L'Iran a-t-il abandonné le Hezbollah ?

David Bizet
11:561/10/2024, mardi
Yeni Şafak
Des Iraniens déposent des fleurs sous une affiche représentant le leader du Hezbollah, Hassan Nasrallah, tué lors d'une frappe aérienne israélienne sur les banlieues sud de Beyrouth le 27 septembre, lors d'une manifestation anti-Israël sur la place de la Palestine à Téhéran le 30 septembre 2024.
Crédit Photo : ATTA KENARE / AFP
Des Iraniens déposent des fleurs sous une affiche représentant le leader du Hezbollah, Hassan Nasrallah, tué lors d'une frappe aérienne israélienne sur les banlieues sud de Beyrouth le 27 septembre, lors d'une manifestation anti-Israël sur la place de la Palestine à Téhéran le 30 septembre 2024.

Israël a mené une série d’assassinats ciblés contre le Hezbollah, éliminant plusieurs de ses chefs, dont Hassan Nasrallah. L'Iran, malgré son alliance avec le mouvement libanais, n'a pas réagi, alimentant les soupçons de trahison.

Depuis des décennies, Israël et ses alliés tentent de déstabiliser le Hezbollah, sans succès. Pourtant, en l’espace de quelques semaines, Israël réussit des opérations militaires d’une précision déconcertante contre le Hezbollah, sans aucune riposte de l’Iran, son allié de longue date. Une série d’assassinats décime le mouvement libanais, dont son leader emblématique, Hassan Nasrallah, et Téhéran semble regarder ailleurs.


L'attaque aux bipeurs


La première attaque israélienne, les 18 et 19 septembre, a neutralisé plusieurs milliers de membres du Hezbollah à travers un ciblage des communications.
Une série d'explosions d'appareils de communication a frappé plusieurs régions du Liban entre mardi et mercredi, provoquant la mort de 37 personnes et blessant 3 539 autres.

La première vague d'explosions, liée à des bipeurs, a tué 12 personnes, tandis que la seconde, impliquant des talkies-walkies, a causé 25 décès supplémentaires.


Parmi les blessés, 226 sont toujours hospitalisés, dont certains dans un état critique. Plus de 500 personnes ont été gravement blessées aux yeux, avec environ 300 ayant perdu la vue. L'aviation civile a interdit le transport de ces dispositifs à l'aéroport de Beyrouth.



Elimination des chefs militaires du Hezbollah


Le lendemain de cette attaque, le 20 septembre, l'armée israélienne annonçait dans un communiqué l'élimination du commandement de la force Radwan, unité d'élite du Hezbollah. Le communiqué précisait que
"des avions ont mené une frappe ciblée, basée sur des renseignements, dans la région de Beyrouth, et ont éliminé Ibrahim Aqil, le chef de l'unité des opérations du Hezbollah et le commandant de la force d'élite Al-Radwan du Hezbollah".

"Au cours de la frappe, des agents supérieurs de l'état-major des opérations du Hezbollah et des commandants de l'unité Al-Radwan ont été éliminés aux côtés d'Aqil"
, ajoutait le communiqué.


Jusqu'au 27 septembre, l'élimination du commandement du Hezbollah par les forces israéliennes s'est poursuivie sans relâche et avec une facilité déconcertante: Assassinat du chef de la section roquette, suivi de l'élimination du commandant de la zone sud.

Enfin le 27 septembre, Hassan Nasrallah, l'insaisissable leader du mouvement libanais était frappé, lui et son commandement réuni pour une réunion secrète, dans un bunker enterré plusieurs étages sous terre.



Tous les alliés de Téhéran frappés


Avec la disparition de Nasrallah, on aurait pu penser qu'Israël allait s'arrêter là. Il n'en fut rien. Israël a frappé dans les jours qui suivent la mort du leader du Hezbollah les alliés de Téhéran en Syrie, en Irak et au Yémen.


En Syrie, le 27 septembre, une série de frappes a été signalée ciblant des sites militaires, avec un bilan de 14 morts. Le 29 septembre, des frappes israéliennes ont touché le centre du pays, faisant 5 morts et 19 blessés. Enfin, le 1er octobre, au moins 3 personnes ont été tuées et 9 autres blessées par des frappes aériennes visant plusieurs sites à Damas.

En Irak, le 28 et 29 septembre, des frappes israéliennes ont été menées contre des positions de groupes armés en Irak, en réponse à des attaques réciproques. Le bilan des frappes n'est pas encore précisé, mais des tensions croissantes ont été rapportées.


Au Yémen, des frappes ont été signalées sur les ports de Ras Issa et Hodeida le 28 septembre, lesquelles ont fait 4 morts. Deux jours plus tard, le 30 septembre, Israël a mené des frappes sur la ville portuaire de Hodeida, contrôlée par les rebelles houthis, causant plusieurs morts.


Ces événements illustrent l'escalade des tensions dans la région, mais également le silence de Téhéran.


"Nasrallah, ceux qui t'ont acheté t'ont vendu"


Malgré cette hécatombe, l’Iran, habituellement prompt à réagir, reste sur la réserve. Les observateurs s’interrogent: pourquoi l’Iran n’a-t-il pas riposté, ne serait-ce qu’à travers des frappes de drones ? La réponse pourrait être plus alarmante que prévue: selon des sources sécuritaires libanaises citées par Le Monde, une taupe iranienne aurait transmis aux Israéliens les informations clés ayant permis ces attaques.


Une accusation que semblerait corroborer une vidéo diffusée deux jours avant le décès de Nasrallah par la chaine Al Arabiya, montrant le Dr. Mohammad Ali Al-Husseini, secrétaire général du Conseil islamique arabe au Liban et figure emblématique du chiisme, avertir le leader du Hezbollah par ces mots:


Réunis ta famille, écris ton testament, car celui qui t'a acheté t'a aujourd'hui vendu. Tu es devenu la cible à abattre, écris ton testament.

"Réunis ta famille et écris ton testament. Celui qui t'as acheté t'a vendu aujourd'hui"

Le manque de réaction de la part de Téhéran, la simultanéité des évènements, les déclarations d'Al-Husseini et des sources sécuritaires libanaises alimentent la théorie d'une
"trahison"
. Certains accusent l’Iran d’avoir "vendu" le Hezbollah, après avoir vendu le Hamas auparavant.

Le prix de la diplomatie iranienne


L’Iran, en proie à des tensions internes et externes, semblerait donc avoir adopté une stratégie de repli face aux enjeux régionaux. Mais à quel prix ? L’abandon du Hezbollah pourrait marquer un tournant dans la lutte d’influence au Moyen-Orient, et signaler un changement de cap dans les relations entre la République islamique et ses alliés régionaux.


Sur tous ses canaux officiels, l'Iran avait promis une
"réponse"
aux agissements israéliens contre ses alliés, notamment l'assassinat sur son sol du leader du Hamas, Ismail Haniyeh, tué lors d'un attentat à Téhéran le 31 juillet 2024.

Puis, la diplomatie iranienne avait adouci le ton, laissant entendre que la riposte se ferait en temps voulu, dans un contexte où ses proxys moyen-orientaux se faisaient pilonner par l'armée israélienne pendant que la communauté internationale l'appelait à la
"désescalade"
.


Le 30 septembre, le nouveau président iranien, Masoud Pezeshkian, a apporté des éclaircissements sur les coulisses de cette désescalade. Pezeshkian a confirmé que l'absence de représailles iraniennes était conditionnée à une désescalade côté israélien.


Selon Pezeshkian, ces dirigeants avaient promis ce cessez-le-feu en échange de la non-réaction de l'Iran à l'assassinat d'Ismail Haniyeh, chef du bureau politique du Hamas, mais n'ont pas tenu parole.

Il a dénoncé ces promesses comme mensongères, affirmant que cela ne ferait qu'encourager Israël à commettre davantage de crimes. Cette situation a déclenché des manifestations en Iran, où des citoyens demandent une réponse claire des autorités.


Un jeu géopolitique complexe est en train de se mettre en place. En attendant, comme toujours, ce seront les peuples libanais et palestinien qui en subiront les conséquences.


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