Depuis 2016, l'émission "News Factory" de Kim Ou-joon, diffusée par la radio TBS, qui dépendait des subventions de la municipalité de Séoul, était la plus écoutée de la capitale.
L'un des animateurs les mieux payés du pays, M. Kim y dénonçait "sans complexe" les conservateurs.
Plus
politique que journaliste, M. Kim s'apparente aux animateurs américains de TV shows, utilisant un humour décapant pour disséquer les nouvelles sud-coréennes, d'une manière ouvertement partisane et parfois offensante.
Aussi lorsqu'une administration conservatrice a pris le pouvoir à Séoul en mai 2022, la situation s'est compliquée pour lui.
Il a été poursuivi en diffamation plus d'une dizaine de fois et, après l'échec des tentatives de retrait du programme sur TBS, la municipalité conservatrice a stoppé son financement, avertissant que le radiodiffuseur allait dans une
.
"Ils ont coupé tout le budget du diffuseur pour se débarrasser d'un programme qu'ils n'aimaient pas"
, déclare à l'AFP M. Kim, qui arbore une allure inhabituellement négligée dans une Corée du Sud au style soigné.
L'animateur a donc démissionné et transféré son émission sur YouTube même nom, même format, même heure où elle a attiré 1,2 million d'abonnés dès le premier mois, devenant l'une des plus rentables de la plateforme, et ce grâce aux dons.
Selon les données de YouTube, M. Kim attire quelque 200.000 internautes simultanément, pendant que l'audience globale de TBS a chuté depuis son départ.
"Je vais faire le plus grand journal télévisé de Corée du Sud sur YouTube"
, a promis celui qui s'est fait connaître du grand public en 2011 avec un podcast intitulé
"I'm a Petty-Minded Creep"
(
"Je suis un sale type mesquin"
). Il se moquait alors de l'ancien président conservateur Lee Myung-bak.
Le langage fleuri employé par Kim pour parler de la politique sud-coréenne a fait un tabac, notamment auprès des jeunes. Il a pu tirer parti de son succès pour conclure un accord avec TBS en 2016.
Son ascension a coïncidé avec un désenchantement à l'égard des médias traditionnels en Corée du Sud, qui en 2022 se classait 40e sur 46 pays en matière de confiance du public dans le journalisme, selon l'Institut Reuters de l'Université d'Oxford.
"Le véritable pouvoir des médias réside dans ce qu'ils choisissent de ne pas rapporter"
, estime M. Kim.
Il accuse les médias conservateurs de passer sous silence les actes répréhensibles commis par les membres du parti au pouvoir.
Mais il pense que le fait d'avouer publiquement ses penchants politiques signifie que ses auditeurs peuvent lui faire confiance.
"Je suis partial, mais ma démarche est juste"
, plaide ce fidèle partisan du Parti démocrate, la principale formation d'opposition.
Ses détracteurs lui reprochent de promouvoir des théories du complot farfelues, allant de l'insinuation que l'élection présidentielle de 2012 a été truquée à la suggestion que des victimes de MeToo pourraient être utilisées pour cibler des politiciens progressistes.
M. Kim
"a tendance à établir un lien direct entre quelque chose qu'il ne comprend pas et une conspiration ou une manipulation"
, estime Choi Seung-ho, ancien PDG du radiodiffuseur MBC.
Pour Kang Jun-man, professeur de journalisme à l'université nationale de Jeonbuk, M. Kim a diffusé
"des faits inexacts et des analyses exagérées"
pour servir l'opposition.
"La différence entre moi et la presse conservatrice traditionnelle est que je pense que ceux qui me critiquent ont autant le droit de s'exprimer que moi"
, avance-t-il, mais les
"conservateurs coréens pensent que ceux qui sont critiques devraient perdre leur droit de parole"
.
La Corée du Sud se classe juste derrière les Etats-Unis dans le classement mondial de la liberté de la presse, mais des groupes locaux ont mis en garde contre le recul des médias indépendants sous le président conservateur Yoon Suk-yeol.
Critiquant le retrait du financement de TBS, la Coalition locale des citoyens pour les médias démocratiques a jugé
"sans précédent depuis l'ère du gouvernement militaire de voir une tentative de faire tomber une station entière à cause d'un programme détesté"
.
, dit M. Kim gaiement, à propos des poursuites en diffamation.