Yasser Louati, analyste politique français et défenseur des droits humains, actuellement à la tête du "Comité français Justice et Libertés pour tous" (CJL), a évoqué ces exemples lorsqu'il s’est confié à Anadolu au sujet de la vie des musulmans en France.
"Si vous faites une demande de logement, cela vous prend deux fois plus de temps pour l’obtenir, parce que vous êtes identifié soit comme étant un africain, un nord-africain ou un musulman"
, a-t-il fait observer.
"Si vous êtes un jeune musulman en France, la violence policière vous cible en premier"
, a-t-il déploré.
Le co-auteur du Rapport annuel sur l’islamophobie en Europe pour l’année 2022, Enes Bayrakli, a désigné la France comme l'un des pays les plus islamophobes en Europe durant l’année écoulée.
Ainsi, pour l’année 2022, sur 527 signalements enregistrés (autrement dit, des faits dont il est avéré qu’ils relèvent de l’islamophobie, ndlr), 501 renvoient à une situation survenue en France, indique le Collectif contre l'islamophobie en Europe.
Des militants et des experts ont déclaré à Anadolu qu’ils approuvaient l’état des lieux dressé en France pour l’année 2022.
Il y a un coût à cette situation, c’est que vous devez lutter chaque jour. Car même si vous avez des droits sur le papier, ils ne vous sont jamais accordés.
Que signifie la réélection d'Emmanuel Macron pour les musulmans
La réélection du président français Emmanuel Macron en 2022
"n'est pas une bonne nouvelle pour les musulmans et la population française dans son ensemble"
, a déclaré Louati.
Il a souligné que le locataire de l’Elysée n'avait pas réussi à lutter contre la pauvreté, la corruption et la discrimination, et qu'au lieu de se concentrer sur les politiques sociales et économiques, il avait fait de la politique identitaire son principal cheval de bataille lors de la campagne présidentielle de l'année dernière.
"Il a préparé le terrain de sorte que son deuxième quinquennat consiste essentiellement à mater les musulmans avec des moyens appropriés et extrêmes"
, a déclaré Louati à Anadolu dans une entrevue via la plateforme de messagerie instantanée
.
Pour le défenseur des droits humains, cela signifie que le président français peut fermer n'importe quelle organisation sans passer par la justice et que les chercheurs universitaires peuvent être incriminés s'ils dénoncent l'islamophobie.
Abdennour Toumi, un expert de l’ORSAM (Centre d'études sur le Moyen-Orient), estime, pour sa part, que les deux quinquennats de Macron ont précipité la rupture entre l’État français et les musulmans.
"Politiquement parlant, Macron a porté préjudice à la relation entre les musulmans et la France en général"
, a-t-il déclaré.
Les musulmans français continuent d'être hantés par les répercussions de l'état d'urgence décrété par le gouvernement après les attentats terroristes de novembre 2015, qui avaient fait 130 morts.
"La peur et le traumatisme que nous avons vécus en 2015 nous ont marqués psychologiquement",
a déclaré Rayan Freschi, juriste français et chercheur au sein de l’organisation de défense des droits basée à Londres, CAGE.
Freschi, qui s’est converti à l'islam cette année-là, a souligné que cette période était très difficile pour les musulmans. Il a expliqué que des changements avaient été apportés aux niveaux de la législation, des politiques de l’Etat et de la justice, s’agissant de la manière dont ils traitaient les musulmans.
Louati a fait savoir que plus de 4 000 descentes de police ont été effectuées, dont la plupart contre des familles musulmanes. Il a déploré que le gouvernement
"s’en est pris brutalement"
à des milliers de familles, tandis que des centaines d'entreprises, d'associations caritatives et de restaurants Halal ont été perquisitionnés pour leur faire
.
Fustigeant l’action du gouvernement de l’époque, Louati a déclaré:
"Au cours de ces attentats terroristes, de nombreux musulmans sont morts, ce qui signifie que même en période de tragédie nationale, lorsque les terroristes ne distinguent pas les musulmans des non-musulmans, le gouvernement et les médias, eux, font la distinction".
Lois contre les musulmans
Les experts s’accordent à dire que
"la loi contre le séparatisme"
présentée au Conseil des ministres, le 9 décembre 2020, adoptée par le parlement le 23 juillet 2021 et publiée au Journal officiel du 25 août 2021,
"entrave systématiquement"
la liberté religieuse et les pratiques de l’islam.
De son côté, le président du
"Comité français Justice et Libertés pour tous"
, a déclaré que la criminalisation des musulmans se poursuit, car la loi contre le séparatisme est toujours en vigueur.
"Pour certains, la loi contre le séparatisme a approfondi un sentiment déjà existant de peur et de terreur dans la communauté"
, affirme Freschi.
La loi a entraîné la fermeture de mosquées ou d'écoles musulmanes, le harcèlement et l’intimidation d'imams, ainsi que la fermeture d'entreprises dirigées par des musulmans.
Il précise:
"Des milliers d'établissements musulmans ont fait l'objet d'une enquête diligentée par l'État, dont 900 ont été fermés de force par les pouvoirs publics et plus de 55 millions d'euros ont été saisis".
Alors que les récits de musulmans de France parmi la population active, ayant décidé de quitter l’Hexagone, se multiplient et font la Une des journaux, Freschi a souligné qu'il s'agissait déjà d'un phénomène social.
"L'islamophobie est si ancrée qu'elle entrave fondamentalement la capacité même de vivre en tant que citoyens libres. Cette hostilité à l’encontre de l’Islam et des musulmans est tellement forte, qu’à un moment donné vous prenez la décision de partir, vous devez soit partir, soit lui résister"
, a-t-il déclaré.
Abdennour Toumi a fait observer qu'au cours des cinq dernières années, un grand nombre de jeunes musulmans diplômés, ont immigré aux États-Unis et au Canada, et plus récemment en Türkiye, en Malaisie, en Indonésie, aux Émirats arabes unis et au Qatar à la recherche
"d’une vie meilleure et pour être en paix"
.
Les militants des droits humains ne se font pas d’illusion quant à la volonté du gouvernement de lutter contre l'islamophobie et s’attendent à ce que les lois et les politiques se durcissent davantage contre les musulmans à l'avenir.
Cependant, ils placent leur espoir dans la jeune génération, de laquelle vont émerger des dirigeants et des militants musulmans.
Freschi estime que la jeunesse musulmane a vécu la guerre contre le terrorisme, suivie des guerres en Afghanistan et en Irak, même si en Europe, ils ont été étroitement exposés aux récits de ces guerres.
"Tout d'abord, ils comprennent parfaitement que l'islamophobie existe, que c’est une réalité. Deuxièmement, qu’elle a été institutionnalisée par l'État. Et troisièmement, qu'il faut s'y opposer systématiquement et que cela nécessite la construction d'une communauté musulmane véritablement indépendante, une communauté musulmane forte"
, a-t-il déclaré.