Afrique: la France militarise l'aide au développement et la coopération culturelle

La rédaction
00:4515/09/2023, vendredi
MAJ: 18/10/2023, mercredi
Yeni Şafak
Le Président français Emmanuel Macron. Crédit photo: JOHN THYS / POOL / AFP.
Le Président français Emmanuel Macron. Crédit photo: JOHN THYS / POOL / AFP.

En bisbilles diplomatiques avec les régimes militaires du Burkina Faso, du Niger et du Mali, la France a choisi de militariser l'aide au développement, la coopération culturelle et les visas en guise de riposte.

"Russia is weaponizing energy and food"
(
"La Russie militarise l'énergie et la nourriture"
). Cette phrase a été longuement répétée par les dirigeants occidentaux depuis le début de la guerre russo-ukrainienne (oubliant les sanctions économiques qu'ils ont eux-mêmes militarisées contre Moscou). Aujourd'hui, la diplomatie française pourrait être indexée pour les mêmes pratiques ou presque, contre les États sahéliens du Burkina Faso, du Mali et du Niger.

Chahutée et en bisbilles diplomatiques avec ces pays qui réclament désormais des partenariats internationaux plus équilibrés et plus respectueux, la France s'est mise dans une posture de représailles en utilisant la diplomatie et la coopération à des fins de contrainte politique. Après avoir suspendu la délivrance des visas pour ces trois pays, la France a lancé d'autres offensives.

L'aide au développement militarisée


"J’ai le regret de vous informer que nous annulons notre soutien pour votre séjour en France, toutes les prestations de Campus France sont annulées (billet d’avion, allocations et assurance santé)"
. C'est ce message qu'aurait reçu un étudiant du Niger qui devait faire une partie de son cursus universitaire ou de recherche en France, selon Le Monde dans une parution du 15 septembre.
Le Quai d'Orsay explique dans le même message que
"la France a suspendu son aide au développement à destination du Burkina Faso, du Mali et du Niger. Cette décision concerne également les bourses de mobilité du gouvernement français, dont vous êtes bénéficiaire"
.

Cette suspension de la mobilité étudiante a été bien précédée de celle de l'aide au développement et de l'appui budgétaire au Burkina Faso. Le ministère des Affaires étrangères français annonçait en effet, le dimanche 6 août, suspendre
"jusqu'à nouvel ordre toutes ses actions d'aide au développement et d'appui budgétaire"
au Burkina Faso, précisant que les projets en cours de l'aide française au développement en faveur du pays représentent 482 millions d'euros.

Même la coopération culturelle n'est pas épargnée


Mais ce cynisme diplomatique ne s'en est pas arrêté là. Le 14 septembre, les médias français ont rapporté que les directions générales des affaires culturelles (DRAC) ont ordonné aux entreprises culturelles françaises subventionnées (festivals, théâtres.. ) de suspendre tous les projets de coopération culturelle avec les ressortissants du Mali, du Niger et du Burkina Faso.


"Tous les projets de coopération qui sont menés par vos établissements ou vos services avec des institutions ou des ressortissants de ces trois pays doivent être suspendus, sans délai, et sans aucune exception. Tous les soutiens financiers doivent également être suspendus, y compris via des structures françaises, comme des associations par exemple. De la même manière, aucune invitation de tout ressortissant de ces pays ne doit être lancée"
, peut -on lire dans le courriel envoyé par les DRAC à des acteurs et institutions de la vie culturelle.

Le manque d'une vision stratégique


En réaction à cette demande, le Syndicat national des entreprises artistiques et culturelles (Syndeac) a expliqué que
"cette interdiction totale concernant trois pays traversés par des crises en effet très graves, n’a évidemment aucun sens d’un point de vue artistique et constitue une erreur majeure d’un point de vue politique. C’est tout le contraire qu’il convient de faire"
.

Il s'agit en effet d'une impertinence stratégique majeure. Le Président Emmanuel Macron évoquait, dans son discours aux ambassadeurs du 28 août, la nécessité pour la France de soutenir davantage les acteurs de la société civile et de ne pas baser leur politique uniquement sur le soutien aux dirigeants Africains. Cette fois-ci, la France vient de faire tout le contraire. Et s'il y a un domaine où Paris était encore très attractif pour les populations d'Afrique francophone, c'est bien dans celui du culturel et de l'éducation.


"Tout est toujours si compliqué avec la France que de plus en plus de jeunes se tournent vers le Ghana pour apprendre l’anglais et partir ensuite faire des études aux Etats-Unis"
, explique le père d'une étudiante burkinabé qui devait rallier l'Université de Lyon-II
"mais c’est le 4 août que l’interdiction de les délivrer est tombée"
(rapporté par Le Monde). Si Paris envisageait ces décisions afin d'isoler diplomatiquement ces pays "sahéliens", il ne fait au contraire que tirer une balle de plus sur son attractivité (déjà suffisamment en déclin) en Afrique.

Aujourd'hui, cette façon de militariser l'aide au développement, la coopération culturelle, les visas et les mobilités étudiantes ne fera que renforcer la quête de nouveaux partenaires pour les États africains francophones et ainsi que la jeune génération passionnée de souveraineté.
La France s'y prend visiblement mal dans sa quête d'un renouveau en Afrique alors qu'elle ne séduit plus. Ces décisions vont tout simplement renforcer la radicalité vis-à-vis de Paris et donner des arguments de plus à ses rivaux géopolitiques déterminés à offrir des alternatifs de partenariats plus justes, plus respectueux et plus équilibrés aux Africains.

Par
Alioune Aboutalib LO

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