Les coups d’Etat militaires sont à nouveau au diapason des modes d’accession au pouvoir. En Afrique de l’Ouest, les putschs connaissent d’ailleurs un certain succès et une certaine popularité auprès des populations. Les scènes de liesse notées entre le Burkina Faso, le Mali, la Guinée et le Niger durant ces dernières années, au lendemain des six putschs comptabilisés dans ces quatre pays, ont donné désormais une légitimité populaire à ce mode d’accession au pouvoir, pourtant jadis moins prisé des populations. Mais si ce changement de perception a eu lieu, c’est que les putschs militaires apparaissent désormais en costard de “salvateur”.
Le recul de la démocratie
De manière générale, la démocratie ne vit sans doute pas ses meilleures années en Afrique. Elle a toujours été un enjeu, un défi sur le continent, mais les acquis démocratiques enregistrés dans certains pays ces dernières décennies ont été bafoués d’une manière ou d’une autre. Dans les quelques pays où ces avancées ont été notées, se posent encore ces problèmes : la question de la transparence des élections, un processus électoral respectant les standards internationaux, l’organisation d’élections inclusives, mais au-delà aussi, la transparence dans les affaires publiques, la bonne gouvernance, et la corruption.
“Trois décennies après son déclenchement en 1990, seule une dizaine de pays sur les 54 que compte le continent ont connu des alternances politiques qui constituent un indicateur majeur de respirations et maturité démocratiques. Face aux courants de pensée contradictoires à l’œuvre sur le continent, il faudra peut-être nous résoudre à admettre qu’une partie du continent est en train de décrocher durablement du projet démocratique”
, estime Francis Laloupo, chercheur associé à l'IRIS, spécialiste de la géopolitique de l'Afrique et des conflits émergents (dans une interview avec Le Point).
Les coups d’Etat... non militaires
Mais ce qui est le plus frappant est que ce recul démocratique émane souvent de régimes supposés “démocratiquement élus”. En Afrique de l’Ouest, la légitimité populaire des putschs découle notamment des conditions dans lesquelles ils se produisent. En Guinée par exemple, Alpha Condé a été renversé par le Colonel Mamadou Doumbouya en septembre 2021, après des années de répression de l’opposition, couronnée par la modification de la constitution pour se présenter à un troisième mandat, devenu grand fléau politique sur le continent.
“Dans plusieurs pays, les modifications opportunistes des Constitutions ou les tentatives de restauration autocratique ont conduit aux crises dites du ‘troisième mandat’, ou à l’exclusion des oppositions des compétitions électorales”
, souligne Francis Laloupo.
Au Mali autant qu’au Burkina Faso, la situation sécuritaire face aux groupes armées terroristes et rebelles a fini par fragiliser les derniers présidents démocratiquement élus, Ibrahim Boubacar Keita (surnommé “IBK”) pour l’un, Roch Marc Christian Kaboré pour l’autre. Mais à Bamako, malgré une réélection d’IBK en 2018, il doit faire face à des mouvements de contestation dirigés par le M5 qui lui reproche son manque d’efficacité dans la lutte contre les groupes terroristes et finit par s’installer lui aussi dans des dérives autoritaires et dans la répression des manifestations. Il est éjecté du pouvoir en août 2020 par les militaires.
Mais quand il ne s’agit pas de troisième mandat via des coups d’Etat constitutionnels ou de dérives autoritaires, on a droit à l’élimination d’adversaires politiques. Au Niger, Hama Amadou a été emprisonné et forcé à l’exil par moment avant l’élection présidentielle de 2021 à laquelle ne participait pourtant pas Mahamadou Issoufou. Mais ce-dernier a voulu d’une certaine manière assurer ses arrières et continuer à avoir une certaine mainmise sur le pouvoir nigérien, et a ainsi placé sur orbite, son ancien ministre de l’Intérieur Mohamed Bazoum. Ce-dernier a fait l’objet d’un coup d’Etat le 26 juillet 2023 et est encore en détention, même si la CEDEAO tente de le restaurer dans ses fonctions en brandissant la menace d’une intervention militaire.
Le silence "complice" de la CEDEAO
Pourtant, cette CEDEAO veut incarner la sauvegarde de la démocratie mais reste silencieuse sur les graves dérives autoritaires de certains présidents de pays-membres. En plus du forcing d’Alpha Condé en Guinée, l’organisation sous-régionale n’a pipé mot lorsqu’Alassane Ouattara de la Côte d’Ivoire s’est présenté de façon illégale pour un troisième mandat, éliminant aussi ses concurrents les plus sérieux, l’ancien président Laurent Gbagbo et l’ancien Premier ministre Guillaume Soro.
Au Sénégal, le Président Macky Sall exerce une dictature sans précédent dans ce pays qui a pourtant été, pendant longtemps, cité en exemple de stabilité et de démocratie majeure en Afrique de l’Ouest. Après avoir éliminé par le biais de la justice Karim Wade (ancien ministre et fils de l’ancien président Abdoulaye Wade) et Khalifa Sall (ancien ministre du temps des socialistes avant 2000) de l’élection présidentielle de 2019, le Président Sall "s’acharne" désormais sur Ousmane Sonko, candidat antisystème extrêmement populaire auprès de la jeunesse sénégalaise, arrivé troisième à l’élection présidentielle de 2019. Depuis 2021, les dossiers juridiques, les procès et arrestations dont il a fait l’objet, ont mené le pays à de violentes manifestations gravement réprimées, et qui ont fait plus de 50 morts selon l’opposition sénégalaise, plus de 35 selon les rapports d’Amnesty International. Même s’il a annoncé il y a quelques semaines qu’il ne briguerait pas un troisième mandat, le Président Sall continue la répression de l’opposition : Ousmane Sonko a été arrêté pour sept chefs d’accusation dont
, et son parti PASTEF a été dissous le même jour. Jusque-là, la CEDEAO a gardé le silence...
Ces manquements de l’instance sous-régionale, couplés avec ceux de l’Union Africaine, participe à laisser bourgeonner les menaces à la démocratie et profitent surtout aux militaires dont les putschs sont désormais perçus comme des correctifs sur le continent. Le fait de ne pas dénoncer ces incidences démocratiques constituent lui-même une menace à la foi que les populations sont supposées avoir à la démocratie.
Pour Alioune Tine, fondateur d’AfrikaJom Center, la démocratie est "
totalement en panne à l’heure actuelle, où nous vivons vraiment des situations, où nous avons des fraudes électorales. Ce sont des formes, également, de coups d’État dont on parle très peu, sur lesquelles, effectivement, ni l’Union africaine ni la Cédéao ni également la communauté internationale ne disent mot. Nous avons également des formes de coups d’État constitutionnels, on change la Constitution pour rester au pouvoir et maintenant, nous avons des coups d’État militaires. Les coups d’État militaires c’est bruyant, c’est les galons, ça se voit tout de suite"
,confie-t-il à RFI.
Il ajoute :
"maintenant, un coup d’État militaire, c’est le symptôme des dysfonctionnements démocratiques, c’est les symptômes des pathologies démocratiques. Les gens les prennent comme des remèdes, mais ce ne sont pas les bonnes réponses ! Il faut qu’on fasse attention, pour qu’on ait des institutions qui soient des institutions fortes, parce que nous avons un hyper présidentialisme, des pouvoirs absolus, des pouvoirs qu’absolument rien ne limite".
Quelques soient la portée et le scepticisme autour des coups d’Etat militaires, leur existence est liée surtout aux dérives des régimes supposément démocratiquement élus et qui surfent souvent sur une démocratie de mirage pour légitimer leurs abus. Les coups institutionnels et constitutionnels font désormais plus de mal au continent et tant qu’ils perdureront, les coups d’Etat militaires n’auront pas de souci à construire leur légitimité populaire. Aujourd’hui, les projecteurs sont braqués sur le Zimbabwe et le Gabon où les mêmes causes pourraient avoir les mêmes conséquences...