Afrique: Il y a indéniablement un sentiment de contestation de la politique étrangère et sécuritaire menée par la France

18:5626/01/2023, Perşembe
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Niagalé Bagayoko, présidente de l’African Security Sector Network. Crédit Photo: AA
Niagalé Bagayoko, présidente de l’African Security Sector Network. Crédit Photo: AA

La présidente de l’African Security Sector Network, Niagalé Bagayoko a pris la parole sur la politique française en Afrique.

En novembre 2021, un convoi logistique de l’armée française en provenance de Côte d’Ivoire et à destination du Niger a été bloqué durant plusieurs jours par des milliers de manifestants sur le sol burkinabè. Le convoi subira le même sort sur le sol nigérien faisant des morts. Au Mali comme au Burkina Faso, alors que la situation sécuritaire s’est dégradée, on assiste ces derniers mois à des manifestations hostiles à la présence la France, l’ancienne puissance coloniale.


Afin de décortiquer les revers subis par la diplomatie française en Afrique mais également la crise profonde que traverse la région du Sahel, Anadolu a donné la parole à une spécialiste de la réforme des systèmes de sécurité en Afrique francophone, ainsi que des mécanismes africains de gestion des conflits. Docteure en sciences politiques et présidente de l’African Security Sector Network (ASSN), Niagalé Bagayoko, explique qu’il est très important de reconnaître qu'au-delà du fait que certains Etats africains ont pris leur distance avec la France depuis longtemps,
"il y a indéniablement un sentiment de contestation de la politique étrangère et sécuritaire menée par la France sur le continent africain et des dénonciations d’une approche qui est perçue comme à la fois arrogante et beaucoup plus paternaliste".

Elle affirme qu’
"on assiste à la détermination de plus en plus affirmée à la fois dans les pays du Sahel, y compris au Niger d’ailleurs, et de manière croissante dans les opinions publiques des Etats ouest-africains d’affirmer la souveraineté nationale, et cela en imposant à la France de se situer comme un partenaire ayant des relations fondées davantage sur le partenariat et beaucoup moins sur une relation perçue comme étant fondamentalement inégalitaire et de nature dominant-dominé".

Les origines des tensions

Bagayoko explique que les tensions que l’on constate de manière croissante entre la France et certains pays africains ont différentes origines, certaines récentes et d’autres plus anciennes.


S’agissant du Burkina Faso, elle a souligné que
"le Burkina Faso est un pays qui a toujours – quel que soit les dirigeants- eu une attitude de défiance, ou de mise à distance de toute ingérence étrangère"
, et que cela remonte tout d’abord à la tradition sankariste (sous le capitaine Thomas Sankara)
"même si à l’époque de Blaise Compaoré, les relations de coopération entre la France et le Burkina Faso ont été davantage étroites".

"Le premier président élu après l’insurrection populaire de 2014, Roch Marc Christian Kaboré, a toujours lui-même refusé tout d’abord le stationnement des troupes françaises de l’opération Barkhane sur le territoire du Burkina Faso, mais aussi des interventions de types aériens jusqu’à la date de son renversement par le coup d’Etat du lieutenant-colonel Damiba au début de l'année 2022",
indique-t-elle, notant toutefois une relative amélioration des relations avec la France sous le lieutenant-colonel Paul-Henri Sandaogo Damiba.

Niagalé Bagayoko relève que
"plus récemment après le deuxième coup d’Etat survenu le 30 septembre 2022, on a vu des manifestations très violentes prendre à partie l’ambassade de France à Ouagadougou, l’Institut français, et également le camp où sont stationnées les forces spéciales de l’opération Sabre à Kamboincé et les relations avec l’ambassadeur Luc Hallade notamment se sont considérablement détériorées. Et le départ de celui-ci tout comme la fermeture de ce camp précis des forces spéciales semble désormais actés"
, a-t-elle dit.

En ce qui concerne le Mali, elle note que ce pays aussi a une tradition d’indépendance et d’affirmation de sa volonté de prendre ses distances avec l’ancienne puissance coloniale.
"Au Mali, il est important de rappeler que dès l’indépendance en 1960, le premier Président Modibo Keïta a immédiatement souhaité mettre un terme à la présence de l’ancienne puissance coloniale dans le pays et s’est très vite tourné vers l’Union soviétique et ses républiques satellites, et même si des relations ont été maintenues sous le régime militaire de Moussa Traoré, ce n’est en réalité qu’à la faveur de l’instauration de la démocratie que des contacts bilatéraux plus étroits ont été noués avec la France et le Mali"
, nous explique Niagalé Bagayoko.

Même dans ce cadre, ajoute-t-elle,
"il faut rappeler par exemple que la relation du Président Amadou Toumani Touré avec la France n’était pas aussi apaisée. Il s’était notamment opposé à l’installation sur le territoire malien de cette fameuse opération Sabre et le Président Ibrahim Boubacar Keïeta (IBK) lui-même a en réalité accumulé les désaccords avec les autorités françaises que ce soit à propos de la question du statut du nord du Mali, ou encore à propos de l’opportunité d’engager des négociations avec certains dirigeant des groupes terroristes notamment Iyad Ag Ghal et Hamadou Koufa"
.

"Déficits de gouvernance"

Par ailleurs, Bagayoko estime qu'il très important de se rendre compte que la crise profonde que traverse le Sahel aujourd’hui, est à la fois multidimensionnelle et multifactorielle.
"Trop longtemps, on a eu tendance à la fois du côté des Etats sahéliens mais aussi de leurs partenaires internationaux à lire ce qui se produit depuis dix ans à l’aune de la seule lutte contre le terrorisme international. Et il s’agissait à l’évidence d’une erreur, car si bien entendu l’essor et l’expansion continue de groupes terroristes constituent un élément absolument structurel de l’environnement actuel, on s’aperçoit que la région est aussi déstabilisée par d’autres dynamiques et dont la plupart touchent à la question de la gouvernance qui apparaît comme n’ayant pas été à mesure de répondre aux aspirations profondes des populations, que ce soit en matière de démocratisation, d’éducation, de développement, d’urbanisation, de décentralisation et bien entendu en matière de sécurité".

Pour elle, les Etats africains sahéliens sont perçus
"comme ayant davantage présenté un visage prédateur plutôt que protecteur et surtout comme n’ayant pas permis de faire de la démocratie un élément de pacification et de progrès des sociétés sahéliennes".

Il est très difficile aujourd’hui de ne pas considérer que les coups de force militaires auxquels on assiste au Sahel- mais aussi largement en Afrique centrale et en Afrique de l’Ouest avec ce qui se produit à la fois en Guinée mais également au Tchad- ne sont pas le reflet de ces déficits de gouvernance.

"Il est important aussi de se rendre compte que le terrorisme tel qu’il est présenté ne permet pas de saisir la dimension et le caractère fondamentalement insurrectionnel qui caractérise l’environnement sahélien. On a à la fois des insurrections de type "djihadiste" bien plus que du terrorisme en réalité, on a aussi des insurrections de type politico-militaire qui contestent l’autorité de l’Etat voire même le contour de son territoire par exemple dans le nord du Mali, dans une mesure différente au Tchad. On a également des dynamiques qui remettent en cause l’autorité même de l’Etat et son monopole sur la contrainte légitime de la violence avec l’émergence croissante de groupe d’auto-défense et de milice parfois alliés à l’Etat de facto ou parfois institutionnalisé"
, relève-t-elle.

A cela s’ajoute, selon l’experte,
"un développement absolument endémique de la criminalité organisée ou non qui se manifeste en particulier par les atteintes non plus seulement aux personnes mais aussi aux biens des populations civils avec par exemple la multiplication des vols de bétails ou des récoltes ou des attaques contre les marchés"
.
"Donc cette question est à caractère multidimensionnel avec des causes qui sont multifactorielles c’est-à-dire que ça touche à la gouvernance, à l’autorité de l’Etat sur ton territoire et à son incapacité à contrôler sur le plan sécuritaire toutes les emprises qui sont censées tomber sous le coup de sa souveraineté"
, note-t-elle soulignant que tout ceci explique en grande partie la crise actuelle
"et la façon dont les Etats et leurs partenaires internationaux ont essayé de la résoudre en s’attaquant essentiellement à ce qu’ils qualifient de terrorisme alors que ce phénomène ne constitue qu’une part limitée de l’instabilité au Sahel"
.

Echec collectif des partenaires étrangers

Concernant l'efficacité des contingents étrangers stationnés au Sahel, Bagayoko pense que la crise sahélienne tout comme la crise afghane a démontré l’échec collectif des partenaires étrangers à apporter une réponse satisfaisante permettant de contenir et plus encore de mettre un terme à l’insécurité grandissante en Afrique de l’Ouest.


"On s’aperçoit que les instruments mobilisés à titre bilatéral par exemple par la France, ou à titre multilatéral que ça soit par les Nations unies ou par l’Union européenne, mais également par les organisations africaines au niveau continental ou au niveau régional avec la Communauté économique des Etats de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) ne disposent pas d’instruments de gestion et de règlement de conflits en mesure de répondre aux types de conflictualités actuellement à l’œuvre"
, affirme-t-elle.

Et d'ajouter que les solutions proposées sont très souvent importées depuis l’extérieur selon une approche qui est apparue très standardisée d’où l’intérêt de comparaison avec les moyens internationaux qui ont été mobilisés en Afghanistan notamment en termes d’ingénierie institutionnelle et de consolidation de la paix.


"Il est absolument essentiel de se rendre compte que ces instruments n’ont absolument pas été en mesure de prendre en considération les spécificités de chaque contexte local. Les partenaires internationaux non africains mais aussi africains se sont trouvés confrontés à des réalités locales dont ils n’ont pas saisi la subtilité ce qui les a amenés à développer des instruments tout à fait inadaptés pour répondre à la crise"
, indique-t-elle.

Rappelant les initiatives qui ont été prises par certains acteurs de la région, par exemple la force multinationale mixte qui a été mise en place pour lutter contre les groupes issus de Boko Haram, elle note que cette force, même si elle est loin d’être parfaite, a néanmoins obtenu un certain nombre de résultats qui sont beaucoup plus intéressants par exemple que ceux qui ont pu être obtenus par le G5 Sahel.


Pour Bagayoko, les solutions à la crise sécuritaire résident avant tout dans les approches développées au niveau national par les Etats sahéliens qui demandent de mobiliser l’instrument militaire et sécuritaire car les populations ont besoin d’être protégées.


Elle préconise
"d’allier une approche beaucoup plus politique et très certainement beaucoup plus négociée de la gestion de la crise"
. Citant le cas du Niger, elle explique qu’à l’instar de l’approche qui est développée dans plusieurs fronts, le Président Mohamed Bazoum joue à la fois sur le renforcement de ses forces armées nationales aussi bien les forces militaires que la garde nationale ou la police et la gendarmerie, tout en développant les partenariats avec l’étranger, notamment avec la France, et en matière d’acquisition d’armes avec la Russie ou avec la Türkiye.

"Le Niger joue également sur des mécanismes d’amnistie par exemple dans la région de Diffa pour répondre à la crise du bassin du lac Tchad et en fin au dialogue avec les groupes armés",
conclut-elle.

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