La réouverture de la frontière terrestre entre le Kenya et la Somalie en 3 questions

10:2327/05/2023, السبت
MAJ: 27/05/2023, السبت
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L'arrivée de réfugiées somaliens au Kenya à la frontière entre les deux pays. Crédit Photo: Bobb Muriithi / AFP
L'arrivée de réfugiées somaliens au Kenya à la frontière entre les deux pays. Crédit Photo: Bobb Muriithi / AFP

Gözde Söğütlü, doctorante à l'université d'Istanbul, département des sciences politiques et des relations internationales, a analysé les effets de la réouverture progressive de la frontière terrestre entre le Kenya et la Somalie en 3 points.

1 - Pourquoi les frontières ont-elles été fermées ?


La frontière entre les deux voisins d'Afrique de l'Est, le Kenya et la Somalie, a toujours été problématique depuis la chute du gouvernement somalien en 1991. Les points de passage entre le Kenya et la Somalie ont été fermés en 2011 par l'administration de l'ancien président kenyan, Mwai Kibaki, à la suite d'attaques de l'organisation terroriste al-Shabaab.
La frontière entre le Kenya et la Somalie, longue de 700 kilomètres, a été fermée pour empêcher les attaques de l'organisation terroriste extrémiste religieuse, al-Shabaab, basée en Somalie, sur le sol kényan, y compris l'enlèvement de touristes et de travailleurs humanitaires étrangers.

L'organisation terroriste al-Shabaab a mené des attaques notoires au Kenya, qui joue un rôle actif dans les opérations de maintien de la paix menées par l'Union africaine (UA) en Somalie depuis 2011. Le Kenya a été la cible de nombreuses attaques revendiquées par al-Shabaab, notamment le centre commercial Westgate à Nairobi en septembre 2013, l'université de Garissa en avril 2015 et le complexe hôtelier Dusit en janvier 2019. En 2015, 150 personnes ont été tuées lors de l'attaque de l'organisation centrée sur l'université de Garissa au Kenya, qui a été enregistrée comme l'attaque la plus meurtrière. Par ailleurs, plus de 300 villageois kényans ont perdu la vie depuis 2013 en raison des attaques, qui répondaient aux tirs de harcèlement des soldats kényans. Les attaques d'al-Shabaab ne se sont pas limitées au nord du Kenya, mais ont également touché la région allant de Lamu, dans l'est du pays, à Mombasa, le cœur du secteur touristique.


2 - Quels ont été les effets de la fermeture des frontières ?


La Somalie et le Kenya sont des partenaires stratégiques dans la lutte contre l'organisation terroriste extrémiste al-Shabaab et des partenaires commerciaux clés dans la région.
Par conséquent, la fermeture des frontières entre les deux pays a eu des répercussions socio-économiques, culturelles et commerciales multidimensionnelles.

La fermeture des frontières a affaibli les activités économiques et commerciales des Kényans vivant dans les villages frontaliers et a eu des répercussions négatives sur leur vie sociale. Pendant cette période, les pêcheurs et les commerçants ne pouvaient pas passer librement du Kenya à la Somalie. Le commerce de la pêche a donc été perturbé dans les régions d'Ishakani, de Ras Kamboni et de Sarira. La majorité des résidants kenyans de Lamu, qui ont réitéré leurs demandes de réouverture des frontières, sont des commerçants engagés dans la pêche. Mohamed Somo, président du réseau des unités de gestion des plages des pêcheurs de Lamu, a déclaré que
les restrictions frontalières imposées depuis 12 ans avaient des conséquences négatives sur leurs moyens de subsistance.

La fermeture de la frontière a également eu un impact négatif sur la vie sociale des communautés frontalières.
Les habitants de Lamulu à Kiunga, Ishakani, Ras Kamboni et Sarira qui ont épousé des Somaliens de Kismayo et de Mogadiscio ont dû vivre séparés de leur famille pendant la fermeture de la frontière. Les relations familiales s'en sont trouvées durablement détériorées. En outre, le centre de santé de Kiunga était le seul endroit où les femmes somaliennes enceintes et les enfants de Ras Kamboni et des régions voisines pouvaient être soignés.
Avec la fermeture de la frontière, beaucoup de femmes et d'enfants qui n'ont pas pu passer à Kiunga n'ont pas non plus pu accéder aux services de santé.

Paradoxalement, la fermeture de la frontière, motivée par des préoccupations sécuritaires, a également accru l'instabilité dans la région. Le ministre somalien de la sécurité intérieure, Abdirizak Mohamed Omar, a évoqué l'infiltration de terroristes potentiels parmi les réfugiés, dont beaucoup se trouvaient déjà au Kenya. Selon Omar, les restrictions frontalières sont inutiles et inefficaces contre les attaques d'al-Shabaab.
Cependant, la fermeture des points de passage suite à l'augmentation des attaques de l’organisation terroriste dans la région côtière continue d'encourager le commerce illégal de drogues et la traite des êtres humains.

3 - Comment l'ouverture des frontières affecte-t-elle les relations entre les deux pays ?


Kithure Kindiki, secrétaire d'État aux affaires intérieures du Kenya, a annoncé le 14 mai que le Kenya et la Somalie, dont les communautés frontalières partagent de nombreux points communs, ont convenu de rouvrir trois postes frontaliers fermés.
Les trois postes frontaliers dont la réouverture progressive est prévue à partir du 1er juillet sont les suivants : Mandera-Belet Hawo (Belethawa), Liboi Harhar-Dhobley et Kiunga-Ras Kamboni.

Étant donné que les personnes d'origine ethnique somalienne ont une culture commune en tant que citoyens kenyans, la décision d'ouvrir les frontières devrait accélérer la normalisation des relations commerciales, économiques et culturelles entre les deux pays.


Cette décision, qui est conforme à l'accord de libre-échange continental africain (AfCFTA), qui vise à promouvoir le commerce intra-africain, constitue également une étape importante vers le développement des relations commerciales et diplomatiques entre les deux pays.
À cet égard, la décision permettra d'accroître les flux de personnes et de capitaux entre le Kenya et la Somalie et de créer des emplois pour la population locale.

De plus, elle affectera profondément la façon dont les deux pays se perçoivent et interagissent, apportera surtout des gains importants dans la lutte contre le terrorisme en termes d'établissement de la sécurité. La réouverture des points de passage renforcera la sécurité aux frontières et mettra un terme aux flux de contrebande utilisés pour financer les activités terroristes. Elle favorisera également l'échange de renseignements en permettant des patrouilles conjointes dans le cadre de la lutte contre le terrorisme.


Les relations diplomatiques entre la Somalie et le Kenya ont été rompues en 2020 en raison d'un différend au sujet des frontières maritimes des deux pays dans la région de l'océan Indien.
À cet égard, l'ouverture des frontières somalienne et kényane facilitera le développement des relations diplomatiques entre les deux pays dominants de la région et l'instauration de la paix et de la stabilité dans la région à long terme.

* Les opinions exprimées dans les articles appartiennent à l'auteur et peuvent ne pas refléter la politique éditoriale de l’Agence Anadolu.


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