"La présence militaire française au Mali n’a rien réglé, au contraire la situation s’est aggravée".
C’est avec ces mots que Nouhoum Sarr, député malien, et membre du Conseil National de Transition (CNT), a décrit l’état des relations entre Bamako et Paris.
Dans une interview accordée à Anadolu, Nouhoum Sarr est revenu sur les relations très compliquées entre son pays et la France.
Avant d’entrer dans le vif du sujet, le député malien a souhaité s’exprimer sur les tremblements de terre qui ont frappé le 6 février le sud de la Türkiye.
"Nous avons été profondément choqués par cette terrible tragédie que le peuple turc a vécue. Nous présentons nos condoléances aux familles des victimes et à l’ensemble du peuple turc"
, a-t-il dit.
Avant de proposer l’aide de son pays pour surmonter cette tragédie:
"Nous sommes disponibles pour accompagner, aider le gouvernement turc pour faire face à cette épreuve. Nous faisons confiance à la capacité de résilience du peuple turc et nous ne doutons pas qu’il arrivera à se surpasser pour transcender cette terrible tragédie. Nous sommes disposés à les accompagner, à les soutenir et à faire tout ce que nous pouvons, car les Turcs sont nos amis et nous sommes à leur entière disposition."
Le Mali et son peuple, comme beaucoup d’autres pays et peuples africains, ont fait preuve d’une exceptionnelle solidarité et compassion avec le drame vécu par la Türkiye.
Pour le politicien malien, cette solidarité est le reflet de la mutation que traversent les pays et populations en Afrique.
"La jeunesse africaine qui n’a pas connu la colonisation, qui n’a pas connu les premières années des indépendances, est aujourd’hui totalement décomplexée, et n’a que pour seul désir, celui de traiter avec toutes les nations d’égal à égal, dans le cadre d’un partenariat gagnant-gagnant, et veut se détacher des chaines de la domination, de la subordination",
explique-t-il.
"Ce n’est plus l’Afrique qui tend la main, qui vient mendier chez les grands pays, mais qui veut assumer son destin, sa posture de peuple libre",
ajoute-t-il.
Dans ce contexte, pour Sarr, il est totalement logique que les pays et peuples africains viennent en aide à la Türkiye, un
"grand pays, source d’inspiration".
Les relations Mali-Türkiye
C’est une coopération exemplaire ! C’est une coopération qui a de beaux jours devant elle.
Les mots de Nouhoum Sarr à l’égard de la Türkiye sont sans appel. La Türkiye est un partenaire essentiel et solide du Mali, notamment dans sa lutte contre le terrorisme, explique-t-il.
"Nous venons d’acquérir auprès des Turcs des drones Bayraktar TB2, qui aujourd’hui font la différence sur le terrain face aux terroristes",
indique-t-il.
Un développement qui contraste avec le comportement d’autres pays, selon lui.
"Pendant que d’autres pays nous imposent des embargos, ne nous vendent pas d’armes pour faire face aux attaques dont nos populations sont victimes, pendant que d’autres pays tentent de nous isoler, ou pour nous donner en mauvais exemple, les Turcs sont à nos côtés, ils nous vendent des drônes, ils nous donnent des renseignements, ils nous équipent, ils nous assistent !"
, souligne-t-il.
Et de poursuivre:
"Et nous ne pouvons que leur dire merci ! Merci à ce grand peuple descendant des Ottomans, dire merci à cette grande nation, qui a montré au monde que l’on peut se développer à partir de chez soi."
Ainsi donc, selon le député malien, les relations entre Ankara et Bamako ne pourront que se renforcer sur le long terme, car elles répondent aux attentes d’un partenariat gagnant-gagnant, comme le souhaitent les africains.
"Pour nous c’est une belle source d’inspiration, et je vous assure, non seulement les autorités actuelles au Mali, mais aussi les autorités à venir continueront à travailler pour que se raffermissent les liens entre le peuple turc et le peuple malien, entre les autorités turques et les autorités maliennes."
La Türkiye peut être un exemple pour le Mali dans de nombreux domaines divers et variés, assure-t-il.
"J’ai eu la chance de visiter de grands hôpitaux en Türkiye, c’est une belle source d’inspiration. Nous pouvons diversifier ce partenariat dans d’autres domaines, le domaine médical, le domaine énergétique surtout, celui de l’agriculture parce que la Türkiye a une expertise nationale et nous souhaitons que nos amis turcs partagent cette expertise en mettant en avant le transfert de technologies."
"Les dirigeants de l’ex-puissance coloniale n'ont pas eu des attitudes amicales avec le peuple malien"
Quant à la situation des relations bilatérales avec Paris, le membre du CNT malien n’est pas tendre avec Paris.
Il explique que l’Histoire est au centre des difficultés actuelles, autant que l’approche et le comportement des dirigeants français.
"Les relations avec l’ex-puissance coloniale ne sont pas au beau fixe en raison des péripéties de l’histoire",
confirme-t-il.
Tout en insistant sur le fait que le Mali n’a aucun problème avec le peuple français,
"grand peuple, celui des Lumières, de la Liberté et des Droits de l’Homme, mais les circonstances de l’histoire ont fait que les dirigeants français ont eu des attitudes pas très amicales avec le peuple malien".
Les relations se sont encore compliquées quand les maliens ont
"fait le choix de la souveraineté nationale"
, affirme-t-il.
"Nous avons fait le choix de la souveraineté nationale, le choix de la défense de nos intérêts stratégiques, le choix d’assumer notre droit inaliénable de coopérer avec tous les pays du monde dans le cadre de nos intérêts".
Et de continuer:
"Aujourd’hui les dirigeants maliens ont décidé d’assumer leur posture qui est de regarder les dirigeants français et de leur dire: nous sommes d’accord avec le partenariat, mais nous ne sommes pas d’accord avec la domination, ce n’est pas à vous de nous dicter notre politique".
Ce qui n’a pas plu à Paris, confie-t-il.
"Les dirigeants français ont estimé que ce n’était pas acceptable pour eux, et de façon unilatérale, ils ont décidé de retirer les forces Barkhane. Sans concertation avec le peuple malien, sans demander notre avis, sans même en référer aux autorités".
Dans ce contexte, le Mali ne pouvait que constater la décision française de se retirer, faisant confiance
"à son peuple et aux pays amis qui veulent l’aider".
"Nous sommes aujourd’hui en partenariat avec plusieurs pays, la Russie, la Türkiye, la Chine, qui nous aident en nous fournissant des équipements à la pointe de la technologie, pour vraiment renforcer les capacités opérationnelles de l’armée nationale qui fait un excellent travail sur le terrain"
, partage-t-il, se félicitant du passage des effectifs de l’armée nationale de 20 mille à plus de 50 mille en l’espace de 2 ans.
Constatant une dégradation de la situation sécuritaire dans son pays après l’arrivée des forces françaises, le député a défendu le désir de liberté et de souveraineté nationale voulu par les autorités maliennes.
"Quand les forces aussi modernes, aussi équipées, d’un pays aussi puissant que la France, sont sur votre territoire, et que la situation sécuritaire s’empire, vous êtes forcés de constater la situation sécuritaire après leur départ. Parce qu’elle n’était pas comme ça avant leur arrivée, elle s’est empirée avec leur arrivée",
défend-il.
"Nous avons donc testé leur départ, pour revenir à la situation d’avant leur présence, parce qu’avant, la situation était plus maitrisée, mais avec leur présence elle a explosé. Ce qui fait naître beaucoup de supputations, beaucoup de rumeurs, et donc nous sommes en train de tester cela"
, insiste-t-il.
Et les résultats commencent à se faire ressentir, soutient-il.
"Donc pour le Mali les résultats sont en train d’être atteints, les groupes terroristes sont aujourd’hui acculés, ils se manifestent par des attaques de banditisme, des attaques kamikazes, l’attaque du camp de Kati en est la preuve, ils s’attaquent aux civils, ils font de la guérilla, c’est ça la technique des terroristes, lorsqu’elle est en train de perdre, elle se manifeste par le ‘spectacle’, des attaques spectaculaires",
explique-t-il.
La lutte contre le terrorisme
Pour le député malien, les pays voisins comme le Burkina Faso et la Guinée, sont en train de suivre le même chemin.
Le Burkina Faso, la Guinée, sont des pays qui traversent une situation un peu similaire. Ce sont des pays qui ont connu des renversements de régimes, le Burkina et le Mali ont en connu 2 chacun, la Guinée 1, rappelle-t-il.
"Cette situation de malheur nous impose à être ensemble pour faire face à l’ennemi. Et c’est dans ce contexte-là que nous sommes en train de développer des rapports sécuritaires, l’armée malienne intervient régulièrement sur le territoire burkinabé, en partenariat avec les forces burkinabés. Le Mali est un exemple pour le Burkina, qui vient également de demander le départ des forces spéciales françaises, parce que leur présence n’a servi à rien. Malgré leur présence, la situation sécuritaire s’est aggravée",
défend-il.
"Nous sommes deux pays qui ne disposons pas suffisamment de ressources, nous avons donc obligation de mettre nos ressources en commun. C’est ce que nous sommes en train de faire. La nature a fait que nous n’avons pas d’accès au littoral, la Guinée est un pays qui a accès à la mer, elle se trouve dans une situation d’exception comme nos deux pays, c’est normal qu’on se mette ensemble, ça fait des jaloux mais ce n’est pas grave !"
, rapporte-t-il.
Le Mali a connu l’an passé deux coups d’Etat. Le pays, qui fait face à des sanctions internationales, notamment de la Cédéao (Communauté économique des États de l'Afrique de l'Ouest), opère une période de transition.
"Nous faisons tout pour que les relations avec la Cédéao soient des relations fraternelles, continuent à l’être. Notre pays a été la cheville ouvrière de la création de la Cédéao, la semence de la Cédéao a germé au Mali en 1975"
, rappelle-t-il.
"Donc, nous avons, à un moment donné, exprimé nos incompréhensions face à l’attitude de la Cédéao, qui, tout le monde l’a constaté, a été fortement influencée par des puissances extrarégionales, ces puissances-là, en l’occurrence l’ex-puissance coloniale, n’ont que d’autres objectifs, celui d’isoler le Mali, de continuer à imposer à notre peuple un modèle qui n’est pas le nôtre, à faire en sorte que nous continuons à être l’enfant soumis, et ça nous avons dit NON !",
poursuit-il.
"La Cédéao avait pris un mauvais chemin. Je crois qu’elle est vraiment en train de revenir à des meilleurs sentiments. L’Envoyé spécial M. Goodluck Jonathan vient de quitter Bamako la semaine dernière, et il a eu des mots très aimables à l’égard du processus de transition",
confie-t-il.
Et d’ajouter:
"Le processus de transition suit son cours normalement malgré les difficultés. Ce n’est pas à vous, Turcs, qu’on va dire que quand un peuple veut se libérer qu’il ne connait pas de difficultés. Lorsque vous décidez d’assumer votre souveraineté, de vous libérer, on fait tout pour que vous connaissiez des difficultés. Donc le Mali connait aujourd’hui certaines difficultés, d’ordre économique, financier … mais tous les peuples qui se sont libérés sont forcément passés par là."
Et de conclure: "
Nous pensons que c’est notre tour de passer par là, pour que demain, nos enfants et nos petits-enfants puissent vivre dans un pays où sa souveraineté est respectée, où l’économie pourra décoller, où la sécurité sera revenue, où le parc sanitaire sera renouvelé, où l’énergie sera maîtrisée et l’agriculture connaitra un essor. C’est notre objectif, c’est pourquoi nous acceptons de souffrir aujourd’hui, nous acceptons de faire face à toute sorte d’adversité, pour que notre pays puisse se relever, dans la dignité, dans le respect, et surtout dans la paix."