Ommic, fleuron français de semi-conducteurs pour l'industrie des télécommunications et le domaine spatial, a été progressivement pris en main par Ruodan Z., Chinois de 63 ans, qui en est devenu président en 2018 après avoir racheté 94% des parts via un fonds d'investissement créé en France, selon le quotidien Le Parisien qui a révélé l'affaire.
Selon des documents consultés par l'AFP, Ruodan Z. a pris des participations dans diverses entreprises du secteur, jusqu'à susciter, d'après un article d'Intelligence Online de 2021, l'inquiétude de l'État français.
Domicilié en Chine, il serait recherché par la justice française qui ne l'a pas inculpé pour l'heure.
Marc R., le directeur général, ainsi qu'une cadre chinoise de la société, ont été inculpés pour livraison à une puissance étrangère de procédés, documents ou fichiers de nature à porter atteinte aux intérêts fondamentaux de la France, un crime passible de quinze ans de détention et de 225.000 euros d'amende.
D'après le quotidien, la justice soupçonne Marc R. d'avoir
"mis en place de nombreux stratagèmes de contournement pour livrer sciemment des puces puissantes et informations sur des technologies sensibles à la Chine et la Russie"
, sous la direction de Ruodan Z.
Ciblée, la maîtrise par Ommic du nitrure de gallium, un matériau qui permet une puissance démultipliée des semi-conducteurs.
D'après un document de l'Agence d'innovation de la défense du ministère français des Armées de 2021, développer une telle technologie est un
"enjeu stratégique pour la défense".
Mais d'après Le Parisien, ces opérations auraient également abouti, via un
, à
"transférer du matériel prohibé vers Moscou et contourner l'embargo commercial qui vise le pays depuis l'invasion de la Crimée, en passant par la Chine"
.
Ces secrets industriels,
"en bout de chaîne, ont très probablement servi à équiper les armées"
de Pékin et Moscou, s'inquiète le journal.
Initialement placé en détention en provisoire, Marc R. a été remis en liberté sous contrôle judiciaire par la cour d'appel de Paris, d'après la source judiciaire.
Les trois autres personnes inculpées sont sous contrôle judiciaire également, de même source.
Cinq autres personnes ont été arrêtées par les services de renseignement de sécurité intérieur français (DGSI) en mars, d'après Le Parisien, ce que n'ont pas confirmé les différentes sources interrogées par l'AFP.
Le quotidien affirme que les premiers soupçons sont apparus lors d'un contrôle douanier, début 2021, qui a donné lieu à l'ouverture d'une enquête préliminaire par le Parquet national antiterroriste (Pnat) en novembre 2022, confiée à la DGSI et à l'Office central pour la répression de la grande délinquance financière (OCRGDF).
D'importantes saisies pénales ont été opérées, d'après la source judiciaire.
Selon Le Parisien, il s'agit notamment de parts sociales de l'entreprise, qui ont permis une reprise française de son contrôle, avant sa vente récente à l'américain Macom.
L'information judiciaire, ouverte à la demande du Pnat, porte également sur des soupçons d'exportations illégales en contrebande, d'association de malfaiteurs, de faux et usage de faux, d'abus de biens sociaux, d'après la source judiciaire.
En pleine guerre russo-ukrainienne, dans un contexte de vives tensions internationales et au moment où chaque pays accuse l'autre d'ingérences, cette affaire vient illustrer la lutte sourde entre puissances sur le terrain industriel.
Interrogé sur Sud Radio jeudi, le ministre français de l'Industrie Roland Lescure a
"interpellé tous les dirigeants de PME: soyez extrêmement prudents, on est dans le domaine des semi-conducteurs qui est un domaine stratégique"
.
Cette affaire
"montre que ce risque existe et que quand le gouvernement interpelle et alerte sur le risque d'espionnage industriel, ce n'est pas pour faire du James Bond, c'est la réalité aujourd'hui, la guerre économique existe, la France a les moyens de la remporter"
, a souligné le ministre.