"Le bonheur n'existe pas": quatre ans après le coup, la misère des Birmans en Thaïlande

09:5431/01/2025, vendredi
AFP
Des membres des Forces de défense du peuple de Mandalay (MDY-PDF) défilant lors d'une cérémonie de remise des diplômes le 28 décembre 2024, après un entraînement dans un camp situé dans un lieu non divulgué dans le nord de l'État de Shan, au Myanmar.
Crédit Photo : AFP / Archive
Des membres des Forces de défense du peuple de Mandalay (MDY-PDF) défilant lors d'une cérémonie de remise des diplômes le 28 décembre 2024, après un entraînement dans un camp situé dans un lieu non divulgué dans le nord de l'État de Shan, au Myanmar.

Entre précarité, exploitation et peur, des milliers de jeunes Birmans ont fui leur pays après le coup d'État de 2021. Quatre ans plus tard, ils survivent dans des conditions difficiles en Thaïlande, loin de leur famille et sans avenir.

Quatre ans après le coup d'État de la junte, la Birmanie est toujours déchirée par un conflit civil sanglant. Face à la répression et à l'instabilité, de nombreux jeunes ont fui vers la Thaïlande, où ils vivent dans la précarité et la peur.

La presse a rencontré trois migrants installés à Mahachai, un quartier de Samut Sakhon, en périphérie de Bangkok, surnommé la
"petite Birmanie"
. Par souci de sécurité, ils ont accepté de témoigner sous couvert d’anonymat.

Ma Phyu: "J'ai perdu tous mes rêves"


"Après le putsch, j'ai perdu tous mes rêves"
, souffle Ma Phyu, 28 ans. Elle suivait des études à Rangoun pour devenir enseignante avant le coup d'État du 1er février 2021.

La répression violente menée par la junte a poussé des milliers de jeunes à l'exil. Comme beaucoup, Ma Phyu a préféré partir à contrecœur plutôt que de risquer sa vie dans un pays ravagé par la guerre civile.


La Thaïlande accueille la plus grande diaspora birmane au monde, avec 2,3 millions de travailleurs enregistrés et 1,8 million de migrants en situation irrégulière, selon l'Organisation mondiale pour les migrations (OIM).

Cantonnée à des emplois précaires dans l’agriculture, la construction ou l’industrie agroalimentaire, Ma Phyu travaille dans une usine de conserves de poisson. Payée en dessous du salaire minimum thaïlandais (environ 10 euros par jour à Bangkok), elle enchaîne des journées harassantes de 17h30 à 03h00 du matin, six jours sur sept.


"Je ne supporte pas l’odeur du poisson. Je ressens du dégoût au travail, et c'est pareil à la maison. Rien ne change, je ne veux plus vivre"
, confie-t-elle.

Son mari l’a rejointe en 2024.
"Mon ancienne vie était remplie de joie. S'il n'y avait pas eu le coup, j’aurais eu une bonne vie."

Lwin Lwin: "Le bonheur n'existe pas"


Dans une pièce sombre d'un immeuble délabré, Lwin Lwin, 21 ans, originaire de Tanintharyi (sud), apprend le japonais avec d’autres migrants. Partie avant la fin du lycée, elle espère qu'une nouvelle langue lui ouvrira d’autres horizons.

"Le coup a chamboulé mon existence. Je pensais finir l'école, aller à l'université et travailler pour le gouvernement"
, explique-t-elle.

Aujourd'hui, elle a perdu espoir:
"Le bonheur n'existe pas. Il n'y a rien à faire, sauf être triste."
Comme Ma Phyu, elle travaille dans une usine de conserves et vit dans un dortoir surpeuplé.
"Que je sois triste ou heureuse, je dois travailler"
, résume-t-elle.

Face aux humiliations quotidiennes, elle se sent piégée:
"Quand mon supérieur me crie dessus, j’ai juste envie de partir. Mais je sais que je ne peux pas rentrer dans mon pays."

Thura: "Traumatisé jusqu'à la mort"


Thura, 25 ans, a fui la Birmanie en février 2024 après l'annonce du service militaire obligatoire par la junte. Plutôt que de combattre pour un régime qu'il rejette, il a choisi l’exil en Thaïlande, renonçant à son rêve de gérer un jour son propre garage.

"Au début, je voulais rejoindre les forces de défense du peuple (FDP) qui combattent la junte. Mais j'ai des frères et sœurs, et j’ai choisi de travailler"
, raconte-t-il.

L’économie birmane, fragilisée par la guerre, dépend en partie des fonds envoyés par les migrants : en 2022, quelque 975 millions de dollars ont été transférés depuis la Thaïlande, selon l'OIM.

En attendant son titre de séjour, Thura vit reclus dans une petite pièce avec sa sœur. Il évite de travailler au noir, par crainte d’être arrêté et expulsé.


"On sera traumatisés par le coup d'État jusqu'à notre mort"
, lâche-t-il.
"S'il n'y avait pas eu de coup d'État, les jeunes partageraient leurs repas en famille. Aujourd'hui, on vit séparés depuis des années. J’ai de la peine pour nous-mêmes."

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