Aujourd’hui, à l’heure de la commémoration de cet évènement malheureux dans le pays, des historiens malgaches se penchent sur les relations tumultueuses avec la France considérées par les nationalistes comme un frein dans la marche vers une indépendance réelle.
Alors que la Grande île était encore sous la colonisation française, une insurrection a éclaté dans la nuit du 29 mars 1947. En réponse à cet mouvement de rébellion, la répression de l’armée coloniale française a été violente et sanglante. Des nationalistes sont fusillés dans un wagon à Moramanga dans la nuit du 29 mars 1947. D’autres exécutions s’ensuivent dans les campagnes où les nationalistes ont tenté de résister à la puissance coloniale.
Jusqu’à aujourd'hui, les statistiques ne sont pas encore unanimes concernant le nombre de victimes de cette répression coloniale. Quoi qu’il en soit, les données historiques font état d’environ 100 000 morts. La France n’a jamais admis de manière officielle son entière responsabilité dans ce carnage qui sera décisif dans le combat des Malgaches pour l’indépendance, obtenue 13 ans après.
D’après Andrianaivomanjato Rasoloarifara, historien et observateur politique,
"il faut prendre une certaine précaution par rapport à cette révolte de 1947. Même les leaders du mouvement MDRM
(Mouvement démocratique de la rénovation malgache)
, adepte d’une lutte pacifique pour l’indépendance, n’ont pas reconnu officiellement ce soulèvement. Certains parlent d’insurrection, d’autres parlent d’une provocation orchestrée par les colons français dans le but de mater les actions de lutte des associations nationalistes".
Pour cet historien, l’évènement du 29 mars 1947, qui s’est terminé en bain de sang, a suscité un élan de patriotisme chez les Malgaches. Par conséquent, les nationalistes ne se sont plus laissés faire et se sont battus jusqu’au bout pour l’indépendance. 76 ans après, les cicatrices sont encore loin d’être complètement guéries. De nombreux analystes déplorent encore l’emprise de la France qui apparait sous d’autres formes.
Combat pour la liberté économique
Elisé Harimino Asinome, docteur en histoire contemporaine et enseignant chercheur à l’Université de Toliara estime, pour sa part, qu’aujourd’hui,
"Madagascar est encore dans un combat pour la liberté économique et ce afin de permettre à la population de vivre dans les meilleures conditions"
. Malgré l’acquisition de l’indépendance depuis 1960, cet éminent universitaire reconnaît que la Grande île continue d’entretenir une certaine forme de rapport de force avec la France.
"À preuve, nous sommes encore dépendants de la France à plus d’un titre"
, soutient-il.
En effet, d’après les statistiques, les entreprises françaises tiennent une place prépondérante dans l’économie malgache et sont présentes dans plusieurs secteurs-clés comme le secteur pétrolier, le bâtiment, les infrastructures, etc. Concernant les éventuelles séquelles de la colonisation, cet enseignant chercheur met l’accent sur le combat éprouvant que les ancêtres nationalistes ont dû mener au prix de leurs vies pour arriver à l’indépendance.
"Le plus important aujourd’hui, en cette période de commémoration, est de valoriser notre identité culturelle",
suggère-t -il.
La politique du "diviser pour mieux régner", mise en œuvre par les autorités coloniales françaises est aussi considérée comme une des séquelles de la colonisation qui perdurent jusqu’à aujourd'hui. Une politique qui a contribué à créer une certaine rivalité tacite entre les habitants des hautes terres ("Les Merina") et ceux des autres régions de l’île ("Les côtiers").
Des problèmes de gouvernance aussi
Le Professeur Jeannot Rasoloarison, enseignant chercheur au département d’histoire à l’Université d’Antananarivo confie que
"officiellement, Madagascar est un pays indépendant et souverain. Pourtant, les nationalises s’accordent à dire que Madagascar continue d’être sous emprise coloniale. D’ailleurs, durant la première République qui suivait la déclaration d’indépendance, la présence française se faisait encore beaucoup sentir".
Malgré tout, ce chercheur porte un regard beaucoup plus détaché sur la situation actuelle dans le pays.
"Après avoir été sous le joug de la colonisation pendant près de 64 ans
(de 1896 à 1960)
, Madagascar est aujourd’hui une République qui est dirigée par des Malgaches. La question à se poser est : est-ce que les Malgaches sont des problèmes pour eux – mêmes ?"
, s’interroge-il.
Cet universitaire soulève ainsi d’éventuelles failles en matière de gouvernance qui pourraient nuire à une véritable émergence du pays demeurant encore dans les rangs des pays en voie de développement. Il rappelle également que les principaux combattants pour l’indépendance du pays, lors de la révolte de 1947, étaient essentiellement composés de paysans issus de la partie Est de l’île. Pour cette commémoration de l‘insurrection de 1947, ce professeur d’université estime qu’il faut mettre en avant le patriotisme.
Selon lui, les notions de
et de
nécessitent toutefois d’être redéfinies car perçues de différentes manières.
"Est-ce un attachement à la patrie
(le pays)
(région d’origine)
souligne-t-il avant d’ajouter qu’
"il faudrait, avant tout, restaurer l’unité nationale. Pour y arriver, un Malgache doit avant tout se sentir Malgache avant d’être Merina, Betsileo ou autre"
. Pour ce professeur d’histoire, Madagascar est encore une Nation en construction.
En outre, pour de nombreux nationalistes, la revendication de Madagascar pour la restitution des îles éparses, que la France considère toujours comme faisant partie de ses Terres australes et antarctiques, malgré l’indépendance de la Grande île en 1960, ramène une fois de plus, aux empreintes indélébiles laissées par la colonisation dont le pays a encore du mal à se défaire. Entre la France et Madagascar, ce vieux contentieux est gelé depuis des décennies et semble, malgré les tentatives de dialogue, loin d'être résolu.