Leurs deux enfants sur les épaules, Wilfredo Riera et Nataly Barrionuevo sautent dans le Rio Grande depuis la rive mexicaine. De l'eau jusqu'à la taille, ils évitent les bouées placées par le Texas pour leur barrer le passage et se dirigent vers les États-Unis.
Les bouées sont conçues pour tourner si on s'y agrippe et sont munies de disques métalliques dentelés. Début août, un corps sans vie y a été retrouvé.
Wilfredo Riera, Nataly Barrionuevo, et leurs enfants ont quitté l'Équateur il y a un mois et demi, à la recherche d'un travail et d'une vie meilleure. Ils ont traversé la jungle du Darien, de la Colombie au Panama.
Avec une dizaine d'autres migrants, la famille a pu traverser le fleuve, loin des bouées. Il leur faut une dizaine de minutes pour passer d'une rive à l'autre, de Piedras Negras, au Mexique, à Eagle Pass, aux États-Unis.
Ils se heurtent alors à une interminable barrière de barbelés avant de finalement trouver une brèche et de s'y engouffrer.
Il est 14H00, la température ressentie dépasse les 40ºC. Un vent chaud souffle, et le seul bruit est celui des lézards qui se cachent dans la végétation.
"Assurer un avenir"
Devant eux, encore une clôture, haute d'environ trois mètres avec, encore, des fils barbelés. Ils les recouvrent de leurs vêtements pour passer de l'autre côté.
Nataly Barrionuevo l'escalade, et attend que son mari la rattrape avec leurs enfants. Certains s'en sortent avec un trou dans le pantalon, mais ils sont aux États-Unis.
Un fourgon de la police aux frontières arrive, soulevant la poussière. En espagnol, un agent leur demande leurs papiers d'identité.
Ils fouillent les hommes et placent tout le monde dans un véhicule, direction un centre de rétention.
"Zone de guerre"
En sautant la clôture, les migrants arrivent dans une propriété privée, les Heavenly Farms des Urbina, cultivateurs de noix de pécan. Leurs terres ont un accès direct à la rivière, où flottent les bouées, et sont désormais entièrement clôturées et gardées par les militaires.
Cela ne leur plaît pas, mais ils n'ont pas d'autre choix que d'accepter, déplore Magali Urbina, 52 ans. Et d'expliquer:
Mon mari et moi ne croyons pas à l'ouverture des frontières. Mais nous ne croyons pas non plus qu'il faille traiter les gens de manière inhumaine.
Les bouées sont l'objet d'un bras de fer entre le Texas et le gouvernement fédéral des Etats-Unis. Le ministère de la Justice les considère comme un problème humanitaire et diplomatique, car elles vont à l'encontre des traités frontaliers conclus avec le Mexique, et a intenté une action contre le Texas pour qu'il les retire. L'affaire est désormais examinée par un tribunal fédéral.
Les autorités texanes ont déjà dû déplacer les bouées la semaine dernière car elles empiétaient côté mexicain.
Propriétaire d'une entreprise d'excursion en kayak, Jessie Fuentes, 62 ans, déplore:
Le gouverneur du Texas a installé une jolie petite scène pour faire croire à une zone de guerre.
Robie Flores, 36 ans, est née et a grandi à Eagle Pass. Elle se souvient de son enfance au bord du Rio Grande. Les gens pique-niquaient, pataugeaient dans l'eau, faisaient du bateau. Il était même courant de saluer les voisins de Piedras Negras.
Mais, depuis, le Texas a érigé une barrière de conteneurs qui obscurcit la vue, explique cette vidéaste, co-fondatrice de la coalition frontalière d'Eagle Pass. Puis sont arrivés les barbelés et, enfin, les bouées.