Pakistan-Iran: une brusque hausse des tensions dans une région déstabilisée

19:3818/01/2024, jeudi
MAJ: 18/01/2024, jeudi
AFP
Le président iranien Ebrahim Raisi (à droite) et le Premier ministre pakistanais Shahbaz Sharif se réunissent après une cérémonie d'inauguration d'un nouveau marché frontalier dans la ville frontalière de Pishin, dans le sud-est de l'Iran, le 18 mai 2023.
Crédit Photo : Présidence iranienne / AFP
Le président iranien Ebrahim Raisi (à droite) et le Premier ministre pakistanais Shahbaz Sharif se réunissent après une cérémonie d'inauguration d'un nouveau marché frontalier dans la ville frontalière de Pishin, dans le sud-est de l'Iran, le 18 mai 2023.

Les frappes aériennes par le Pakistan et l'Iran ciblant des groupes rebelles réfugiés sur le territoire du voisin marquent une brusque aggravation des frictions entre les deux voisins, à un moment où la région est déjà sous forte tension, constatent des analystes.

"Ce genre d'attaque n'a jamais été mené auparavant par aucun des deux camps"
, a déclaré à l'AFP Nausheen Wasi, professeure de relations internationales à l'université de Karachi.
"L'escalade doit être évitée"
.

Le Pakistan, doté de l'arme nucléaire, et son voisin occidental sont tous les deux confrontés depuis des décennies à des insurrections, le long de leur 1.000 km de frontière commune.

Téhéran a annoncé avoir frappé mardi soir sur le sol pakistanais le
"groupe terroriste"
Jaish al-Adl (Armée de la Justice en arabe). Jugeant cette attaque
"totalement inacceptable"
, le Pakistan a rappelé son ambassadeur en Iran et interdit de séjour l'ambassadeur iranien.

En réponse, le Pakistan a aussi visé jeudi matin des séparatistes pakistanais d'ethnie baloutche en territoire iranien.


L'attaque iranienne a causé la mort de deux enfants, selon Islamabad. Au moins neuf personnes, dont quatre enfants et trois femmes, ont été tuées par les frappes pakistanaises, d'après les médias d'Etat iraniens.


Les deux pays se sont mutuellement reproché de ne pas être capables de contrôler les groupes armés opérant depuis le territoire de l'autre.

Ces attaques surviennent au moment où le Proche-Orient est secoué par plusieurs crises, depuis qu'Israël a déclaré la guerre dans la bande de Gaza au mouvement islamiste palestinien Hamas, en réponse à son attaque sanglante du 7 octobre sur Israël.


"Lignes rouges"


Les rebelles Houthis du Yémen ont attaqué des navires de commerce en mer Rouge, et les forces israéliennes échangent quotidiennement des tirs avec le mouvement islamiste libanais pro-iranien Hezbollah à la frontière israélo-libanaise.

L'Iran a aussi procédé mardi à des tirs de missiles sur ce qu'il a qualifié de quartiers généraux d'
"espions"
et de cibles
"terroristes"
en Syrie et au Kurdistan irakien autonome.

L'Iran s'attend à ce que les tensions avec Israël
"s'accroissent"
alors que la guerre à Gaza devrait traîner en longueur, estime Sanam Vakil, du groupe de réflexion britannique Chatham House.

"Il place ces lignes rouges pour montrer directement à Israël ce à quoi il répliquera ou pas"
, ajoute-t-elle.
"L'Iran veut affermir sa position"
, approuve Mme Wasi.
"Les attaques sont un avertissement à la communauté internationale plutôt qu'au Pakistan."

La réponse pakistanaise a accentué les craintes d'un engrenage. Mais
"la conséquence de la nouvelle situation, c'est que les deux pays sont (maintenant) d'apparence et symboliquement quittes"
, juge Antoine Levesques, de l'International Institute for Strategic Studies (IISS). Il prédit:

Les risques d'une nouvelle escalade sont minimes et peut-être diminuent avec le temps.

Mme Vakil considère que la réponse pakistanaise
"semble assez modérée"
et copie la méthode de Téhéran qui a souligné ne cibler que des groupes iraniens opérant depuis l'étranger.

Elections au Pakistan


Les victimes de jeudi seraient ainsi de nationalité pakistanaise, a indiqué l'agence iranienne Fars sans citer de source.


"Il y a vraiment la place pour une désescalade ici"
, pense Mme Vakil.
"Ils pourraient trouver une solution qui permette (à chacun) de sauver la face."

Le Pakistan s'apprête à tenir des élections générales le 8 février, dont la toute puissante armée a déjà été accusée de chercher à orienter le résultat.


L'ancien Premier ministre, Imran Khan, homme politique le plus populaire du pays, est actuellement en détention et a été déclaré inéligible pour cinq ans, après s'en être pris à l'armée.

Un autre ancien Premier ministre, Nawaz Sharif, qui a déjà dirigé trois fois le pays, est considéré comme le favori du scrutin, les analystes estimant qu'il bénéficie du soutien des militaires.


Le Pakistan est aussi confronté à une forte hausse des attentats à la frontière avec l'Afghanistan et à une dégradation de ses relations avec les autorités talibanes à Kaboul.

"Ne négligez pas le coup de fouet politique que l'armée pourrait tirer de cette réplique contre l'Iran"
, a estimé Michael Kugelman, directeur de l'Institut d'Asie du Sud au Wilson Center de Washington.

"Sa répression à l'encontre d'Imran Khan et de son parti a attisé la colère du public à l'encontre de l'armée. Cette frappe de représailles pourrait avoir un effet de ralliement autour du drapeau, même s'il n'est que momentané"
, a-t-il écrit sur X (anciennement Twitter).

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