Le militant juif antisioniste Serge Grossvak, connu pour ses prises de position en faveur de la Paix au Proche-Orient, partage sa réflexion sur la banalisation de l’horreur à l'occasion du 80e anniversaire de la libération du camp d'Auschwitz.
Auschwitz est pour moi abyssal. C’est le drame camouflé et toujours présent de mon enfance. Aucun nom n’est prononcé pour ces "disparus" de la famille. Les livres, le livre de mémoire de l’horreur nazie, sont cachés. Les silences parlent, surtout pour la petite enfance. Auschwitz était là, enfoui, éclatant de ses pousses d’angoisse.
J’avais 3 ans lorsque ma grand-mère m’a amené en vacances à Sully. Curieuses vacances, peu souriantes, pleines d’ennui pour l’enfant que j’étais. Ces longues minutes où ma grand-mère (Mémec) s’asseyait, silencieuse, prostrée, sous l’arche du pont. Ce pont de démarcation que la famille n’avait pas réussi à franchir en 1942.
J’avais 10 ans lorsque, secrètement, des images sont parvenues entre mes mains. À 10 ans, face à ces amoncèlements de cadavres, face à ces témoignages… Ceux qui jouaient au foot avec des bébés juifs en guise de ballon, celle qui se faisait confectionner des abat-jours avec les peaux tatouées des suppliciés.
J’avais 13 ans lorsque je me disputais avec mes copains qui ne savaient rien d’Auschwitz et ne voulaient rien en savoir.
Pendant longtemps, Auschwitz m’a hanté. J’ai lu, lu encore, pour comprendre. Comprendre comment cela avait été possible. Cette inhumanité qui me paraissait unique. J’avais l’intention d’accomplir ce voyage à Auschwitz avec mon fils. J’avais réfléchi que 14 ans était le bon âge. Peut-être mieux à 15. On va attendre encore un peu… Je n’en ai jamais eu la force.
Depuis un an, Auschwitz ne me hante plus. Depuis Gaza. Ce génocide explose sous mes yeux, sous nos yeux. Et revoici la mort et la faim, revoici les enfants mis en cadavres. Voici ces gigantesques bombes qui pulvérisent tout, brûlant les corps réduits en holocauste. Voici la soldatesque, avec ses rictus grotesques affichés, et sa shoah par balles. Voici la "solution finale" remise en chantier.
Auschwitz est banal. Hannah Arendt avait tellement raison. L’horreur est banale, toujours disponible pour de plus amples abominations, aidée par les progrès techniques. Les Allemands pouvaient dire ne pas savoir ; c’était probablement vrai pour un grand nombre. Mais aujourd’hui, nous savons tous.
Aujourd’hui, nous avons les images au jour le jour. Aujourd’hui, les Israéliens, dans leur grande majorité, sont devenus les gardiens du camp de Gaza génocidé.
Auschwitz est maintenant une horreur banale, tout comme Gaza. Auschwitz ne me hante plus. C’est l’avenir qui me hante. Quel nouvel holocauste nous préparons-nous à revivre ? À qui le tour ?
Serge Grossvak
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