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Quelles conséquences géopolitiques majeures peut-on attendre de l’élargissement des BRICS ?

Les BRICS vont passer de cinq à onze membres désormais, avec l’intégration de l’Arabie saoudite, de l’Iran, de l’Egypte, des Emirats arabes unies, de l’Argentine et de l’Ethiopie. Un élargissement qui confirme une dynamique de mutations géopolitiques et qui entraînera probablement des conséquences économiques et politiques majeures.

La rédaction
16:23 - 25/08/2023 vendredi
MAJ: 17:02 - 25/08/2023 vendredi
Yeni Şafak
Le Président brésilien Luiz Inacio Lula da Silva, le Président chinois Xi Jinping et le Président sud-africain Cyril Ramaphosa au sommet 2023 des BRICS à Johannesburg, le 23 août 2023. Crédit Photo: GIANLUIGI GUERCIA / POOL / AFP
Le Président brésilien Luiz Inacio Lula da Silva, le Président chinois Xi Jinping et le Président sud-africain Cyril Ramaphosa au sommet 2023 des BRICS à Johannesburg, le 23 août 2023. Crédit Photo: GIANLUIGI GUERCIA / POOL / AFP
"Les BRICS entament un nouveau chapitre"
. Ce sont les mots du président de l’Afrique du Sud Cyril Ramaphosa, au deuxième jour du 15e sommet des BRICS qui s’est terminé ce jeudi 24 août à Johannesburg. Des mots qui viennent en complément de l’annonce de l’élargissement des BRICS. Le président sudafricain a annoncé en effet, que l’Arabie saoudite, l’IRAN, l’Egypte, les Emirats arabes unies, l’Argentine et l’Ethiopie rejoindront officiellement le “bloc”, à partir du 1er janvier 2024. Une annonce retentissante synonyme d’une entrée des BRICS dans une nouvelle dimension.


Un poids économique majeur


En 1990, le Brésil, la Russie, l’Inde, la Chine et l’Afrique du Sud ne représentaient que 5% du PIB mondial. L’acronyme BRICS dont la première utilisation est attribuée à l’économiste de Goldmann Sachs Jim O'Neill - pour désigner quatre économies à la croissance rapide et se trouvant à des stades de développement comparables – a été ainsi officialisé en 2011 en tant que “bloc de pays non-alignés”, se réunissant chaque année dans le cadre d’un sommet, et soucieux de renforcer leur influence géopolitique et leur coopération.


En 2023, les BRICS passent de 26% à 29% du PIB mondial avec l’intégration des six nouveaux membres. Outre la représentativité économique qui fera désormais une des forces majeures des BRICS à 11 (face au G7), il y a aussi la représentativité démographique. Ce bloc représente désormais 46% de la population mondiale. Et les profils de pays acceptés confirment la stratégie.

Recherche de leadership et de légitimité populaire


Si un pays comme l’Ethiopie a été accepté, ce n’est peut-être pas sur la base économique, même si celle-ci avait enregistré une croissance dynamique dans les années 2010, avant de ralentir considérablement à cause de calamités climatiques, du Covid-19 et de la guerre au Tigré. Mais le pays d’Afrique de l’Est a d’autres atouts (car la puissance n’est pas juste économique, elle est aussi démographique) : elle est le deuxième pays africain le plus peuplé, avec une population de 126 millions d’habitants, derrière le Nigéria et devant l’Egypte (112 millions) justement, l’autre pays africain qui intègre aussi les BRICS. L’Ethiopie et l’Egypte ont non seulement une importance démographique majeure mais sont aussi des puissances régionales. Un leadership qui va désormais bénéficier aux BRICS qui se donnent ainsi aussi, une présence non négligeable dans des régions stratégiques aux enjeux géopolitiques multiples.


Energie et dollars : les BRICS comme bloc contre-hégémonique


Mais le grand bouleversement que pourrait avoir ce renforcement des BRICS s’articule autour de la question de l’énergie.
"Avec l'arrivée de ces nouveaux membres, en particulier les principaux producteurs de pétrole, la configuration des Brics représente une part beaucoup plus importante de l'économie et de la population mondiales”
, confie au Guardian Margaret Myers, directrice du programme Asie et Amérique latine au Dialogue interaméricain. Dans le top 10 des producteurs de pétrole, il y a six représentants des BRICS : la Russie (2e), l’Arabie saoudite (3e), la Chine (5e), le Brésil (7e), les EAU (8e) et l’Iran (9e).

L’entrée de Riyad à elle seule redistribue les cartes de la géopolitique mondiale.

Le pétrole saoudien a été une des bases de l’hégémonie américaine sur l’énergie et avec le dollar en particulier. En 1979, la Commission mixte américano-saoudienne sur la coopération économique décide de mettre sur pied ce système avec les clauses suivantes : vendre son pétrole au reste du monde dans une seule devise, le dollar américain ; réinvestir ses réserves excédentaires en dollars dans des titres du Trésor américain et des entreprises américaines (qui contribuent à améliorer les infrastructures de l'Arabie saoudite par le biais de transferts de technologie). Ces clauses se sont ensuite étendues aux autres membres de l’OPEP et ont permis de maintenir et de renforcer considérablement l’hégémonie du dollar et de l’économie américaine.


Mais depuis la venue de Joe Biden au pouvoir aux Etats-Unis, le torchon brûle entre Riyad et Washington. Les prises de position assez hostiles du président américain à l’encontre de la monarchie saoudienne, ont jeté les bases d’une distanciation entre les deux camps, qui ont toujours eu pourtant, un partenariat stratégique profond.

Depuis, la Russie a aussi envahi l’Ukraine et les appels de Biden à l’Arabie saoudite visant à étendre les quotas d'approvisionnement en brut afin de limiter la hausse des prix du pétrole (conséquence de la guerre), ont été inaudibles. Depuis lors, l’Arabie saoudite s’est même davantage tournée vers la Chine, qui n’a d’ailleurs pas hésité à jouer le rôle de médiateur pour le réchauffement des relations diplomatiques entre Ryad et Téhéran il y a quelques semaines. Les deux pays ont considérablement renforcé leurs relations économiques et financières ces dernières années. Ce qui est visible et le plus important, c’est que cette tendance plus ou moins à s’isoler des Etats-Unis arrange tout le monde.


Dédollarisation !


Depuis le début du conflit russo-ukrainien, la Russie et la Chine encouragent une dédollarisation du système mondial. La première n’a pas hésité à vendre ses ressources en roubles après avoir fait l’objet de sanctions économiques, incluant notamment sa suspension du système de transaction SWIFT. La deuxième, qui s’est posée en contre-hégémon du système américain, n’a pas hésité à renforcer l’utilisation du Yuan ces derniers mois. Les deux pays ont en outre bien renforcé leurs échanges économiques, en plus de la présence de l’Inde. En effet, la Chine et l’Inde représentent désormais 40% des exportations de pétrole russe. En Inde, le brut russe représente environ 17% des importations - contre moins de 1% avant l'invasion. Et tout cela s’étant fait hors circuit du dollar, avec notamment le système CIPS, un système de transaction compensant les règlements internationaux et les échanges en Renminbi. Même l'Iran a commencé à exporter du brut vers la Chine sous les sanctions américaines sans utiliser le dollar américain pour les règlements.


Tous ces paramètres participent bien évidemment à une dédollarisation qui risque de s’accélérer avec le “mercato” stratégique du BRICS. L’idée d’une monnaie commune est d’ailleurs à l’étude mais l’alternative la plus prometteuse du groupe actuellement, est l’utilisation renforcée des monnaies locales pour les transactions. Et dans cette perspective, Vladimir Poutine n’a pas caché son enthousiasme.
"Les objectifs et le processus irréversible de dédollarisation de notre économie avancent"
, a-t-il lâché.

Evidemment, l’entrée de nouveaux membres ne garantit pas forcément illico presto la fin du système et des régimes implémentés par les Etats-Unis depuis 1945. Mais les BRICS entrent clairement dans une nouvelle dimension, un nouveau consensus, destiné à renforcer une nouvelle vision géopolitique du monde, avec les institutions et les régimes capables d’être de réelles alternatives à ce qu’a offert jusque-là le bloc des occidentaux autour des Etats-Unis.


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