Attentat contre Samuel Paty: le rapport à la religion de deux prévenus, passé au crible

12:3721/11/2024, jeudi
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Lors de l'interrogatoire d'Azim Epsirkhanov, plusieurs observateurs se sont offusqués, dans les rangs du publics et des familles des prévenus, de la manière dont la pratique religieuse semble être mise en accusation par certains intervenants.
Crédit Photo : X /
Lors de l'interrogatoire d'Azim Epsirkhanov, plusieurs observateurs se sont offusqués, dans les rangs du publics et des familles des prévenus, de la manière dont la pratique religieuse semble être mise en accusation par certains intervenants.

Azim Epsirkhanov est l'un des maillons de la chaîne qui a conduit à l'assassinat terroriste de Samuel Paty. Agé de 23 ans, il est jugé pour des faits de complicité d'assassinat terroriste et encourt la prison à perpétuité pour avoir aidé l'auteur des faits à se procurer des armes.

Ce mercredi il est le premier des huit accusés à être interrogé par la Cour d'Assises spéciale qui tente de déterminer son degré d'implication dans l'attentat perpétré par Abdoullakh Anzorov le 16 octobre 2020.


À travers le box vitré, sur un ton posé, vêtu d'une veste de costume bleue, il a longuement répondu, tout au long de la journée, aux questions du président Franck Zientara, puis à celles des avocats des parties civiles et de la défense.


Un degré d'implication incertain


Azim Epsirkhanov a livré, pendant plusieurs heures, un récit plutôt clair des événements, tels qu'il les a vécus, en remontant au 13 octobre 2020, soit trois jours avant l'attentat commis par son ami d'enfance, issu comme lui, de la communauté tchétchène.


Il explique à la Cour que le 13 octobre 2020, Anzorov, qui vit à Evreux, le contacte et lui indique qu'il souhaite le rejoindre à Rouen, où il vit avec sa petite-amie, pour des démarches en lien avec ses recherches professionnelles.


"Il me dit qu'il va venir avec Naïm (NDLR: Boudaoud, lui aussi soupçonné de complicité d'assassinat terroriste et détenu dans la même affaire). Ils viennent le 15 octobre. Sur place, il demande à mon cousin une arme. Et mon cousin lui dit qu'il n'y en a pas. Il ne dit rien et n'en reparle plus toute la journée. Dans l'après-midi, on continue une journée banale. Et là Anzorov nous dit qu'il veut acheter un couteau pour l'offrir à son grand-père"
, détaille le jeune homme.

Les trois amis se dirigent ensuite vers un commerce de couteau pour en choisir un.


Boudaoud et Epsirkhanov assurent tous les deux qu'ils pensaient qu'Anzorov souhaitait l'offrir à son grand-père à qui il a
"l'habitude de faire des cadeaux"
. Plus tard dans l'après-midi du 15 octobre, Abdoullakh Anzorov, dont l'enquête a démontré qu'il avait déjà établi son projet d'attentat le 12 octobre, le relance sur une recherche d'arme à feu.

"Je demande à mon cousin de lui trouver mais il m'a dit on verra plus tard (…). Je ne me suis pas demandé pourquoi il en voulait une. J'ai pensé que c'était pour la garder chez lui",
déclare Azim Epsirkhanov.

Et de poursuivre:
"Anzorov je lui dis que c'est pas possible. Le lendemain, il m'appelle et il me dit que Naïm ne répond pas. Il me demande de chercher un train mais il n'y en a pas, il me demande de lui chercher un Blablacar (covoiturage) pour revenir à Rouen mais qu'ensuite il doit retourner à son travail. Il me dit que c'est à Conflans-Sainte-Honorine".

Selon lui, il n'aura plus aucune nouvelle de son ami tout au long de l'après-midi, jusqu'à ce qu'un autre contact ne lui envoie un message pour lui annoncer que:


Abdoullakh Anzorov vient de se faire tuer par la police.

"À ce moment-là c'est la seule information que j'ai, je ne savais pas qu'il avait commis quelque chose. Je dis que c'est n'importe quoi. Il me dit regarde les infos (…). Un autre ami vient et me montre cette photo horrible qui me terrifie (NDLR: De la tête décapitée de Samuel Paty). Je me dis non c'est pas possible Anzorov était avec moi ce matin. Tout est confus, plusieurs informations m'arrivent. Je ne fais pas le lien entre l'attentat et Anzorov".

"Son identité se confirme et je me remémore ce qui s'est passé la veille: l'achat des couteaux, la recherche d'armes etc. J'appelle Naïm pour lui demander où il l'a déposé. Naïm me dit qu'il l'a déposé à côté d'une maison. Je veux sortir de cette salle en ayant dit tout ce que je savais. Je rentre à la maison je raconte tout à mon père. Je lui dis que je ne savais rien du tout. La mère de Naïm vient aussi pour qu'on aille voir la police. On se présente nous-mêmes. On a été placés en garde à vue et entendus par la police"
, relate enfin Azim Epsirkhanov.

Après ces faits, le jeune homme est déféré et est incarcéré depuis désormais quatre années. Il clame son innocence et jure, face au Président de la Cour d'Assises spéciale, qu'il n'a jamais envisagé que son ami pouvait se livrer à un tel acte.

Tout au long de la journée, des questions précises défilent, concernant la recherche d'armes, l'achat de couteau, mais également sur le rapport à la religion des prévenus, ainsi que sur leur pratique.


La question religieuse en toile de fond


Au-delà des faits en eux-mêmes, l'enquête a très largement porté sur le lien à l'Islam, qu'entretiennent Naïm Boudaoud et Azim Epsirkhanov. Leurs recherches en ligne ont été épluchées et les vidéos consultées ont été listées pour déterminer s'il existait un quelconque signe de radicalisation.

Mardi déjà, un témoin, travailleur social à Evreux, où ont grandi les deux prévenus et le terroriste, décrit une commune
"où les enfants pensent que tout le monde est musulman"
et qui compte
"quatre mosquées"
, décrivant une islamisation du quartier de La Madeleine et accuse certaines famille de
"fondamentalisme".

Dans la même journée, le meilleur ami de Naïm Boudaoud est lui aussi questionné sur la pratique religieuse de ce dernier, mais balaie le sujet en indiquant que le jeune homme n'avait jamais porté un intérêt marqué à la pratique religieuse.

À la barre, plus tard dans la soirée, sa mère, décrit Azim Epsirkhanov comme
"gentil et serviable"
, mais selon elle, il n'aurait jamais eu d'intérêt particulier pour la religion.

On est musulmans, pour nous c'est important mais Azim n'avait pas d'intérêt particulier pour la religion.

"Il n'allait pas à la mosquée de manière régulière. Il fréquentait Anzorov, ils étaient ensemble au collège, et il venait lorsqu'on vivait au foyer mais ensuite quand j'ai déménagé je ne l'ai pas revu"
, a expliqué la quadragénaire, assistée par une interprète.

Cependant, les déclarations des proches des prévenus, tendant à écarter tout fanatisme, sont intervenues en totale contradictions avec les déclaration d'un agent de la SDAT (Sous-direction antiterroriste), venu témoigner à la barre mardi matin.


Evoquant des recherches de
"Drapeau de Daech"
sur internet de la part d'un des prévenu, il est rapidement repris par l'une des avocates de la défense, qui lui rappelle que son client a seulement tapé
"drapeau du Tawhid"
et jamais
"Daech".

Au fil de son intervention, l'enquêteur a de nouveau provoqué la colère des avocats des accusés en mentionnant notamment une prière commune sur un parking, des recherches
"d'anasheeds"
, ou de la Sourate Al-Baqara, l'amenant à conclure à un processus de radicalisation.

"Vous avez mené une enquête à charge"
a grincé Maitre Hiba Rizkallah, qui conteste toute
"radicalisation"
de son client, Naïm Boudaoud.

Mais l'enquêteur n'est pas le seul à faire peser des accusations de radicalisation sur les prévenus. Lors de son interrogatoire, Azim Epsirkhanov a eu à s'expliquer, mercredi, sur une formule religieuse inscrite sur sa biographie sur les réseaux sociaux.


"Savez-vous que c'est aussi la phrase qu'a utilisée Anzorov?"
, lui a lancé la vice-procureure du parquet national antiterroriste, concernant la phrase
"c'est à Dieu que nous appartenons et vers lui que nous retournerons"
, sans avoir l'air de savoir qu'il s'agit d'une formule utilisée par l'ensemble des musulmans, notamment après un décès.

L'accusé a alors expliqué que cette phrase est liée à la mort d'un de ses amis, fin septembre 2020.


Sur place, plusieurs observateurs se sont offusqués, dans les rangs du publics et des familles des prévenus, de la manière dont la pratique religieuse semble être mise en accusation par certains intervenants.

Pour rappel, c'est un procès qui se veut historique, qui s'est ouvert le 4 novembre à Paris, et qui doit durer jusqu'au 20 décembre, selon le calendrier prévisionnel transmis par le PNAT (Parquet National Antiterroriste) à Anadolu.


Et pour cause, quatre ans après les faits, la justice aura à déterminer les responsabilités des huit accusés, dans l'assassinat, le 16 octobre 2020, de Samuel Paty, professeur d'histoire-géographie au collège du Bois d'Aulne à Conflans-Sainte-Honorine, décapité à la sortie des cours par un ressortissant russe, d'origine tchétchène, âgé de 18 ans.


Son bourreau, Abdoullakh Anzorov, abattu dans la foulée par les forces de l'ordre, reprochait à l'enseignant d'avoir montré à ses élèves, des caricatures issues du journal satirique Charlie Hebdo et mettant en scène le prophète Mohammed nu.

L'attentat avait provoqué une onde de choc dans tout le pays, et le nom de Samuel Paty fait, depuis, office de symbole. Six mineurs ont déjà été condamnés par le tribunal pour enfants, au terme d'un procès intervenu fin 2023.


Au cours des sept semaines que durera ce procès présidé par un juge assisté de quatre assesseurs, le rôle des huit accusés âgés de 22 à 65 ans, dont cinq comparaissent détenus, va être examiné en détail pour déterminer les responsabilités de chacun, conformément à un arrêt de mise en accusation daté du 13 septembre 2023.


Parmi les accusés, figurent deux des proches d'Abdoullakh Anzorov, Azim Epsirkhanov et Naim Boudaoud, devront répondre de faits qualifiés de complicité d'assassinat terroriste et encourent une peine de prison à perpétuité.
Agés respectivement de 23 et 22 ans, tous deux sont soupçonnés d'avoir accompagné le tueur de Samuel Paty, en l'accompagnant dans l'achat d'armes. Naim Boudaoud l'aurait, par ailleurs, déposé sur les lieux de l'attentat.

Brahim Chnina et Abdelhakim Sefrioui, âgés de 52 et 65 ans, et tous deux également détenus depuis les faits, auront à répondre à des accusations d'association de malfaiteurs terroriste.

Dans le détail, Abdoullakh Anzorov, qui n'était aucunement lié, ni à l'établissement, ni à Samuel Paty, a vraisemblablement eu connaissance des faits suite à la polémique engendrée par la diffusion d'une vidéo, devenue virale et diffusée par Brahim Chnina, l'un des parents d'une élève, dénonçant la démarche du professeur d'histoire-géographie.


Ce dernier, alerté par sa fille (dont l'enquête démontrera par la suite qu'elle n'était, en fait, pas présente au cours), est alors soutenu par le militant associatif Abdelhakim Sefroui, qui publiera, le 11 octobre, une autre vidéo qualifiant Samuel Paty de
"voyou".

Leurs vidéos génèrent de très nombreux commentaires, et le nom de l'enseignant ainsi que celui de son établissement sont finalement divulgués, permettant à Abdoullakh Anzorov de l'identifier, le localiser, avant de se rendre sur les lieux pour le décapiter.


Yusuf Cinar, Ismaïl Gamaev, et Louqmane Ingar, tous trois âges de 22 ans et membres de divers groupes Snapchat auxquels participait Abdoullakh Anzorov, sont mis en cause pour lui avoir apporté un soutien idéologique.


Le premier a notamment diffusé le message de revendication de l'attentat ainsi que la photo de Samuel Paty décapité, le second est accusé d'avoir conforté son procès d'assassinat et d'avoir publié des messages de satisfaction après l'annonce de la décapitation de Samuel Paty. Le troisième, également âgé de 22 ans, comparait libre mais sous contrôle judiciaire pour avoir participé aux groupes Snapchat et évoquait un éventuel départ vers des zones de guerre pour y rejoindre une organisation terroriste.


Priscilla Mangel, la seule femme à comparaître devant la Cour d'Assises spéciale, est pour sa part âgée de 36 ans. Il lui est reproché d'avoir longuement et régulièrement échangé avec le terroriste en le confortant dans son projet.


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