chekkat.

"Par exemple, il faut savoir qu'en termes d'âge, là, il y avait que des majeurs, évidemment, mais ça allait de 18, 19, 20 ans, à 25, 30, 35, voire 50 ans. C'est un profil qui est assez différent de celui qui a été dépeint ou ce que l'on a pu voir sur les réseaux sociaux ou les grands médias"
, souligne l'avocat.

"On fait une sorte de 'punition collective', c'est-à-dire que l'on se dit que ces prévenus-là, qui sont devant nous, dans la Cour, vont prendre pour tous les autres. On abime l'image de la Justice, non seulement pour les personnes qui sont condamnées, mais aussi pour l'ensemble de la population et toutes les personnes qui ont pu assister et qui ont pu déplorer la sévérité des peines"
, note l'avocat ajoutant que l'
"on hypothèque des vies, parce que l'on condamne à de la prison ferme des personnes pour des faits qui sont certes répréhensibles pénalement, mais qui, le reste de l'année, partout dans toutes les juridictions en France, ne méritent pas, et en tout cas auxquels on n'applique pas une telle sévérité: pour avoir ramassé un t-shirt, un pantalon, une paire de lunettes au sol ou un parfum, être condamné à une peine de prison ferme, c'est totalement injustifié, selon moi, et ça a été dénoncé par beaucoup de personnes"
, note-t-il encore.

Interrogé par Anadolu sur le droit des prévenus de faire appel de ces sentences, Me Rafik Chekkat explique que ceux-ci ont 10 jours pour faire appel. Cependant, l'avocat fait remarquer que la Cour d'Appel d'Aix-en-Provence prononce quasi systématiquement des peines plus lourdes pour dissuader les justiciables de faire appel. Me Chekkat confirme que le temps que leur appel soit examiné, les détenus restent incarcérés.

L'avocat ajoute que les délais sont très variables pour l'appel.
"En effet, si vous êtes condamnés à quatre mois de prison, il n'y a pas grand intérêt de faire appel"
, explique-t-il.

Sur son compte Twitter, Me Chekkat rappelle également la nécessité d'une justice indépendante, notamment du pouvoir exécutif. Un autre avocat rappelle que si le Parquet est dans son rôle, les magistrats du siège sont quant à eux indépendants. Ils ne doivent pas subir (en théorie) de pressions politiques.


Et, l'avocat de citer un de ses confrères faisant référence à un dossier qu'il a eu à traiter et qui a vu une peine de prison infligée au prévenu:
"On ne doit pas condamner en fonction du contexte, mais du dossier. Et, celui-ci est vide"
, observe-t-il. Même si l'avocat ne se permet pas d'utiliser ces termes, il s'agit en réalité d'une injustice accélérée.

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