Situation des Africains subsahariens en Tunisie: entre calomnie et réalité

17:3810/03/2023, vendredi
MAJ: 10/03/2023, vendredi
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La Tunisie connaît une évolution rapide et brûlante depuis les propos controversés de son président, Kaïs Saïed, le 21 février, au sujet de la présence de migrants irréguliers en provenance des pays d'Afrique subsaharienne.

Dans un communiqué publié le 21 février, le chef de l'Etat tunisien, Kaïs Saïed, avait annoncé que
"des mesures urgentes"
étaient nécessaires
"contre l’immigration clandestine de ressortissants d’Afrique subsaharienne"
, dénonçant notamment la présence de
"hordes de migrants clandestins"
en Tunisie dont la venue relevait, selon lui, d’une
"entreprise criminelle ourdie à l’orée de ce siècle pour changer la composition démographique de la Tunisie"
.

En réponse aux critiques et accusations de "racisme" envers les migrants, Saïed a estimé, deux jours plus tard, que
"ceux qui parlent faussement de discrimination raciale cherchent la discorde, la division et portent préjudice aux relations de son pays avec ses frères africains"
.

Il a expliqué que
"l'affaire ne concerne pas les migrants de l’Afrique subsaharienne en situation légale"
, mettant en garde
"contre tout préjudice porté contre des migrants, soulignant que l'État en assume l'entière responsabilité"
.

"J'appelle tous les responsables à bien traiter les Africains résidant d’une manière légale en Tunisie. Que personne ne leur fasse du mal"
, a-t-il déclaré à l'adresse des responsables de son pays.

Au cours de ces derniers jours, des pays africains ont exprimé leur inquiétude face à la situation de leurs ressortissants en Tunisie, leur demandant de retourner dans leurs pays d'origine. La plupart de ces migrants sont originaires du Mali, de la Côte d'Ivoire et de la Guinée.


En effet, ces migrants se rendent en Tunisie, qui constitue le point de départ d'un voyage périlleux vers un pays européen à bord d'embarcations précaires, à la recherche d'une vie meilleure à la lumière des guerres et de la détérioration des conditions économiques dont souffrent de nombreux pays africains.



Des migrants dans la rue


A quelques kilomètres de la capitale, Tunis, environ 80 migrants subsahariens sans titre de séjour ont installé leurs tentes pour se loger, dans une rue étroite du quartier du Lac (nord de la capitale). Une équipe d'Anadolu est allée à la rencontre d'un groupe de migrants dont la plupart refusent de quitter la Tunisie pour leurs pays d'origine. Ils vivent dans la rue et passent leur temps à jouer au ballon à cuisiner ou à parler avec leurs familles au téléphone.


Le Nigérien Emmanuel (pseudonyme - 45 ans) a déclaré qu'il était venu en Tunisie depuis l'Algérie, il y a deux ans, signalant que sa situation aujourd'hui n'est pas claire, surtout au cours ces dernières semaines.


"Je ne sais pas quel danger nous représentons pour que cette campagne raciste soit lancée contre nous et on nous demande de quitter le pays. Nous avons été surpris par ce qu'a dit le président tunisien, et je ne pense pas que tous les Tunisiens pensent de la même manière négative que lui,"
a-t-il affirmé dénonçant ce qui se passe.

Emmanuel, qui n'a pas voulu témoigner à visage découvert a indiqué que les subsahariens sont désormais poursuivis pour présenter des titres de séjour dont ils ne disposent pas, notant que la plupart de leurs employeurs ont refusé de les recevoir par crainte de sanctions.


"Nous voulons juste être en sécurité et que notre intégrité physique ne soit pas menacée. Il est inconcevable de s'emparer de nos téléphones ou du peu d'argent qu'on a (on ne sait pas qui a fait cela). Nous voulons travailler et compter sur nous-mêmes jusqu'à ce que nous trouvions une solution pour quitter la Tunisie"
, a-t-il expliqué.

Il ne faut pas mettre tout le monde dans le même panier


"Menaiso" du Mali, 20 ans, a, de son côté, affirmé à Anadolu qu'il vivait en Tunisie depuis 3 ans, assurant qu'il travaillait normalement avant et qu'il n'avait aucun problème dans ce pays, signalant que la semaine dernière, tout a basculé.


"Nous nous sommes retrouvés face à un vague de mauvais traitements, et nous ne savons pas ce que nous ferons, franchement"
, a-t-il ajouté.

En réponse à une question sur le fait que des Tunisiens étaient accusés de racisme envers les Africains subsahariens, il a répondu
"Il ne faut pas mettre tout le monde dans le même panier. Nous avons rencontré de bonnes personnes. Comme partout dans le monde, il y a toujours des bons et des mauvais. Ce qui circule sur les réseaux sociaux ne reflète pas vraiment la réalité"
.

Les familles des migrants en situation irrégulière, lorsqu'elles voient ce qui est publié sur les réseaux sociaux, appellent leurs enfants à retourner dans leurs pays. Il n'y a pas beaucoup d'options devant nous, et notre sécurité dépend de notre retour dans nos pays, même si beaucoup de personnes prévoient nous aider, surtout les Canadiens, les Français et les Tunisiens.


Tunisie ou Europe


Pour sa part, Abu Bakr Ahmed (un Nigérian de 21 ans), a fait savoir qu'il vivait en Tunisie depuis 3 mois en provenance de la Libye, après un passage au Niger et en Algérie.
"J'ai perdu mes papiers personnels à la frontière algérienne, et aujourd'hui je suis au chômage et je ne trouve pas le moyen d'économiser de l'argent pour vivre décemment"
.

"La situation est devenue difficile. Nous vivons dans la rue. J'ai commencé à communiquer avec l'ambassade de mon pays, et je compte partir le plus tôt possible. Je ne vais pas mentir, j'aimerais bien vivre en Tunisie ou aller en Europe"
, a-t-il déclaré au micro d'Anadolu.

Des mesures en faveur des migrants


Dimanche, la Présidence tunisienne a exprimé son rejet des accusations de "racisme" portées à son encontre annonçant une série de mesures en faveur des migrants, telles que la prolongation des attestations de résidence de trois à six mois, la facilitation des opérations de retour volontaire des migrants subsahariens en situation irrégulière et leur exemption des pénalités ou encore le renforcement de l'assistance sanitaire et sociale.


Lundi, le ministre tunisien des Affaires étrangères, Nabil Ammar, a démenti, dans une déclaration aux médias, les accusations de racisme portées contre son pays, estimant qu'il s'agit
"d'une campagne orchestrée contre la Tunisie"
.

"C'est drôle que de telles accusations pèsent contre la Tunisie, qui est fière de son appartenance au continent africain et de ses relations fortes et historiques avec les pays africains. Ceux qui propagent ce genre d'accusations doivent se rappeler que la Tunisie est un Etat de droit souverain, et que le séjour des étrangers sur son territoire est réglementé par la loi"
, a-t-il expliqué.

A noter que le directeur général de la Police des frontières et des étrangers, Imed Zoghlami, avait déclaré que le nombre d'Africains subsahariens résidant illégalement en Tunisie est d'environ 21 471 personnes, tandis que les résidents légaux sont d'environ 5 396 personnes, dont 5 030 étudiants.


Zoghlami a ajouté dans une déclaration aux journalistes au siège du ministère lundi, que
"le ministère de l'Intérieur n'expulse et n'évacue aucun résident légal ou illégal"
.

Ces derniers jours, plusieurs vols de rapatriement volontaire ont été organisés pour 300 migrants ivoiriens, 192 guinéens et 135 maliens, selon le ministère de l'Intérieur.


Vols de rapatriement


Devant l'ambassade de Côte d'Ivoire, la presse a suivi l'afflux de dizaines de migrants en situation irrégulière souhaitant rentrer dans leur pays, alors qu'ils faisaient la queue devant les locaux de le représentation diplomatique ivoirienne en Tunisie, dans l'attente d'obtenir un billet de retour dans leur pays.


"La Tunisie est un pays que je connais et que j'aime beaucoup, et j'y vis depuis 2015. Je connais très bien les résidents légaux et illégaux, et je communique avec eux sur les réseaux sociaux,"
a témoigné Milas Jamak, un artiste ivoirien au micro d'Anadolu.

"Le problème pour ceux qui croient qu'il y a une campagne raciste contre les Africains, c'est qu'ils ne connaissent pas l'arabe et sont affectés par ce qui est publié sur les réseaux sociaux. Les autorités doivent réduire l'intensité de cette campagne en niant ce qui circule sur les réseaux sociaux. Avant de retourner dans mon pays pays, Je confirme que ce qui se passe est un agenda externe ou interne pour nuire à l'image de la Tunisie"
, a-t-il conclu.

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