En réponse à une question d'Anadolu, ce mardi, Aurélie Trouvé et Mathilde Hignet ont décrit les répercussions de cette tendance sur l'agriculture française et l'environnement.
Les députées ont exprimé leurs préoccupations face à la montée de la spéculation foncière en France qui représente un danger pour la souveraineté alimentaire ainsi que l'écologie.
Elles ont estimé que l'approche mercantile de l'agriculture favorise les grandes exploitations intensives au détriment des petites fermes familiales, qui sont le cœur d'une agriculture durable.
Une situation non chiffrée
Interrogée sur le nombre d'exploitations françaises détenues par des multinationales, Aurélie Trouvé rappelle qu'elle fait
"partie d'une équipe de recherche à l'AgroParisTech qui entreprend ces recherches"
et ajoute qu'il
"n'existe pas de chiffres sur le sujet"
, malgré l'existence de
dans ce domaine.
"Par exemple, vous avez Axa Millésimes, ou tel autre fonds d'investissement. Ce que l'on sait, c'est que c'est un phénomène qui s'accélère énormément. Et surtout, cette crise [des agriculteurs] n'arrive pas par hasard. C'est-à-dire qu'on est à un moment un peu charnière".
C'est-à-dire que là, on a une taille d'exploitation agricole familiale moyenne, qui fait que, dans les années à venir, elles ne seront pour beaucoup pas transmissibles dans un cadre familial.
En effet, en 2020, les exploitations agricoles françaises étaient en moyenne 69 hectares (ha) en 2020, soit 14 ha de plus qu'en 2010 et 27 de plus qu'en 2000, selon l'Agreste, et cette tendance à l'accroissement devrait poursuivre dans les années à venir.
Pour sa part, la députée Mathilde Hignet, elle-même issue du milieu agricole, a mis l'accent sur les conséquences de cette tendance sur la souveraineté alimentaire.
"Aujourd'hui, il y a trois départs à la retraite pour une installation, c'est-à-dire que sur trois fermes, il y en a une qui va être prise et les deux autres vont partir à l'agrandissement ou à l'abandon"
, explique-t-elle avant de souligner le manque de visibilité des SAFER (Sociétés d'aménagement foncier et d'établissement rural) sur les fermes et les exploitants agricoles qui vont arrêter, et la nécessité de trouver des moyens d'anticiper les départs à la retraite pour accompagner les jeunes à reprendre les fermes.
La députée a également abordé l'évolution dramatique du nombre de fermes en France, passant d'un million dans les années 1990 à 400.000 aujourd'hui. Elle insiste sur l'importance de travailler sur la transmission et l'installation, notant qu'
"une transmission, ça se prépare dix à cinq ans avant le départ à la retraite".
"Dans dix ans, c'est effectivement la moitié des agriculteurs qui vont partir à la retraite, ça veut dire que si on continue sur du trois départs, une installation, c'est sûr qu'on va avoir des fermes, des très grandes fermes, qui vont être difficilement reprenables"
, ajoute-t-elle.
Difficultés de reprise pour les jeunes
La députée Aurélie Trouvé a aussi mis en lumière les difficultés financières rencontrées par les jeunes souhaitant reprendre une exploitation agricole, observant que
"quand il faut mettre plusieurs millions d'euros sur la table pour reprendre une exploitation, les enfants ne peuvent pas reprendre"
et que:
Nous sommes en train de basculer de ce qu'on appelle une agriculture familiale à une agriculture capitaliste.
Enfin, la députée a fait écho à ces préoccupations en soulignant que
"c'est un phénomène qui s'accélère énormément".
Ces déclarations des députées LFI mettent en lumière un défi majeur pour l'agriculture française: la nécessité de protéger les terres agricoles contre l'accaparement par des investisseurs et de soutenir la transmission des exploitations agricoles aux jeunes générations.
Cette question est cruciale non seulement pour la souveraineté alimentaire de la France, mais aussi pour la préservation d'un modèle agricole durable et respectueux de l'environnement, selon les députées LFI.
Enquête d'une spécialiste
Lucile Leclair, diplômée de Sciences Po et spécialiste des néo-paysans, auteurs de plusieurs livres sur le sujet, révèle un phénomène grandissant, mais peu visible: l'accaparement de terres agricoles par des entreprises de l'agroalimentaire et du secteur de la cosmétique, tels qu'Auchan, Fleury-Michon ou Chanel.
Selon, Leclair, cette tendance est marquée par une opacité et une difficulté à obtenir des données fiables. Sur les 26 millions d'hectares de terres agricoles en France, la proportion détenue par ces groupes reste inconnue.
Historiquement, la SAFER (Société d'aménagement foncier et d'établissement rural) avait pour mission de réguler l'accès au foncier pour favoriser les agriculteurs, explique-t-elle dans une interview accordée à France Culture.
Néanmoins, la SAFER a perdu de son influence et peut désormais vendre des terres à des groupes industriels.
Changement du paysage agricole
Cette évolution du marché foncier entraîne un changement dans la nature même de l'agriculture : les agriculteurs deviennent souvent des salariés des groupes industriels, menant à la perte de leur savoir-faire et de leur lien avec la terre. Cela se traduit également par une standardisation des exploitations et des produits alimentaires.
Leclair souligne également que certains salariés préfèrent cette situation à l'incertitude financière de l'agriculture traditionnelle. Cependant, elle déplore un retour en arrière, considérant que ces développements remettent en question les acquis des générations précédentes d'agriculteurs.
Le cas de Chanel, payant jusqu'à 150 fois le prix moyen de l'hectare en France pour cultiver des fleurs pour ses parfums, est un exemple notable.
En conclusion, Leclair met en lumière les implications de ces changements pour l'agriculture française: une perte d'autonomie des agriculteurs, une standardisation des produits et un défi pour la gestion durable des terres agricoles.