Raid d'Israël sur Gaza en 2014: enquête sur la responsabilité d'un marchand d'armes français

La rédaction
12:392/08/2023, mercredi
MAJ: 2/08/2023, mercredi
AFP
La famille Shuheibar à Gaza. Crédit photo: THOMAS COEX / AFP
La famille Shuheibar à Gaza. Crédit photo: THOMAS COEX / AFP

Le 17 juillet 2014, trois enfants sont tués et deux autres grièvement blessés à Gaza par un missile israélien. Neuf ans après, à Paris, la justice enquête sur la responsabilité d'un marchand d'armes français, accusé par les victimes de complicité de crimes de guerre.

En cette fin de journée de juillet, cinq enfants de la famille Shuheibar nourrissent leurs pigeons sur le toit de leur immeuble dans le quartier de Sabra (nord de Gaza) quand un missile israélien vraisemblablement tiré par un drone s'abat sur eux.


Afnan, 8 ans, Wassim, 9 ans, et Jihad, 10 ans, sont tués. Eurofarad 16 ans, et son cousin Bassil, 9 ans, sont conduits à l'hôpital dans un état grave.


Israël menait alors l'opération
"Bordure protectrice"
(7 juillet-26 août 2014) depuis l'enclave palestinienne. Au moins 2.251 Palestiniens sont morts, pour la plupart des civils, et 74 Israéliens, surtout des soldats.

L'immeuble des Shuheibar a été frappé pendant un cessez-le-feu,
"dans un quartier où il n'y a jamais eu de bombardement"
car il n'y avait "
pas le moindre objectif militaire"
, expose l'avocat français de la famille, Me Joseph Breham.

"C'est un crime de guerre"
, affirme-t-il, rejetant l'hypothèse d'une
"erreur".

Dans les débris est retrouvé une pièce cylindrique noire portant les inscriptions partiellement effacées
"Eurofarad - Paris - France".

Selon les expertises, il s'agit d'un capteur fabriqué par l'entreprise française Eurofarad - rachetée en 2015 par le fabricant d'armes Exxelia Technologies -, et vendu à la société israélienne Rafael.

Ce capteur potentiométrique, considéré comme un
"matériel de guerre"
selon des documents consultés par l'AFP, servait à guider les ailettes des missiles à schrapnels (remplis de projectiles) conçus par cette société de défense.

La fin de "l'impunité"


Deux plaintes visant Exxelia sont déposées en 2016 et 2017 puis une information judiciaire est ouverte en France début 2018 pour complicité de crimes de guerre, en l'espèce attaque délibérée contre des civils et meurtres, et homicides involontaires.


Pour la première fois se pose devant la justice française la question
"des qualifications du comportement"
de l'armée israélienne
"à Gaza et en Cisjordanie"
et "
de la responsabilité"
des fabricants d'armes, estime Me Breham.

L'avocat réclame la fin de
"l'impunité"
pour les marchands d'armes et l'application du Traité sur le commerce des armes qui prévoit l'interdiction des exportations, ou la révision des autorisations lorsque des pays clients sont soupçonnés de crimes de guerre.

"Un vendeur d'armes est responsable de l'utilisation de ses armes quand il ne pouvait manquer d'ignorer qu'on allait commettre des crimes de guerre",
estime Me Breham.

"Sept ans après le début de ce dossier, il n'existe à ce jour, à notre connaissance, aucune charge contre la société, qui n'est pas mise en examen",
a réagi de son côté l'avocate d'Exxelia, Me Valérie Munoz-Pons, rappelant qu'une première enquête, à laquelle l'entreprise
"a pleinement collaboré",
avait été classée pour
"infraction insuffisamment caractérisée".

En juillet, Udai Shuheibar, ses parents, un oncle et son cousin Bassil sont venus en France pour être entendus par la juge d'instruction chargée des investigations.


Quand
"on a appris qu'on pouvait aller en France, je n'ai pas dormi de la nuit tellement j'étais heureux. On allait enfin pouvoir réclamer ce qui nous est dû"
, raconte Udai Shuheibar. "
J'ai été blessé quand j'avais 16 ans et (j'en ai) aujourd'hui 25: toutes ces années ont été perdues"
, soupire le jeune homme.

"On a demandé à aller en France pour cette affaire, on voulait une solution, des soins, à Gaza, on n'a rien, j'ai encore les éclats d'obus"
qui n'ont pas été retirés, raconte Bassil dont la boîte crânienne a été comblée avec une calotte.

Bassil et Udai ont détaillé à l'AFP lors d'une rencontre à Paris leurs blessures et séquelles.

"Ce qui est arrivé, je le vois encore devant mes yeux"
, confie Udai, qui a une longue cicatrice sur le ventre, la jambe droite tordue et un fragment encore emprisonné dans le bras gauche.
"Cette histoire m'a beaucoup touché, elle m'a totalement détruit psychologiquement."

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