Crédit Photo : Lillian SUWANRUMPHA / AFP
L'ancien premier ministre thaïlandais Thaksin Shinawatra salue ses partisans en compagnie de sa fille cadette Paetongtarn Shinawatra (à droite), surnommée "Ung Ing", la nouvelle Première ministre.
Le gouvernement de la nouvelle Première ministre Paetongtarn Shinawatra, héritière de la dynastie qui polarise la vie politique thaïlandaise depuis plus de 20 ans, a prêté serment vendredi, dernière étape officielle avant son entrée en fonction. Retour sur deux décennies de Shinawatra, entre triomphes électoraux, coups d'État, exil et trahison.
Qui sont les Shinawatra ?
Avant Paetongtarn Shinawatra, deux Premiers ministres ont porté le nom de Shinawatra : son père Thaksin (2001-2006) et sa tante Yingluck (2011-2014). Son oncle par alliance, Somchai Wongsawat, marié à la sœur de Thaksin, a aussi occupé le poste pendant deux mois en 2008.
En près d'un siècle de monarchie parlementaire en Thaïlande, aucune autre famille n'a autant occupé la scène politique que les Shinawatra; et personne d'autre n'a autant divisé le pays que son patriarche milliardaire, Thaksin. Le magnat des télécoms a marqué les années 2000 par son style décomplexé, alliant libéralisme et autoritarisme, qui lui valait dans la presse des comparaisons avec le dirigeant italien Silvio Berlusconi.
Il s'est attiré le soutien des classes rurales et défavorisées, touchées par la crise économique de 1997, via des politiques pionnières d'aides sociales. Ses adversaires, issus des élites traditionnelles proches du roi et de l'armée, lui reprochaient d'être populiste, affairiste et corrompu : en 2006, un an après une réélection triomphale, Thaksin a été éjecté du pouvoir par un coup d'État.
L'opposition entre le camp conservateur et les Shinawatra a fracturé la Thaïlande pendant les années suivantes, avec des épisodes de violences autour des années 2010, entre les
et les
fidèles à Thaksin. Yingluck Shinawatra est devenue Première ministre en 2011, mais sans terminer son mandat en raison d'un nouveau putsch des généraux, qui se maintiendront au pouvoir jusqu'en 2023 - une année charnière qui a ouvert la voie au retour aux affaires des Shinawatra.
Comment les Shinawatra ont-ils pu accéder de nouveau au pouvoir ?
Le gouvernement de Paetongtarn repose sur une coalition dominée par le parti familial Pheu Thai, allié à une dizaine d'autres formations, dont certaines réputées proches de l'armée - une union longtemps jugée impensable. Les deux camps rivaux se sont rapprochés en 2023, après un scrutin national qui a couronné les réformistes de Move Forward (MFP), un jeune parti, sur la promesse d'ouvrir un nouveau chapitre, sans les Shinawatra ni les généraux.
Pheu Thai, arrivé deuxième, a accepté de gouverner avec ses anciens adversaires, nettement battus, en écartant MFP, jugé trop radical sur les questions liées à la monarchie. L'émergence de MFP, qui existe aujourd'hui sous le nom de Parti du peuple depuis sa dissolution en août, représente
"la plus grande menace pour l'establishment"
, selon Khemthong Tonsakulrungruang, un analyste de l'université Chulalongkorn de Bangkok.
En échange, Thaksin Shinawatra aurait bénéficié de clémence pour rentrer en Thaïlande, après 15 années d'exil volontaire afin d'échapper à des condamnations pour corruption et abus de pouvoir, selon des analystes. De retour à Bangkok en août 2023, le milliardaire de 75 ans est aujourd'hui libre et actif, mais sous le coup d'accusations de lèse-majesté. L'arrivée au pouvoir de sa fille porterait sa griffe.
Quels sont les défis attendant Paetongtarn ?
Plus jeune Première ministre de l'histoire du pays, Paetongtarn, 38 ans, apporte par son profil un vent de fraîcheur à une scène politique dominée par des figures masculines et vieillissantes. Mais son inexpérience et le contexte économique morose font planer des doutes sur sa capacité à durer, dans un pays connu pour son instabilité politique.
"Il n'y aura pas de lune de miel pour Paetongtarn. Ce sera une tâche très, très difficile"
, explique l'analyste Virot Ali, de l'université Thammasat à Bangkok. Depuis la pandémie, l'économie thaïlandaise affiche des performances inférieures à celles de ses concurrents d'Asie du Sud-Est et peine à se montrer attractive pour les investisseurs. Le précédent gouvernement a essayé de promouvoir le tourisme, qui se porte mieux, mais n'a pas convaincu sur plusieurs de ses projets phares.
"Il n'est pas certain que Paetongtarn dispose de l'autonomie nécessaire pour renforcer sa position au pouvoir et sa légitimité"
, estime l'analyste politique Napon Jatusripitak, d'autant que son père aura tendance à lui faire de l'ombre, poursuit-il.
Les élites militaro-royalistes, historiquement hostiles à Thaksin, disposent aussi de moyens judiciaires pour empêcher l'action d'un gouvernement Shinawatra qui irait trop loin à leur goût, d'après l'expert Khemthong Tonsakulrungruang. Le prédécesseur de Paetongtarn, Srettha Thavisin, a été révoqué par la Cour constitutionnelle.
"Si Thaksin commet une erreur, ou si le gouvernement en commet une, il est très probable que la justice va examiner avec vigueur cette erreur et peut-être révoquer le gouvernement"
, pense l'analyste.
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