Installée dans un bidonville en Seine-Saint-Denis, Cristina (prénom modifié) doit marcher plusieurs kilomètres pour avoir accès à de l'eau potable.
Comme de nombreux sites d'habitat précaire franciliens, le terrain où réside la jeune femme, son mari et leurs deux enfants de 10 mois et six ans, aux côtés d'une vingtaine d'autres habitants, n'est pas relié au réseau de distribution d'eau.
"Je vais à pied jusqu'au cimetière ou au stade, trois à quatre fois par jour"
pour remplir des bidons de 20 litres que se partagent plusieurs familles, décrit Cristina aux membres de Solidarités International venus établir un diagnostic technique. L'ONG a ouvert une mission en France lors de la crise du Covid-19.
La plateforme Résorption-bidonvilles, pilotée par la délégation interministérielle à l'hébergement et à l'accès au logement (Dihal), recensait début avril 137 sites en Île-de-France, soit 6 741 personnes, majoritairement originaires de Roumanie et de Bulgarie.
Seuls 39 de ces bidonvilles bénéficiaient d'un raccordement à l'eau courante.
Une directive européenne transposée en droit français en décembre 2022 impose aux collectivités d'améliorer l'accès à l'eau pour les publics vulnérables et marginalisés en prévoyant notamment un volume minimum de 50 à 100 litres d'eau potable par jour et par personne.
Mais la réalité est plus complexe.
"La loi a changé mais sur le terrain elle n'est pas appliquée"
, regrette l'architecte Pascale Joffroy, co-fondatrice de Système B, une association visant à protéger les bidonvilles et à améliorer les conditions de vie de leurs habitants.
"Quand je vais voir des maires pour demander de l'eau pour des bidonvilles, c'est toujours non"
, ajoute-t-elle.
Lors de sa visite sur le site où vivent Cristina et sa famille, l'équipe de Solidarités inspecte les alentours pour trouver un point de raccordement temporaire.
Deux pistes émergent: le branchement d'un tuyau à une borne incendie située à une centaine de mètres du bidonville ou le percement de la voirie.
Un diagnostic Eau, Hygiène, Assainissement (EHA) détaillant les préconisations techniques sera envoyé dans les jours qui suivent à la municipalité.
"On essaye de rassurer les collectivités sur le fait que nos installations peuvent être retirées aussi facilement qu'elles ont été montées"
, explique-t-on au sein de l'association Solidarités International.
Malgré ces garanties, les réponses des mairies tardent souvent à arriver et les autorisations sont accordées au compte-goutte.
Selon Intercommunalités de France,
"ce qui remonte ce sont les difficultés à identifier les personnes non raccordées, à partager les données avec un regard social".
L'association, qui regroupe près d'un millier de collectivités territoriales, indique à l'AFP que
"les services des eaux n'ont pas toujours l'expertise sociale et le savoir-faire pour l'accompagnement social"
des populations des bidonvilles.
Mais pour Pascale Joffroy,
"ouvrir un robinet c'est simplissime, vous pouvez tirer un tuyau sur 100 mètres"
, affirme-t-elle.
"C'est plutôt qu'il y a de la résistance, parce qu'il y a de la résistance à l'égard de ces habitats"
, estime-t-elle.
Les JO de Paris (26 juillet - 11 août) font craindre à l'architecte une dégradation d'une situation déjà précaire.
"En Seine-Saint-Denis, il y a un désir de faire le beau, le propre, le net qui rend les expulsions encore plus fréquentes et la fourniture de l'eau encore plus rare"
, déplore-t-elle.
"Le Revers de la médaille", qui regroupe des dizaines d'associations et d'ONG, alerte depuis plusieurs mois sur un risque de "nettoyage social" visant les populations les plus vulnérables avant l'échéance olympique.
Le collectif met en garde face aux
"tensions avec le voisinage, les touristes, les agents de sécurité, les forces de l'ordre lors de l'utilisation des sources d'eau non sécurisées"
ou encore
"l'interdiction d'accès aux points se situant à proximité des sites olympiques".
La perspective des JO n'inquiète pas outre mesure Cristina et les résidents du bidonville, qui disent vivre en bonne entente avec les habitants et les autorités locales.
Mais la jeune femme, qui vit avec quelques centaines d'euros par mois, essentiellement grâce aux travaux de ferraillage de son mari, espère pouvoir enfin bénéficier de l'eau potable après trois ans passés sur le site.