En Éthiopie, la désinformation alimente les profondes tensions ethniques

11:3023/01/2025, jeudi
AFP
En Ethiopie, l'intelligence artificielle est exploitée par les groupes en conflit pour diffuser de fausses informations, exacerbant les tensions ethniques dans un pays déjà fragilisé par des divisions politiques et sociales.
Crédit Photo : M>dia X / Archive
En Ethiopie, l'intelligence artificielle est exploitée par les groupes en conflit pour diffuser de fausses informations, exacerbant les tensions ethniques dans un pays déjà fragilisé par des divisions politiques et sociales.

Les partisans des groupes en guerre en Éthiopie utilisent l'intelligence artificielle et le faible niveau d'éducation aux médias pour répandre une désinformation qui alimente les tensions ethniques, préviennent des experts.

L'Éthiopie, deuxième pays le plus peuplé d'Afrique avec 120 millions d'habitants, est formée d'un complexe patchwork de groupes ethniques et connaît de profondes divisions politiques, qui ont parfois débouché sur des conflits.


Ce contexte est propice à la circulation de fausses informations parmi les 36 millions d'internautes éthiopiens.

À ce titre, le service de fact-checking (vérification des faits) de l'AFP a étudié de nombreuses vidéos truquées ces derniers mois, certaines concernant des discours modifiés du Premier ministre Abiy Ahmed ou encore la fausse annonce de la mort d'un chef rebelle.


Le faible niveau d'éducation aux médias
"aggrave les conflits préexistants"
et
"fait naître de nouveaux problèmes socio-politiques",
déclare Workineh Diribsa, professeur de journalisme à l'université de Jimma, en région Oromia.

Manipuler audios et vidéos


La guerre au Tigré (nord), qui a fait rage pendant deux ans, s'est terminée en 2022, mais le pays reste touché par plusieurs conflits, notamment en Amhara et en Oromia, où l'armée fait face à des groupes rebelles.


Les enquêtes du service de fact-checking de l'AFP ont montré que les belligérants répandent de fausses informations dans le but d'attiser les tensions et de dénigrer leurs opposants.


Par le passé, les textes et les légendes photos étaient modifiés. Aujourd'hui, des outils d'intelligence artificielle accessibles gratuitement permettent de manipuler facilement des audios et des vidéos.

Ainsi, une vidéo de M. Abiy de 2020 traitant du meurtre du célèbre chanteur Hachalu Hundessa a été truquée pour donner l'impression que le Premier ministre évoquait une décapitation qui aurait eu lieu en Oromia en novembre 2024.


En juillet 2024, des soutiens du gouvernement ont fait circuler une vidéo où une voix, probablement créée par intelligence artificielle, affirmait que Human Rights Watch demandait à la communauté internationale de classer comme organisation terroriste l'Armée de libération oromo, ce que l'ONG n'a jamais fait.

"Des discours de personnalités publiques peuvent être manipulés, de vieilles vidéos peuvent être sorties de leur contexte et des mots remplacés ou coupés pour les utiliser à mauvais escient",
explique Terje Skjerdal, un professeur de journalisme norvégien qui a beaucoup travaillé sur l'Ethiopie.

"Les belligérants en Ethiopie se battent pour le contrôle de l'information sur les réseaux sociaux, utilisant des stratégies de plus en plus sophistiquées de désinformation, tandis que le faible niveau d'éducation aux médias a empiré la situation",
ajoute-t-il.

"Hautement divisé"


Le faible niveau d'alphabétisation au sein de la jeunesse renforce encore le problème, selon un rapport de 2024 du Fonds de développement des Nations unies (UNCDF).


L'émergence des outils de désinformation a aussi coïncidé, en Ethiopie, avec une situation politique particulière: l'arrivée au pouvoir de M. Abiy, à l'issue d'une transition politique, puis le déclenchement de la meurtrière guerre du Tigré.

"Le public est hautement divisé au sujet d'objectifs politiques opposés, ce qui crée un terrain propice à l'utilisation de la désinformation, par les acteurs des conflits, comme une tactique pour contrôler le récit",
affirme Befekadu Hailu, un militant de la société civile.

Il souligne également le
"manque d'implication"
des médias locaux, indépendants comme publics, pour lutter contre le phénomène.

Selon M. Skjerdal, améliorer la connaissance du fonctionnement des médias est clé pour lutter contre la normalisation de contenus violents ou erronés.


"De plus, des initiatives de fact-checking, telles celles d'organisations indépendantes comme l'AFP, sont urgentes dans les langues locales",
ajoute-t-il.

L'AFP travaille actuellement dans 26 langues dans le cadre d'un partenariat de fact-checking avec Facebook.


La récente décision de Meta, sa maison-mère, de mettre fin à son programme de fact-checking aux États-Unis suscite des inquiétudes sur le fait que le géant de la tech puisse arrêter ce type de programme à travers le monde.


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