Les atouts des nouveaux acteurs géopolitiques en Afrique

La rédaction
13:0914/09/2023, الخميس
MAJ: 18/10/2023, الأربعاء
Yeni Şafak
Le Président de la République de Türkiye, Recep Tayyip Erdoğan au troisième Sommet du partenariat Türkiye-Afrique à Istanbul, le 18 décembre 2021. Crédit Photo: MURAT CETIN MUHURDAR / TURKISH PRESIDENTIAL PRESS SERVICE / AFP
Le Président de la République de Türkiye, Recep Tayyip Erdoğan au troisième Sommet du partenariat Türkiye-Afrique à Istanbul, le 18 décembre 2021. Crédit Photo: MURAT CETIN MUHURDAR / TURKISH PRESIDENTIAL PRESS SERVICE / AFP

La géopolitique africaine est en forte mutation depuis quelques années. Les récents coups d’Etat au Sahel et la remise en question de l’hégémonie des traditionnels partenaires Occidentaux, corroborent une tendance de redistribution des cartes sur le continent. La Türkiye, la Russie, la Chine ou encore l’Inde sont devenus de nouveaux partenaires pour les pays africains, face aux Occidentaux, avec leurs atouts, leurs forces et des faiblesses différentes pour chacun d’entre eux.

Sommet Afrique-Russie, Sommet Afrique-Türkiye, Sommet Afrique-USA, Sommet Afrique-France (la liste est loin d’être exhaustive) ... les plateformes et rencontres diplomatiques entre les pays africains et des puissances étrangères n’ont cessé de se multiplier ces dernières années. Chaque acteur essaye de renforcer son influence politique, ses relations économiques, de multiplier ses “amis” en Afrique, de se présenter comme le partenaire qu’il faut aux pays africains. La diplomatie publique est devenue un jeu de séduction, le renforcement de son soft power, face à une Afrique qui en veut plus qu’auparavant, et qui cherche désormais des partenariats équitables, basés sur le respect et l’humanité.


De nouveaux acteurs, des puissances émergentes, avec de nouvelles offres et de nouveaux atouts, se sont ainsi invités sur le continent. Ils s’imposent en nouveaux partenaires, avec un nouveau narratif, une nouvelle rhétorique, qui ne font pas que des heureux. Les puissances occidentales, d’anciens colons devenus “partenaires” stratégiques de gré ou de force, se voient désormais particulièrement menacées dans leur influence presque hégémonique depuis les “indépendances”, et qui ont du mal à faire face aux mutations sociopolitiques résultant pour la plupart, des manquements de leur politique étrangère impérialiste et déséquilibrée sur le continent. Certains sont dans le déni, la France en l’occurrence, refusant d’admettre ses propres turpitudes et préférant toujours se présenter en victime d’une propagande anti-française des nouveaux acteurs, devenus des rivaux qui font mieux qu’elle. Parce que oui, la Türkiye, la Russie ou la Chine semblent devenues des partenaires aux offres beaucoup plus intéressantes pour les Etats d’Afrique.


Ces nouveaux acteurs, devenus extrêmement proactifs sur le continent depuis deux décennies (pour la Türkiye et la Chine en l’occurrence), dament visiblement le pion aux Occidentaux. Chacun d’entre eux présente des atouts et des offres de politique étrangère qui font désormais leur réputation (à différents degrés) sur le continent. Mais chacune de ces puissantes émergentes présente aussi des faiblesses, voire des lacunes dans leur politique étrangère qui pourraient compromettre leur partenariat avec les pays africains ou ne pas leur permettre d’optimiser réellement leur potentiel.


La Türkiye de Recep Tayyip Erdoğan


La Türkiye est devenue un acteur “important” dans la géopolitique africaine. Depuis le début de ce siècle et partant du projet
“ouverture à l’Afrique”
d’Ismail Cem de 1998, Ankara a renforcé considérablement ses partenariats avec le continent. Devenue “partenaire stratégique”
de l’Union Africaine depuis 2008, la Türkiye a renforcé son image, sa réputation et surtout une diplomatie économique active en Afrique, qui lui a permis de s’imposer comme un partenaire crédible et légitime du continent. Les atouts de la Türkiye trouvent surtout source dans la rhétorique et dans la personnalité de Recep Tayyip Erdoğan. Il est la première source du soft power turc en Afrique.
“Nous, en Türkiye, nous attachons une grande importance et une grande valeur à la relation étroite que nous entretenons avec le continent africain (...) Nous désirons faire progresser ces relations sur la base d’un partenariat égalitaire gagnant-gagnant, dans le cadre du respect mutuel”
, avait expliqué le président turc en Angola en novembre 2021.

La diplomatie humanitaire mise en œuvre en Afrique depuis la venue de l’AK Parti au pouvoir, a d’emblée été la variable déterminante de ce que la Türkiye désirait offrir et faire avec ses partenaires. Le nombre d’étudiants africains boursiers de la Türkiye, le rôle proactif des ONGs turcs (TİKA, Diyanet, Türk Kızılay etc.), le commerce et les produits turcs de plus en plus prisés sur le continent, ont fini de renforcer des relations cordiales entre les peuples africains et turcs. La religion islamique et le positionnement du Président Erdoğan comme un leader du monde musulman a aussi été un levier de rapprochement et de facilitation des interactions entre l’Afrique et la Türkiye.


La rhétorique d’une Türkiye en quête de relations économiques basées sur le respect et sur des partenariats gagnant-gagnant, a toujours été une base solide d’une profonde confiance entre le Président Erdoğan et ses homologues africains. Les entreprises turques et leurs performances sont devenues non seulement des facteurs de développement économique en Afrique, mais ont aussi renforcé la crédibilité de la Türkiye. Les formations militaires et la vente de drones Bayraktar TB2 accessibles aux africains en termes de prix et de facilité d’utilisation, ont fini de renforcer le positionnement de la Türkiye en Afrique. La Türkiye a surtout gagné des cœurs et les esprits en Afrique en s’éloignant de toute perspective anti-impérialiste. Mieux, les propos d’Erdoğan en janvier 2013 au Gabon continuent de déterminer l’aura turque en Afrique:

L'Afrique appartient aux Africains, nous ne sommes pas ici pour votre or.

Mais si la Türkiye présente bien des atouts dans sa politique étrangère en Afrique, elle a encore une marge de progression nécessitant plus d’efforts. Les 45 milliards de dollars d’échanges commerciaux entre Ankara et l’Afrique sont bien loin des 282 milliards de dollars de la Chine alors que la présence diplomatique de la Türkiye à travers 45 ambassades en Afrique devrait permettre de booster cette courbe. Ensuite la diaspora africaine de plus en plus présente en Türkiye, entre étudiants et commerçants, pourrait être aussi mieux optimisée dans les relations turco-africaines.


La diaspora est extrêmement importante en Afrique et détermine de plus en plus les mutations géopolitiques notées sur le continent. Leur voix peut renforcer ou décrédibiliser une puissance étrangère sur le continent, au Sénégal par exemple leurs transferts d’argent représentent environ 10% du PIB. Une donne à intégrer dans la stratégie de soft power de la Türkiye.

La Chine et la Russie


Pékin et Moscou sont d’éminents acteurs désormais en Afrique. La Chine s’est positionnée comme un acteur exclusivement économique en Afrique depuis plus de 20 ans, malgré des efforts de soft power via la promotion de la langue chinoise et l’offre bourses aux étudiants. Les commerçants chinois ainsi que les produits “made in China” sont presque devenus incontournables dans le marché africain. L’offre économique de la Chine s’est surtout basée sur une stratégie de pénétration de marché par une segmentation commerciale compatible au pouvoir d’achat des populations, en cassant les prix. Des produits des chaussures, aux gros contrats d’infrastructures publics, la Chine a réussi à dépasser plutôt facilement les Occidentaux dont les offres n’ont pas toujours respecté les délais de livraison et n’ont pas toujours été efficientes.


Jusque-là l’approche chinoise reste purement économique même si les relents politiques commencent à se sentir. La Chine a toujours privilégié, comme la Türkiye, une approche de non-ingérence dans les affaires politiques africaines, et a plutôt cherché à ne “regarder” que l’alternative économique qu’elle pouvait représenter aux yeux de l’Afrique et en faire un atout d’influence. Mais la politique chinoise en Afrique est aussi critiquée pour sa forte orientation à l’endettement.


La dette chinoise en Afrique, évoquée comme un “piège” par les Occidentaux, renforce une dépendance des pays africains envers Pékin, qui peut constituer une vulnérabilité dans les relations économiques avec le continent. La question des Ouighours aussi émeut la population musulmane africaine et reste le talon d’Achille du soft power chinois en Afrique.

La Russie elle, est plutôt assez loin de toute cette stratégie de soft power. Moscou est plutôt dans le smart power. Les drapeaux russes et les slogans pro-russes brandis au Mali, au Burkina Faso et au Niger aux lendemains de coups d’Etat, ont mis un coup à l’influence occidentale. La Russie est devenue un acteur privilégié de beaucoup d’Africains quand il s’agit de la gestion de la sécurité et de la lutte contre les groupes armés, sur des territoires, comme au Mali, où la présence occidentale de plus de 10 ans n’a jamais pu mettre fin aux menaces sécuritaires. La logistique, les formations et les combattants (Wagner) militaires sont devenus les leviers d’influence de la Russie en Afrique, et Moscou est parvenu jusque-là à capitaliser une certaine sympathie avec cela. Mais le pays de Vladimir Poutine profite surtout de ses antécédents positifs en Afrique durant la colonisation où l’URSS a été aux côtés de mouvements de libération, notamment en Afrique australe, comme le Congrès national africain (ANC) et le Parti communiste sud-africain (SACP) en Afrique du Sud, le Mouvement populaire pour la libération de l'Angola (MPLA), le Front de libération du Mozambique (FRELIMO) et l'Union du peuple africain du Zimbabwe (ZAPU), et cela, Moscou en fait désormais un outil d’attractivité en Afrique.


La Russie a notamment bénéficié davantage du soutien diplomatique des pays africains à l’ONU. Les abstentions pour le vote de condamnation de l’invasion russe de l’Ukraine ont fini de montrer que l’influence de Moscou gagne du terrain malgré des relations économiques moins vibrantes que ce que l’Afrique enregistre avec les autres partenaires.
"Si les liens économiques entre la Russie et l'Afrique sont modestes, le continent dote la Russie d'une scène globale depuis laquelle la Russie peut se vanter d'une posture géostratégique plus importante qu'elle n'y parait"
, explique le chercheur Dr Joseph Siegle à la BBC.

Mais Moscou peut-il pérenniser cette sympathie dans le temps uniquement via les outils du hard power ? Pas sûr.


L’Afrique a besoin d’être accompagnée dans l’économie, la technologie, la sécurité alimentaire entre autres. Le défi de la Russie sera désormais de diversifier son offre de la politique étrangère en Afrique et de ne pas se suffire à offrir des céréales dans le contexte de la guerre.

Quoi qu’il en soit, les puissances émergentes sur le continent ont des atouts qui font logiquement leur succès actuel chez les Africains. Les relations asymétriques avec les anciens acteurs comme la France, les Etats-Unis dans une moindre mesure, le Royaume-Uni, sont désormais mises à rude épreuve. Les conditionnalités et le paternalisme qui continuent de marquer les politiques étrangères de l’Ouest en Afrique vont continuer de renforcer un sentiment d’aversion chez les Africains décomplexés tant que les Occidentaux ne seront pas conscients de deux choses: ils ne sont plus seuls en Afrique et il y a un réveil des consciences commun à toute l’Afrique désormais, sur les véritables enjeux qui empêchent le développement du continent. À bon entendeur...


Par
Alioune Aboutalib LO

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