"C'est un massacre, une extermination", témoignage bouleversant d'un médecin de retour de Gaza

13:5014/10/2024, lundi
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Un enfant palestinien déplacé de force en raison des bombardements de l'armée d'occupation israélienne, à Deir el-Balah dans le centre de la bande de Gaza, le 8 août 2024.
Crédit Photo : EYAD BABA / AFP
Un enfant palestinien déplacé de force en raison des bombardements de l'armée d'occupation israélienne, à Deir el-Balah dans le centre de la bande de Gaza, le 8 août 2024.

Le Dr Khaled Benboutrif, urgentiste à Toulouse, s'est rendu à Gaza à deux reprises en 2024 pour répondre à l'appel désespéré des populations civiles prises dans le conflit. Lors d'un entretien avec Anadolu, il a témoigné de l'horreur qu'il a observée sur place. Son récit, poignant, expose les conditions de vie déplorables des habitants et la complexité d'apporter une aide humanitaire efficace dans une région en proie à une guerre violente.

Une mission humanitaire d'urgence


Dès le début des combats, le 7 octobre 2023, le Dr Benboutrif a compris l'urgence de la situation.

"Dès que la guerre a commencé, j'ai vu qu'il y avait un grand nombre de victimes"
, explique-t-il. Très vite, il prend conscience de l'ampleur des besoins en soins médicaux dans la bande de Gaza, où les hôpitaux sont submergés par le nombre élevé de blessés. Médecin de carrière au SAMU, il décide de s'engager auprès d'une ONG américaine, Rahma, pour se rendre sur place en janvier 2024. Il témoigne:

On était les premiers à pouvoir entrer dans la bande de Gaza parce que tout était interdit, même aux ONG et aux journalistes.

Grâce à une autorisation spéciale d'Israël obtenue par Rahma, l'équipe médicale franchit le passage de Rafah, frontière entre l'Égypte et Gaza. Cette mission marque le début de son travail dans des conditions extrêmes.


Des hôpitaux saturés et une crise humanitaire sans précédent


Arrivé à Khan Younès, dans le sud de Gaza, le Dr Benboutrif s'installe à l'hôpital européen, un établissement de 300 lits. Mais dès les premiers jours, il est frappé par l'ampleur de la crise humanitaire.


L'hôpital accueillait 900 patients pour 300 lits.

"Et en plus de cela, 2500 à 3000 personnes déplacées occupaient les couloirs, les salles d'attente et même les abords de l'hôpital"
, explique-t-il, décrivant une situation invivable.

"C'était une ville dans l'hôpital, une situation inhabituelle, très difficile pour travailler, sans place pour circuler ni pour soigner correctement les blessés".

Le médecin souligne l'impact dévastateur des conditions sanitaires. Le manque d'eau potable et les infrastructures défaillantes ont provoqué une explosion d'épidémies.


"Il y avait une grande flambée d'hépatite, car l'eau n'était pas traitée. Nous avons aussi vu des cas de gale et de Covid, en plus des nombreux blessés par les combats"
, indique-t-il.

Les maladies chroniques n'étaient pas en reste:
"On voyait des diabétiques mourir par manque de traitement, des cardiaques sans soins, et des cancéreux privés de chimiothérapie après la destruction du seul centre d'oncologie".

Les enfants visés par les snipers israéliens


Le Dr Benboutrif décrit avec émotion la situation des civils, qu'il estime être les premières victimes de cette guerre.


"On avait beaucoup d'enfants et de personnes âgées, atteints par des tirs de snipers. C'était des tirs ciblés à la tête, ce n'étaient pas les explosions ni les bombardements.
Et de déclarer avec indignation:

On voyait des enfants touchés au front ou à la tempe.

Il estime que 30 % des patients soignés étaient des enfants, et un nombre équivalent de femmes et de personnes âgées.


Le médecin affirme n'avoir jamais traité de combattants durant ses missions:
"Je n'ai vu aucun combattant, ni même de tunnels prétendument utilisés par eux. Nous étions libres de circuler autour des hôpitaux, et il n'y avait pas de présence militaire de ce genre".

L'urgentiste se rappelle particulièrement d'une femme de trente ans, touchée à l'arrière de la tête par un sniper.
"Elle était comateuse mais encore réactive. Nous avons demandé à ce qu'elle soit réanimée, mais faute de moyens, cela a été refusé.
Mise sous perfusion,
"contre toute attente, quatre jours plus tard, elle a retrouvé la parole"
, raconte-t-il.

Ces exemples de civils touchés par des tirs intentionnels de soldats israéliens sont nombreux, selon lui. Et le médecin d'insister:


C'est un massacre délibéré de civils, ils sont visés sciemment.

Des infrastructures médicales sous la menace constante


En plus des tirs visant les civils, les hôpitaux eux-mêmes sont devenus des cibles. Le Dr Benboutrif explique que plusieurs établissements ont été bombardés, notamment lors de sa seconde mission en juillet 2024.
"J'ai travaillé dans trois hôpitaux: l'hôpital européen, l'hôpital Shuhada al-Aqsa et l'hôpital Kamal Adwane. Tous ont été bombardés à plusieurs reprises".

Ce jeudi 10 octobre, le personnel de l'hôpital Kamal Adwane a reçu l'ordre d'évacuer sous menace de bombardement.
"Le directeur a été personnellement menacé. Il devait évacuer les patients, peu importe leur état".
Alors que l'évacuation était en cours, l'équipe médicale a été prise sous les tirs d'un bombardement, les forçant à retourner à l'hôpital.

"C'est une situation invivable. Les hôpitaux sont pleins, les patients sont gravement blessés, et pourtant on nous oblige à partir sous la menace de la destruction",
dénonce le Dr Benboutrif.

Un appel à la mobilisation internationale


Devant l'ampleur de la catastrophe, l'urgentiste toulousain plaide pour une action immédiate de la communauté internationale.


"Nous avons lancé une initiative pour l'ouverture d'un corridor humanitaire à l'ouest, à la frontière égyptienne. Mais jusqu'à présent, il y a eu très peu de réponses"
, regrette-t-il.

Une pétition a été mise en ligne, adressée au Conseil de sécurité des Nations Unies et à ses membres, pour exiger une aide d'urgence pour les civils de Gaza.

Pour lui, l'inaction des puissances occidentales face à cette crise est inacceptable.
"Ce n'est pas une guerre, c'est un massacre, une extermination.
Le médecin affirme:

Les civils palestiniens se battent, non pas contre Israël, mais contre une coalition soutenue par l'Occident qui finance et arme l'armée israélienne.

Il estime que le soutien des puissances occidentales prolonge le conflit et perpétue l'occupation.
"L'humanité est sacrée, et il est immoral de laisser faire ça. On ne peut pas rester silencieux".

L'occupation: un problème mondial


Le Dr Benboutrif rappelle que le conflit israélo-palestinien est ancré dans une histoire de colonisation qui dépasse les frontières du Moyen-Orient.


"C'est une occupation coloniale qui persiste grâce au soutien militaire, logistique et financier de l'Occident"
, dit-il.
Pour lui, la situation à Gaza reflète une dynamique plus large de domination coloniale, où les puissances occidentales jouent un rôle clé en maintenant cette occupation.

Selon lui, le silence et l'indifférence de la communauté internationale face aux souffrances des Palestiniens témoignent d'un mépris de l'humanité.


"Les Palestiniens subissent des déplacements forcés, sont privés de tout, et le monde regarde en silence. Cela doit cesser"
, conclut-il avec force, avant d'appeler une nouvelle fois à une action internationale pour mettre fin à ce qu'il considère être une
"guerre d'occupation contre des civils".

Pour rappel, les violences israéliennes se poursuivent depuis un an dans la bande de Gaza, suite à une attaque transfrontalière du Hamas.
Plus de 42 000 Palestiniens, essentiellement des enfants et des femmes, ont été tués dans la guerre menée par Israël, et plus de 97 000 autres ont été blessées, selon des données du ministère de la Santé du gouvernement palestinien à Gaza.

Israël fait également face à des accusations de génocide devant la Cour internationale de Justice pour ses actions dans la bande de Gaza.


Par ailleurs, Tel-Aviv continue de mener des attaques meurtrières dans le sud du Liban, ainsi que sur la capitale Beyrouth, avec l'objectif affiché de lutter contre le Hezbollah.


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