Le revers de Nippon Steel aux Etats-Unis, coup de semonce pour les investisseurs japonais

16:157/01/2025, mardi
AFP
Le président-directeur général de Nippon Steel, Eiji Hashimoto, s'exprime lors d'une conférence de presse au siège de la société à Tokyo, le 7 janvier 2025.
Crédit Photo : Kazuhiro NOGI / AFP
Le président-directeur général de Nippon Steel, Eiji Hashimoto, s'exprime lors d'une conférence de presse au siège de la société à Tokyo, le 7 janvier 2025.

En bloquant l'acquisition de U.S. Steel par Nippon Steel au nom de la "sécurité nationale", Washington prend le risque de décourager les entreprises étrangères, alors que le Japon, un proche allié, est la première source d'investissements aux Etats-Unis, avertissent experts et milieux d'affaires.

Quels sont les arguments de Joe Biden ?


Le rachat du second aciériste américain, U.S. Steel, par le géant japonais de la sidérurgie Nippon Steel, annoncé en décembre 2023, a été bloqué vendredi par le président Joe Biden.


L'opération
"poserait des risques pour notre sécurité nationale et nos chaînes d'approvisionnement essentielles (...) Une industrie sidérurgique forte, détenue et exploitée au niveau national, représente une priorité essentielle"
, a-t-il expliqué.

Les Etats-Unis sont le premier importateur mondial d'acier, secteur dominé par la Chine (54% de la production mondiale).

Un panel chargé d'évaluer les conséquences de l'éventuel rachat sur la sécurité nationale (CFIUS) avait refusé de se prononcer fin décembre, renvoyant la question à M. Biden.


La
"sécurité nationale"
, argument politique?


Le gouvernement japonais a jugé la décision
"incompréhensible"
et réclamé à Washington d'
"expliquer clairement"
ses motivations.

Les autres transactions bloquées précédemment impliquaient des entreprises chinoises. Or, contrairement à Pékin, le Japon est un proche allié des Etats-Unis, avec 54.000 militaires américains basés dans l'archipel.

"Joe Biden suggère que le contrôle de U.S. Steel par une entreprise d'un pays étranger, même un allié majeur, présente en soi un risque inacceptable et incontrôlable"
, c'est une
"extension majeure"
du concept de sécurité nationale, s'étonne Sarah Bauerle Danzman, chercheuse du think-tank Atlantic Council, dans une note.

Les deux groupes ont déposé un recours devant la justice américaine, jugeant que Joe Biden
"a ignoré l'État de droit pour gagner les faveurs"
des syndicats et
"soutenir son programme politique"
, dénonçant une
"ingérence illégale"
.

L'acquisition concernait notamment la Pennsylvanie, Etat stratégique sur le plan électoral: outre l'hostilité syndicale, la classe politique américaine quasi-unanime s'opposait au rachat, Joe Biden s'étant dit déterminé à l'empêcher avant même les conclusions du CFIUS.


Un effet dissuasif pour les investisseurs ?


Les Etats-Unis, première économie mondiale, devraient rester incontournables: Nippon Steel lui-même s'est dit mardi toujours optimiste sur la forte
"demande d'acier de haute qualité"
du marché américain.

Pour autant, le risque d'interventions politiques va désormais devenir
"très difficile à prédire"
, affirme à l'AFP Yasuhide Yajima, économiste au NLI Research Institute à Tokyo.

"Les inquiétudes vont s'amplifier, cela constituera certainement un obstacle pour les entreprises japonaises, particulièrement dans l'industrie manufacturière"
, a-t-il ajouté.

Même analyse par John Murphy, vice-président de la Chambre de commerce américaine:
"la politisation par l'administration Biden de l'acquisition de U.S. Steel (...) pourrait avoir un effet dissuasif sur les investissements internationaux"
.

Voir Washington bloquer l'entreprise d'un pays allié en raison de
"menaces"
pour la sécurité a
"sans doute été une grande déception pour les groupes japonais"
, bousculant la conviction que
"le Japon était un grand ami des Etats-Unis"
, abonde Takehide Kiuchi, économiste chez Nomura.

Que pèsent les investissements japonais ?


Le Japon représente la première source d'investissements directs étrangers aux Etats-Unis, avec 783,3 milliards de dollars en 2023, soit 14,5% du total, selon des chiffres gouvernementaux américains.

Selon la Chambre de commerce américaine, les investissements nippons
"soutiennent presque un million d'emplois américains"
. Le constructeur automobile Toyota possède ainsi dix usines aux Etats-Unis, où il compte 49.000 employés.

Réciproquement, les Etats-Unis accaparent un tiers des investissements nippons. Mais face aux convictions protectionnistes du président élu Donald Trump, l'organisation patronale japonaise Keizai Doyukai appelle à la diversification.


"Dans des domaines liés à la sécurité économique, nous devrions renforcer la coopération avec des pays comme la Corée du Sud, l'Australie, les Philippines, l'Inde, pour ne pas devenir complètement dépendants des États-Unis"
, estime son président Takeshi Niinami.

Un risque pour les Etats-Unis eux-mêmes ?


La décision sur U.S. Steel
"pourrait ouvrir la porte à l'invocation spécieuse du souci de sécurité nationale"
pour rejeter des transactions
"pour des raisons de compétitivité économique ou favoriser des enjeux politiques nationaux"
, observe Mme Bauerle Danzman.

Au risque pour les Etats-Unis de ne plus apparaître comme un
"partenaire fiable"
, et paradoxalement
"d'entraver l'essor de chaînes d'approvisionnement plus résilientes dans les produits essentiels"
, des batteries aux semiconducteurs, pour lesquels ils ont besoin de la coopération d'autres pays, estime-t-elle.

Face à la domination chinoise dans l'acier, les États-Unis (moins de 5% de la production mondiale) ont besoin de partenaires.


U.S. Steel, en difficultés, avait lui-même décrit son rachat par Nippon Steel comme un moyen de
"combattre la menace concurrentielle de la Chine"
et d'assurer la prospérité future de l'entreprise.

En cas d'échec, il se verrait contraint de renoncer à des investissements massifs de modernisation, au prix de plans sociaux et de possibles fermetures d'aciéries, prévenait-il.


Plus généralement, selon M. Kiuchi, le risque est de saper la compétitivité même de la production industrielle américaine.


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