Crédit Photo : TOYIN ADEDOKUN / AFP
Vue d'une boutique de vente des vêtements en tissus Adire à Abeokuta, le 21 mai 2024. Le tissu, teint à l'indigo, met en valeur la culture des Yorubas, une ethnie influente du Nigeria.
Malgré la pluie battante qui s'abat sur le grand marché de Balogun à Lagos, la capitale économique du Nigeria, Ajoke prend son temps pour choisir le tissu Adire qu'elle souhaite offrir à l'une de ses amies.
Ce textile emblématique de la culture des Yorubas, l'une des principales ethnies du pays, est teint à l'indigo.
Pour faire son choix, la jeune femme de 21 ans parcourt différents tissus aux couleurs vives afin de distinguer les étoffes traditionnelles nigérianes en coton des contrefaçons en polyester fabriquées en Chine.
lance Ajoke en brandissant un tissu chinois à motifs violets payé 3 300 nairas (environ 2,30 euros), deux fois moins cher qu'un tissu local.
Les contrefaçons d'Adire chinoises sont populaires auprès des consommateurs nigérians, mais elles portent préjudice à l'industrie textile des Yorubas au Nigeria.
À 80 kilomètres de Lagos, Somodale Akomo Amosa, 86 ans, présidente du grand marché de l'Adire à Abeokuta, dans le sud-ouest du pays depuis 22 ans, déplore l'arrivée de la concurrence chinoise il y a une dizaine d'années.
"Ses revenus ont diminué au fil des années. Elle n'a vendu que cinq tissus depuis dix jours",
confie l'une de ses filles.
Abeokuta, surnommée
abrite près de 2 000 marchands et producteurs, selon les données gouvernementales.
Concurrence et crise économique
Pour créer les étoffes d'Adire, les producteurs Yorubas utilisent la technique du
Cette méthode consiste à nouer et plier le tissu à la main avant de le teindre pour créer des dégradés de couleurs et des motifs, explique Tunde M. Akinwumi, professeur de design textile africain à la retraite et auteur d'un livre sur l'Adire.
Malgré les difficultés, Somodale Akomo Amosa refuse de voir les producteurs nigérians d'Adire utiliser des machines pour réduire les coûts de production, et donc de vente, de leurs tissus comme le font les Chinois.
Cela
"nuirait à la tradition et à l'originalité des produits",
estime celle qui est l'une des rares marchandes d'Adire à ne pas céder à la tentation chinoise.
En plus de la concurrence chinoise, elle déplore la crise économique qui secoue le pays et empêche selon elle la population d'avoir assez d'argent pour s'offrir des tissus d'Adire traditionnels.
Cette crise, l'une des pires depuis des années au Nigeria, a été aggravée par les réformes économiques du président nigérian Bola Tinubu, au pouvoir depuis un an, qui ont augmenté le coût de la vie.
D'autres commerçants, comme Christiana Morenikeji Ilesanmi, estiment ne pas avoir le choix.
"Nous nous sentons mal, mais ce serait pire si d'autres personnes les vendaient, et pas nous",
confesse cette femme de 56 ans qui se fournit chez des grossistes dans la mégalopole de Lagos.
de l'Adire,
"les personnes à revenu modeste comme celles à revenu plus élevé"
, ajoute-t-elle, assurant vendre plus d'imitations chinoises que de tissus traditionnels nigérians.
Les visiteurs sont également de moins en moins nombreux à passer commande directement au centre principal de production d'Adire d'Abeokuta, situé à quelques minutes à pied du marché, affirme Mme Ogunyinka, productrice d'Adire de 55 ans.
"Avant, les gens venaient nombreux ici pour commander des robes pour des mariages ou des grandes occasions, mais ce n'est plus le cas",
déplore-t-elle.
Pour tenter de venir en aide à l'industrie textile de la ville, la présidence nigériane a annoncé en mars dernier l'attribution de 200 magasins à 400 commerçants à des tarifs éduits dans le grand marché d'Adire d'Abeokuta, dans le cadre d'un projet d'aide national aux entreprises.
L'an dernier, Olusegun Obasanjo, ancien chef de l'Etat du Nigeria de 1976 à 1979, puis de 1999 à 2007, avait demandé aux autorités de mettre fin à l'importation des contrefaçons d'Adire chinoise au Nigeria. Mais rien n'a changé depuis.
En 2020, l'Etat fédéral nigérian et le gouvernement de l'Etat d'Ogun ont également lancé un site internet permettant aux marchands de vendre leur Adire "original et haut de gamme" dans l'ensemble du pays mais aussi à l'international.
"La production d'Adire est un héritage familial pour nous, d'autres sont venus l'apprendre de nous, c'est notre métier, c'est mon métier"
, défend Somodale Akomo Amosa, qui souhaite que ses descendants puissent produire et vendre des étoffes d'Adire le plus longtemps possible.
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