Famagusta: Netflix et la réécriture trompeuse de l'histoire chypriote

David Bizet
11:362/09/2024, lundi
MAJ: 2/09/2024, lundi
Yeni Şafak
Extrait du teaser de la série "Famagusta", dont la diffusion est prévue sur Netflix.
Crédit Photo : X / X
Extrait du teaser de la série "Famagusta", dont la diffusion est prévue sur Netflix.

Netflix s'apprête à diffuser la série "Famagusta", accusée de déformer les faits historiques en niant les massacres perpétrés par l'extrême-droite chypriote grecque et leur volonté de génocider les Turcs de l'île. Explications.

S'approprier l'histoire et la déformer à des fins pécuniaires est devenu une marque de fabrique de la plateforme de streaming internationale Netflix, qui s'en prend aujourd'hui à l'histoire douloureuse de Chypre avec une nouvelle série intitulée "Famagusta".


Le projet prétend présenter un récit historique concernant la situation à Chypre avant l’intervention de l’armée turque en 1974. Cependant, pour bon nombre d'observateurs en Türkiye, cette série serait une tentative de manipulation de l'opinion publique mondiale, déformant les événements réels pour servir un agenda politique spécifique.

La série "Famagusta" présente les Chypriotes grecs en victimes de l'armée turque. Une version des faits qui minimise et occulte les violences graves perpétrées par l'extrême-droite chypriote grecque avant l'intervention turque.


Négation de la souffrance turque


Le point de vue occidental repris par Netflix à des fins commerciales, omet sciemment toute la période précédent l'intervention turque visant à protéger les populations civiles victimes d'exactions. En effet, entre 1955 et 1974, la population turque de l'île a été régulièrement victimes de massacres et de persécutions diverses. Dès 1955, le groupe paramilitaire EOKA (Organisation pour la Libération de Chypre) avait commencé à cibler les Chypriotes turcs et leurs institutions.


Les massacres commencèrent le 12 juillet 1958, quand 5 Turcs du village d'Inönü furent tués par des miliciens grecs. Le lendemain, 5 autres turcs furent tués dans les villages d'Atlilar et d'Arnayi, puis 6 autres la semaine d'après à Üç Sehitler et Gossi.

L'objectif de cette violence était de contraindre les Turcs de Chypre à quitter l'île. Le paroxysme de cette violence antiturque fut atteint en 1963, avec les tristement célèbre Nöel sanglant, où périrent 374 Chypriotes turcs et 173 Chypriotes grecs.


A la suite de ces massacres, 25 000 Chypriotes turcs, provenant de 104 villages différents (soit environ un quart de leur population totale), ont été déplacés et ont dû vivre dans des zones d'habitation couvrant 3 % de l'île, sous blocus grec.

Des milliers de maisons chypriotes turcs ont été pillées, incendiées et détruites. Selon les observateurs internationaux, les attaques armées et les incendies criminels étaient couramment utilisés pour forcer les Chypriotes turcs à quitter leurs foyers.


Ces actes, souvent considérés comme des tentatives de nettoyage ethnique, ont laissé des cicatrices profondes dans la mémoire collective des Chypriotes turcs et ont précipité l'intervention militaire turque pour protéger les populations menacées.


Toute cette souffrance et ces faits documentés ne figurent pas dans "Famagusta".


Renforcer le sentiment antiturc


Emete Gözügüzelli, une académicienne née à Chypre et spécialiste de la question chypriote, a dénoncé la série comme étant une œuvre de désinformation. Selon elle, "Famagusta" ne fait que renforcer des stéréotypes négatifs et diabolisants à l'égard des Chypriotes turcs et de la Türkiye.


Gözügüzelli exprime ses préoccupations concernant la manière dont la série manipule les faits historiques pour servir des intérêts politiques spécifiques. Elle affirme que l'objectif sous-jacent est de dépeindre les Chypriotes turcs comme les agresseurs dans un conflit où ils étaient en réalité les victimes.


Cette approche révisionniste est particulièrement problématique dans le contexte actuel, où la recherche de vérité et la réconciliation sont essentielles pour avancer dans les relations entre les communautés chypriotes.


La série "Famagusta" risque non seulement de fausser l'histoire, mais aussi de raviver les tensions en distillant des narrations erronées et biaisées.

La classe politique turque a quant à elle dénoncé un
"scandale",
et certaines voix se font désormais entendre pour que le gouvernement sanctionne Netflix.

Les œuvres de divertissement, bien que puissantes, doivent être examinées avec un esprit critique, surtout lorsqu'elles traitent de questions aussi sensibles que les conflits ethniques et les injustices historiques.


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