En France la pénurie de médicaments s'amplifie

10:4031/12/2022, السبت
AA
Une pharmacie dans la région parisienne @ Umit Donmez / AGENCE ANADOLU
Une pharmacie dans la région parisienne @ Umit Donmez / AGENCE ANADOLU

La pénurie de médicaments qui touche la France continue de s'amplifier alors que le pays est confronté, cet hiver, à une triple épidémie de Covid-19, de grippe et de bronchiolite.

Il est quasiment impossible de trouver du paracétamol ou de l'amoxicilline, dans leurs formes pédiatriques, dans la majorité des pharmacies françaises. L'Agence Anadolu (AA) a enquêté sur le terrain pour tenter de comprendre les tenants et les aboutissants de cette situation de tension.

Une pénurie peut en causer une autre

Interrogé par l'Agence Anadolu (AA), Souhil Cherraben, pharmacien dans les Yvelines (région parisienne), explique que la pénurie dure déjà depuis quelques mois et qu'elle concerne un grand nombre de médicaments.

Parmi les "tensions d'approvisionnement" les plus urgentes dans sa pharmacie, figurent notamment le Doliprane dans ses formes pédiatriques, notamment en sirop, suppositoire et sachet.

"Ce n'est pas en rupture sèche" explique-t-il, "mais on reçoit en petites quantités",
ce qui rend difficile la gestion des flux pour sa pharmacie.
"Par contre, les vraies pénuries concernent l'amoxicilline, antibiotique pour enfants"
, souligne-t-il, avant d'expliquer comment la pénurie d'antibiotique s'est assez vite généralisée.
"D'abord, cela a commencé par l'amoxicilline sous forme de sirop. Après, en pharmacie, on essaie de trouver des solutions à cette pénurie, en essayant de remplacer par de l'amoxicilline sous forme de comprimé pour adulte, qu'on coupe en deux pour donner aux enfants, mais au fur et à mesure, il ne reste ni d'amoxicilline en sirop, ni d'amoxicilline en comprimé pour adulte"
, note-t-il.
"En conséquence, les médecins reçoivent des alertes sanitaires leur disant de remplacer par d'autres antibiotiques, ce qui fait qu'au fur et à mesure, il ne reste plus d'antibiotique, ni amoxicilline, ni autre, et nous sommes pieds et poings liés, sans savoir quoi faire"
, déplore-t-il.

Le pharmacien fait également état d'une pénurie de sérum physiologique, ainsi que de sirops, qui seraient elles-mêmes dues à une pénurie d'excipients, notamment de sucre. Celles-ci seraient causées par une pénurie de flacons en verre, très utilisés dans leur production.

Souhil Cherraben décrit la difficulté de la situation, notamment à assurer les gardes de jour comme de nuit, notant l'impossibilité d'effectuer les gardes de nuit pour les urgences, sans disposer des médicaments requis.

"À cela s'ajoute la grève actuelle des médecins", explique-t-il avant de décrire que cela nourrit son sentiment de "ne pas servir à grand-chose".

Paracétamol, amoxicilline : la France est déjà confrontée à une pénurie de médicaments, notamment de médicaments pédiatriques, et le retour de la Covid-19 en Chine risque de tendre davantage la situation.

Le ministère de la Santé se voulait rassurant

La semaine passée, l’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM) a confirmé "la tension" sur les antibiotiques les plus prescrits chez l’enfant :
"clamoxyl (amoxicilline) et génériques, augmentin (amoxicilline/acide clavulanique) et génériques".
L'ANSM a expliqué cette pénurie "
par l’augmentation très importante de la consommation en antibiotiques couplée à des difficultés sur les lignes de production industrielle. Lors de la pandémie de Covid-19, la demande en amoxicilline avait très fortement diminué, conduisant à une réduction, voire un arrêt de certaines lignes de production, qui n’ont pas retrouvé leur capacité de production d’avant la pandémie",
selon l'ANSM.

En conséquence, l'agence a délivré une série de prescriptions à destination des médecins, les appelant à ne pas prescrire d'antibiotiques pour une infection d'origine virale, à limiter la prescription à cinq jours, voire à attendre l'absence d'amélioration pour une otite avant de prescrire l'antibiotique, ainsi qu'à destinations des pharmaciens, notamment à adapter le conditionnement pour une durée de traitement de cinq jours, et contacter le médecin en cas de doute.

Alors que les pharmaciens et les familles sont confrontés à ces pénuries qui peuvent faire porter de sérieux risques sur la santé des enfants comme des adultes, lors d'un point presse tenu il y a deux semaines, le ministère de la Santé s'était pourtant voulu rassurant, lors de son point presse du 14 décembre courant.

Le ministère rapportait que les tensions d'approvisionnement sur certains antibiotiques et sur les formes pédiatriques du paracétamol devraient persister encore quelques semaines en France. Il déclarait prendre des mesures et appelait les Français à la patience, le temps que ces mesures prises par les autorités sanitaires, notamment d'une distribution plus égalitaire des médicaments sur le territoire, montrent leur effet.

Le ministère reconnaissait, néanmoins, que la situation reste
"complexe"
pour le paracétamol (le Doliprane en faisant partie) et avait expliqué que cela prendrait
"un peu de temps pour se normaliser sur les formes pédiatriques"
, ajoutant que
"la situation est devenue plus confortable"
sur les formes pour adultes. Concernant l'amoxicilline, l'antibiotique le plus prescrit pour les enfants, le ministère avait rapporté que
"la situation globale se régularise" 
et que les laboratoires producteurs commencent à reconstituer leurs stocks, faisant état, encore une fois, d'un besoin de
"quelques semaines"
pour un retour à la normale.

Une tendance peu rassurante, en réalité

Décrivant une augmentation de l'usage de ces médicaments dans un contexte d'épidémies hivernales, l'Agence nationale de sécurité du médicament (ANSM) a indiqué, le 14 décembre courant, avoir mis en place une série de mesures afin de répondre aux pénuries de certains médicaments.

Parmi ces mesures, figure notamment la diversification de sources d'importations ainsi que l'obligation pour les fabricants d'amoxicilline et de paracétamol de fournir directement leurs produits aux répartiteurs pharmaceutiques, pour une répartition plus équitable de la distribution dans le pays.

Cependant, cette pénurie ne touche toujours pas à sa fin et elle ne concerne pas que les médicaments pédiatriques.

Au total, ce sont près de 3 000 médicaments qui connaissent des tensions, voire des pénuries, en cette année 2022, selon l'Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM). Cela représente environ 12 % des références de médicaments.

En 2018, soit avant la pandémie de coronavirus, 871 références étaient en tension ou en rupture de stock selon la même source, avant que ce chiffre ne passe à 1504 en 2019, 2446 en 2020 dans le contexte de la pandémie de Covid-19, et de régresser ponctuellement à 2160 en 2021 avant de repartir en hausse nette, cette année.

Dans l'état actuel, outre le paracétamol et l'amoxicilline, les risques les plus importants pèsent davantage sur les sirops contre la toux, la ventoline, plusieurs antidiabétiques de type GLP-1, des antiépileptiques et des anticancéreux, ainsi que des médicaments contre les maladies cardiovasculaires.

Cette pénurie de médicaments touche l'Hexagone alors que le pays est déjà confrontée à une tripe épidémie de Covid-19, de grippe et de bronchiolite, combinée à une situation actuelle de grève des médecins généralistes.

Ce mercredi, le ministre de la Santé, François Braun, a fait état d'une
"semaine de tous les dangers",
indiquant que la propagation de la grippe provoque "une explosion des cas avec notamment des cas graves qui font que les services de réanimation d'une façon globale sont saturés", alors que les hôpitaux manquent de lits, de façon structurelle.
François Braun a promis qu’il engagerait, dès janvier,
"la refondation"
du système de santé français, une promesse qui avait déjà été prononcée par son prédécesseur, Olivier Véran...

Relocalisation de la production en France

Alors que le contexte sanitaire est particulièrement tendu en France, les pays voisins tels que l'Allemagne ou le Royaume-Uni sont confrontés à des difficultés similaires, notamment à une pénurie sur un grand nombre de médicaments.

Cependant, la situation n'est pas tendue qu'en Europe. La violente vague de Covid-19 qui touche la Chine depuis l'assouplissement des mesures de restrictions sanitaires, début décembre, a également entraîné des pénuries de certains médicaments et traitements dans l'Empire du Milieu, notamment des médicaments contre la fièvre et la douleur.

Dans sa bataille pour répondre à la forte demande de médicaments à base de paracétamol et d'ibuprofène, la Chine a décidé d'augmenter sa production, d'interrompre l'exportation de ces médicaments et principes actifs, mais aussi d'acheter des médicaments à l’étranger, ce qui devrait renforcer les tensions en France et en Europe.

Face à la menace de pénurie renforcée et durable dans l'Hexagone, Rémi Salomon, le président de la Conférence des Présidents de Commissions Médicales d’Établissement des Centres hospitaliers universitaires, énonce un fait confirmé.

Sur Twitter, le néphrologue pédiatre de métier, rappelle que "80% des principes actifs, la matière première pour nos médicaments sont fabriqués en Chine et en Inde.

"La vague covid qui submerge actuellement la Chine risque d'aggraver nos difficultés d'approvisionnement en beaucoup de médicaments"
, souligne-t-il avant d'appeler à "relocaliser la production" en France, afin de prévenir de futures pénuries et éventuelles catastrophes sanitaires.
Dans une tribune publiée par le journal Le Monde, en mars dernier, les fondateurs de l'Observatoire de la transparence dans la politique du médicament, Pauline Londeix et Jérôme Martin, demandaient également que fût reconstituée
"la production française de médicaments"
"La France et l’ensemble de la planète dépendent, pour la production de matière première pharmaceutique, de principes actifs produits en Asie du Sud et de l’Est. Les incertitudes liées à la situation internationale nous imposent de soulever de nouveau la question vitale de la production pharmaceutique en Europe"
, notaient les co-auteurs de la tribune.
Ils rappelaient également le contexte de la guerre en Ukraine et appelaient à "une production en partie publique", en France et en Europe, pour réduire la dépendances aux multinationales pharmaceutiques.


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