"Comme si c'était la fin du monde"
, exprime Abdi Hussein, assis sur une route près d'abris de fortune, évoquant le déluge qui a ravagé sa région, dans l'est du Kenya, faisant
"monter les eaux encore et encore, jusqu'à ce qu'elles engloutissent tout".
Cet homme de 32 ans contemple l'eau couleur de rouille ainsi que les abris de bâches et de ficelles en plastique, refuges de ceux qui, comme lui et sa femme, ont tout perdu.
La ville de Garissa a déjà été le théâtre de désastres liés à la météo, mais jamais d'une telle ampleur, selon ses habitants.
Cette année, la saison des pluies a été exacerbée par un épisode du phénomène climatique El Niño débuté mi-2023.
Des semaines de précipitations torrentielles ont entraîné des inondations meurtrières: 257 personnes ont perdu la vie dans ce pays d'Afrique de l'Est. Des villages entiers ont été submergés, des routes coupées et près de 55 000 familles ont été déplacées.
Les pluies ont fait déborder cinq barrages, provoquant des débordements massifs d'eau à travers Garissa, Tana River et Lamu - une région abritant plus de 1,5 million de personnes.
"Nous n'avons pas vu beaucoup de pluie nous-mêmes, mais notre plus grand malheur est de vivre en aval"
, confie Mwanajuma Raha, dont la maison a été détruite par les flots.
Suleiman Vuya Abdulahi, âgé de 27 ans, a été déplacé à sept reprises par les inondations depuis sa naissance. Mais cette fois, l'épreuve semble sans précédent: le jeune fermier, qui ne sait pas nager, a dû passer plusieurs jours sur le toit de sa maison à attendre les secours.
À peine remis de son dernier exil involontaire, après avoir été déplacé pendant trois mois en novembre, il témoigne:
"Les citoyens ordinaires comme nous sommes vraiment en difficulté".
Certains résidents refusent de quitter leur domicile, craignant les pillages, et préfèrent camper sur leur toit, même s'ils doivent partir à la nage pour trouver des vivres.
Le ravitaillement de Garissa se fait laborieusement: la route principale a été coupée et l'approvisionnement de cette ville marchande, proche de la frontière somalienne, se fait désormais par voie aérienne ou maritime, entraînant une flambée des prix.
Des petits bateaux à moteur - à l'origine destinés aux touristes sur le lac Naivasha, à plus de 400 kilomètres de là - sont constamment sollicités pour transporter des personnes et des denrées alimentaires, dont le besoin se fait cruellement sentir.
Parfois, le voyage tourne au drame : un bateau surchargé a chaviré le mois dernier. Les corps de sept personnes, dont une écolière, ont été retrouvés, mais une douzaine de personnes restent portées disparues.
Depuis, les autorités veillent à ce que tous les passagers embarquent avec un gilet de sauvetage et à ce que le bateau ne soit pas surchargé.
Mohamed Mansur Ali, un batelier de 36 ans, souligne la difficulté de sa tâche:
"On dort à peine, on arrive à 06h00 et on finit à 18h00. Mais quand vous pourriez vous reposer, on vous appelle pour un patient qui doit aller à l'hôpital".
La crise que traverse le pays pourrait encore s'aggraver avec la persistance des pluies. Dans le centre du Kenya, le barrage de Masinga a déjà atteint des niveaux
Selon Daud Ahmed Shalle, coordinateur régional de la Croix-Rouge kényane, la situation est
dans les 11 camps qui accueillent près de 6 500 familles dans le comté de Garissa.
"Nous avons beaucoup de personnes dans les camps dont le besoin le plus pressant en ce moment est le manque de nourriture"
, a-t-il déclaré à l'AFP.
Des ONG ont appelé à un financement accru pour faire face à la crise, soulignant que les populations les plus touchées étaient celles les moins responsables des phénomènes météorologiques extrêmes liés au changement climatique.
"L'impact du changement climatique sur les populations est irréversible et ne fera que s'aggraver, entraînant une augmentation continue de la demande mondiale d'aide humanitaire"
, a déclaré Melaku Yirga, directeur régional pour l'Afrique de l'Est et l'Afrique australe de l'organisation caritative américaine Mercy Corps.