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Au procès en Suisse d'un ancien ministre gambien, la justice teste ses limites

Un tribunal suisse doit décider mardi si la poursuite des crimes contre l'humanité peut être rétroactive, un élément clé dans le procès d'un ancien ministre gambien qui s'est ouvert cette semaine dans le pays alpin.

15:37 - 9/01/2024 mardi
MAJ: 16:04 - 9/01/2024 mardi
AFP
Les plaignants posent avec leurs avocats à l'entrée du Tribunal pénal fédéral suisse, le 8 janvier 2024 à Bellinzone, dans le sud de la Suisse, lors du premier jour du procès d'Ousman Sonko, un ancien ministre de l'intérieur gambien accusé de crimes contre l'humanité commis sous le régime de l'ancien dictateur Yahya Jammeh.
Crédit Photo : ELODIE LE MAOU / AFP
Les plaignants posent avec leurs avocats à l'entrée du Tribunal pénal fédéral suisse, le 8 janvier 2024 à Bellinzone, dans le sud de la Suisse, lors du premier jour du procès d'Ousman Sonko, un ancien ministre de l'intérieur gambien accusé de crimes contre l'humanité commis sous le régime de l'ancien dictateur Yahya Jammeh.

Ousman Sonko, 55 ans, est accusé de divers chefs de crimes contre l'humanité, dont la torture répétée et le viol répété, qu'il aurait commis de 2000 à 2016 sous l'ère de l'ancien président à la main de fer Yahya Jammeh, d'abord en tant que membre de l'armée, puis comme inspecteur général de la police et enfin comme ministre de l'Intérieur.


Il comparaît depuis lundi devant le Tribunal pénal fédéral à Bellinzone, dans le sud-est de la Suisse et risque la prison à vie.


Son procès est possible car la Suisse a procédé à deux changements majeurs de sa législation en 2011, en inscrivant dans son droit les crimes contre l'humanité, des exactions commises dans le cadre d'une attaque de grande ampleur visant des civils, et en se reconnaissant une compétence universelle pour juger certains crimes graves en vertu du droit international.

Au premier jour du procès, la défense a demandé à la cour de classer l'ensemble du dossier
"compte tenu de l'ampleur des violations des règles fondamentales de procédure"
, ou au moins d'écarter les poursuites concernant les faits qui auraient été commis avant 2011, estimant qu'il ne pouvait y avoir
"d'exception au principe de non-rétroactivité"
.

Or une grande partie des faits qui figurent dans l'acte d'accusation est antérieure à 2011.

Ce procès est jugé
"très important dans l'histoire judiciaire suisse"
car il s'agit seulement du deuxième pour crimes contre l'humanité, a souligné l'ONG Trial International, à l'origine de la procédure lancée contre M. Sonko.

Et c'est la première fois en Suisse que la notion de crime contre l'humanité est abordée en première instance.


En juin 2023, la cour d'appel du Tribunal pénal fédéral avait confirmé la condamnation à 20 ans de prison d'un ancien chef de guerre libérien, Alieu Kosiah, et retenu pour la première fois l'accusation de crimes contre l'humanité pour des faits commis bien avant 2011.

Un tribunal en Gambie ?


Depuis cette condamnation en appel, un nouvel avocat a pris sa défense, Me Philippe Currat, qui représente également les intérêts de M. Sonko. Il a expliqué à l'AFP qu'il entendait porter l'affaire Kosiah devant le Tribunal fédéral, la plus haute instance judiciaire de la Suisse.


Mardi, la décision concernant la rétroactivité des faits concernant M. Sonko n'est pas attendue avant 13H00 (12H00GMT).


L'ancien ministre doit ensuite prendre pour la première fois la parole devant la cour car il n'a pour l'instant pu que décliner son identité. 

Le procès doit durer un mois, mais le verdict n'est pas attendu avant mars.


Dix personnes se sont constituées parties civiles, dont huit "
victimes directes"
et la fille d'une personne décédée en détention, selon Trial. Une autre est décédée l'an dernier, mais ses héritiers ont repris le dossier.

M. Sonko avait été arrêté le 26 janvier 2017 en Suisse où il avait demandé l'asile après avoir été démis de ses fonctions ministérielles qu'il a occupées pendant 10 ans jusqu'en septembre 2016.


Le Ministère public de la Confédération (MPC, bureau du procureur général) reproche au Gambien d'avoir commis la plupart des actes pour lesquels il est poursuivi avec la complicité de l'ancien président de ce petit pays ouest-africain et de
"membres dirigeants des forces de sécurité et des services pénitentiaires".

En Gambie, le gouvernement a annoncé l'an dernier œuvrer avec l'organisation des Etats ouest-africains à la mise sur pied d'un tribunal chargé de juger les crimes commis sous les 22 ans de règne de Yahya Jammeh (1994-fin 2016).

Mais son procès est encore très incertain car aucun accord d'extradition n'existe entre la Gambie et la Guinée équatoriale, où M. Jammeh vit en exil depuis 2017.


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