Mars 2021, le Sénégal fait face à des émeutes suite à l’arrestation de l’opposant charismatique anti-système Ousmane Sonko. Plusieurs enseignes françaises comme Total et Auchan sont prises pour cible. Les manifestants reprochant à la France son soutien au Président Macky Sall désireux selon eux, d’éliminer Ousmane Sonko de la prochaine élection présidentielle de 2024. Au Mali, au Burkina Faso et au Niger, les mêmes scènes, plus intenses encore, sont notées lors de coups d’Etat militaires, évinçant du pouvoir des Présidents, perçus comme étant garants des intérêts de la France et moins de leur peuple. Les ambassades françaises sont prises pour cible et deviennent, à défaut d’être saccagées, des points de rassemblement pour dénoncer, non la France, mais la politique française en Afrique. Derrière ces manifestations, se cache un profond malaise qui se nourrit d’histoire coloniale mais surtout d’une mutation sociologique et sociopolitique sur le continent.
Le paysage sociopolitique africain a considérablement changé. Jadis, si la réflexion politique appartenait exclusivement à une certaine élite, aujourd’hui, les choses semblent avoir changé. Il y a un accès considérable à la connaissance, aux détails de l’histoire, mais surtout une restitution de la pensée des figures de contestation qui ont jalonné les murs de l’histoire de l’Afrique. Si l’information et le contrôle de l’information étaient aussi destinés à un cercle restreint, les nouvelles technologies, les réseaux sociaux en tête de peloton, ont changé le paysage médiatique et sociopolitique de l’Afrique. Ces facteurs couplés, l’Africain se situe parfaitement au carrefour de la libéralisation de l’information et de l’invocation de l’histoire pour déterminer désormais son futur. Cela, certaines puissances aux politiques impérialistes caduques, semblent ne pas encore l’avoir pris en compte.
Et pourtant, les arguments ne manquent pas pour comprendre le choix de la jeunesse africaine, de questionner les relations franco-africaines. Le Franc CFA, monnaie coloniale utilisée encore par 15 pays, est perçu comme un instrument économique de soumission, ne privilégiant que les entreprises françaises en Afrique. L’interventionnisme français, précisément en Côte d’Ivoire, en Libye, son rôle au Rwanda, sont des épisodes de l’histoire qui ont fini de placer la France sur un piédestal de l’impérialisme. La présence militaire française en Afrique, qui manque de discrétion et d’efficacité dans la lutte contre l’insécurité et les groupes armées, ne penche pas en faveur du Quai d’Orsay. Le soutien visible de la France aux leaders impopulaires comme Ouattara et Macky Sall, le silence de Paris même sur les dérives autoritaires de ce dernier depuis plusieurs années au Sénégal (jadis ilot de stabilité et de démocratie), continuent de mettre les projecteurs sur une FrançAfrique à laquelle il faut nécessairement mettre fin.
C’est une puissance dont le soft power sur le continent n’a plus d’effet. La France renvoie une mauvaise image en Afrique, qui rend sa politique encore plus impopulaire qu’auparavant. En 2020, un sondage réalisé par l’Ichikowitz Family Foundation, un organisme sud-africain, auprès de jeunes de plusieurs pays, indiquait que 71 % des Gabonais, 68 % des Sénégalais, 60 % des Maliens et 58 % des Togolais avaient une mauvaise opinion de la France.
Mais il ne faut pas s’y tromper : l’hostilité vis-à-vis de la France est une conséquence d’une quête d’une véritable souveraineté incarnée désormais par la jeunesse africaine. La Russie est souvent visualisée comme une nouvelle alternative, un nouveau partenaire, surtout dans le cadre sécuritaire. Mais loin d’être considéré comme "un nouveau maître" comme semblent l’évoquer certains intellectuels pro-Paris, il y a une instrumentalisation de la Russie dans les combats politiques que mènent les Africains. Les drapeaux russes brandis lors de manifestation au Mali, au Burkina ou plus récemment, au Niger, ne sont pas juste un appel à une coopération équilibrée avec Moscou, mais surtout une provocation de l’occident. La population africaine est devenue éminemment politique et quiconque veut analyser ses choix, doit comprendre qu’elle maîtrise désormais tous les compartiments de sa géopolitique. Ce qui est arrivé à la France en Afrique, pourrait arriver à la Russie ou à la Chine dans quelques années, si leur politique africaine basculait dans un impérialisme inutile.