En Inde, des exilés tibétains se souviennent du Tibet libre

16:237/03/2024, jeudi
AFP
Le 10 mars est commémoré par les Tibétains en mémoire du soulèvement de 1959 au Tibet. Cette date symbolise la résistance contre l'occupation chinoise et la quête de liberté pour le Tibet, au Chine.
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Le 10 mars est commémoré par les Tibétains en mémoire du soulèvement de 1959 au Tibet. Cette date symbolise la résistance contre l'occupation chinoise et la quête de liberté pour le Tibet, au Chine.

Le dalaï-lama, drapé de grenat et safran, a exhorté moines et nonnes à développer un "coeur compatissant" pour notre monde troublé par les conflits, lors de ses dernières prières publiques quelques semaines avant la commémoration dimanche du soulèvement au Tibet voilà 65 ans.

"Etre un bon être humain relève de la responsabilité de chacun"
, a-t-il prêché,
"je vous exhorte tous à vous efforcer d'y parvenir."

Même si le chef spirituel bouddhiste, âgé de 88 ans, se dit convaincu qu'il vivra encore longtemps, les Tibétains qui l'ont suivi en exil se préparent inévitablement à un avenir sans lui.


La Chine considère le Tibet comme partie intégrante de son territoire et beaucoup d'exilés tibétains craignent de voir Pékin nommer un successeur au dalaï-lama afin d'assurer son emprise totale.

Tsultrim, 95 ans, ancien membre de la guérilla tibétaine soutenue par la CIA, se souvient comme si c'était hier de ce 10 mars 1959 où il est entré en résistance contre les forces communistes chinoises.


"On nous a demandé de nous lever pour résister à l'invasion de l'armée chinoise et d'escorter le dalaï-lama en exil"
, raconte à l'AFP Tsultrim, vieillard enjoué qui a gardé ses manières de combattant avec sa poignée de main ferme et ses cheveux gris coupés à ras.

Le soulèvement fut rapidement écrasé et le dalaï-lama, suivi de dizaines de milliers de Tibétains, a été contraint de fuir à travers les montagnes enneigées de l'Himalaya avant de trouver refuge en Inde.


Exilé depuis, comme le dalaï-lama, à Dharamsala dans le Nord de l'Inde, Tsultrim, qui n'utilise qu'un seul nom, fait partie de la dernière génération à avoir connu le Tibet libre et dit aux plus jeunes de ne pas faire confiance à Pékin.

"Avant que le Tibet ne perde son indépendance, nous étions des éleveurs et des agriculteurs",
explique Tsultrim,
"la vie était belle et nos moyens de subsistance étaient sains (...) Nous n'avions rien à voir avec l'argent, les bergers vendaient de la viande et du beurre et les agriculteurs des céréales".

Tsultrim a ensuite rejoint en 1960 les insurgés tibétains basés dans le royaume du Mustang au Népal pour y être entraînés et équipés par la CIA, il se souvient:


Nous étions des volontaires avec nos propres chevaux et transportions nos fusils et notre nourriture.

Il a ainsi mené plusieurs incursions clandestines au Tibet sous contrôle chinois pour mener des opérations de sabotage, pendant plus d'une décennie.
"Nous avons continué à faire la guerre."

Washington a utilisé cette force secrète de 2.000 hommes pendant la guerre froide.


Mais après la fin du financement de la CIA et l'appel en 1974 du dalaï-lama à ses partisans pour déposer les armes au profit d'une solution pacifique, Tsultrim est parti pour l'Inde.


Là, il a travaillé des décennies durant comme ouvrier agricole avant de prendre sa retraite à deux pas de la résidence du dalaï-lama.

"Je suis venu voir le dalaï-lama avant de mourir",
confie-t-il.

Son camarade, Ngodup Palden, 90 ans, fut parachutiste dans la force spéciale tibéto-indienne pendant 24 ans et s'est battu pendant la guerre sino-indienne de 1962.


"Avant de perdre notre pays, nous menions une vie confortable",
raconte-t-il à l'AFP, le regard rivé sur les sommets de l'Himalaya le séparant de son pays natal.

"J'espère retourner au Tibet libre de mon vivant"
, ajoute-t-il en égrenant un chapelet entre ses doigts.
"Il reste dans mon coeur un peu d'espoir de retourner dans ma patrie, ma belle patrie".

Ceux qui arrivent du Tibet aujourd'hui disent que ce rêve de
"Tibet libre"
est vain.

Autrefois des milliers de Tibétains fuyaient chaque année vers l'Inde mais moins d'une douzaine ont réussi à fuir l'an dernier, selon le gouvernement tibétain en exil.


"Je me sens comme un oiseau enfermé depuis longtemps qui se retrouve libre de battre des ailes et de voler"
, déclare à l'AFP Tsering Dawa, 37 ans, ancien directeur de banque à Lhassa.

Pour avoir envoyé un message à un groupe d'exilés sur les restrictions de passeport pour les Tibétains en 2015, il a été détenu pendant près d'un an sans procès et battu lors d'interrogatoires qui l'ont conduit au
"bord de la folie",

Craignant d'être à nouveau arrêté après avoir alerté des journalistes exilés sur des
"séances d'endoctrinement"
communiste de jeunes Tibétains, il a décidé de fuir en 2020.

"J'ai dit à ma mère que si nous restions au Tibet, nous allions mourir"
et qu'elle serait punie s'il partait sans elle.
"Si nous partons, il y a 50 pour cent de chances d'y arriver"
, lui a-t-il assuré.

Le banquier, chargé d'un petit sac et accompagné de sa mère de 68 ans, est parti pour
"des vacances touristiques".
Camouflant leur terreur derrière des sourires heureux de vacanciers en se photographiant à l'aéroport de Lhassa, ils ont entamé leur voyage vers l'Inde par un chemin détourné.

C'était
"grâce à ma volonté de tout sacrifier"
, admet-il dans son studio exigu, confiant avoir laissé derrière lui 600.000 yuans (83.000 dollars) sur son compte, deux maisons et une voiture.

Des dizaines de milliers de Tibétains ont quitté l'Inde depuis 2011, selon les chiffres du gouvernement indien, cherchant des opportunités ailleurs et affaiblissant ainsi la cause du Tibet.

"Nous avons grandi en apatrides en Inde (...) nous ignorons ce qui pourrait arriver au décès de Sa Sainteté le dalaï-lama"
, s'inquiète Tenzin Dawa, 31 ans, née en Inde et directrice du Centre tibétain pour les droits de l'homme et la démocratie.

"C'est la raison d'une forte émigration de Tibétains vers l'Europe et l'Amérique du Nord"
, souligne-t-elle.

Les jeunes générations, nées en exil, sentent leur avenir menacé, et perdent l'espoir de jamais connaître leur terre ancestrale, déclare-t-elle. Pourtant
"c'est à elles de poursuivre le mouvement".

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