OPINION - Reuters et le piège de la désinformation

18:3627/06/2023, Salı
MAJ: 28/06/2023, Çarşamba
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Crédit photo: MARTIN BUREAU / AFP / ARCHIVE
Crédit photo: MARTIN BUREAU / AFP / ARCHIVE

Les questions d'éthique, de neutralité, de professionnalisme et d'exactitude du journalisme ont été bafouées par les médias internationaux et la couverture médiatique de la Türkiye et de sa dynamique politique au cours des dernières années.

L’exemple récent et frappant du faux reportage de Reuters mettant en avant des allégations non fondées selon lesquelles les autorités anti-corruption aux États-Unis et en Suède examinent une plainte affirmant que la filiale suédoise d'une société américaine avait promis de verser des dizaines de millions de dollars en pots-de-vin contre l’aide d’un fils du président de la Türkiye, Recep Tayyip Erdogan, et ce, pour s'assurer prétendument une position dominante sur le marché du pays.


C’est bien évident que les sujets exclusifs basés sur un effort d'enquête sont sans aucun doute un Graal pour chaque média dont le but est d’offrir des nouvelles uniques et précieuses à son public.

Cependant, de nombreuses agences de presse commettent une erreur fatale lorsqu'elles se rendent coupables, de manière intentionnellement ou accidentellement, de peu ou d’aucune vérification de base des affirmations qu'elles transmettent au public.


Au lieu de cela, ils s'appuient parfois simplement sur d'autres reportages médiatiques, qui eux-mêmes ne citent souvent que d'autres reportages médiatiques.

Le point d'origine de l'histoire de Reuters, une fois retracé à travers la chaîne complexe des liens, est basé sur une allégation d'un individu que l'auteur avait qualifiée de
"personne familière avec le sujet"
.

Sans aucun doute, cette méthode est journalistiquement et professionnellement non-valide, peu fiable ou non-précise. Au contraire, il ne s'agit que d'une faible allégation provenant d'une personne ou d'une entité.


C'est assez déroutant, ironique et paradoxal, à tel point que cela donne du mal à digérer; l’agence Reuters a déclaré explicitement et de manière provocante qu'elle n’a pas validé les allégations sur lesquelles elle a fondé toute l'histoire. C’est à se demander comment une agence de média internationale avec une expérience de 171 ans pourrait aussi légèrement mettre en péril sa réputation et sa crédibilité.


Parmi les autres défauts éthiques et structurels de ce type de journalisme mené par Reuters, le manque de vérification qui transforme les journalistes en cibles faciles pour les fraudeurs et autres individus en quête de crédibilité et de manipulation en incitant la presse à diffuser leurs fausses affirmations et sujets.

En Türkiye, l'organisation terroriste FETO est connue pour ce genre de tactique. Récemment, l'Allemagne a arrêté deux journalistes turcs travaillant pour le quotidien turc Sabah, suite à une plainte déposée par des membres de FETO.


Les journalistes ont ensuite été libérés, car il s'est avéré que FETO essayait tout simplement de diffamer le média.

Dans ce contexte, on peut difficilement percevoir la coïncidence, l'innocence ou la neutralité dans le reportage de Reuters. Fait intéressant, le sujet traité par Reuters apparaît à un moment sensible des relations bilatérales entre Ankara et Stockholm.


La Türkiye a bloqué la candidature de la Suède pour son adhésion à l'OTAN, accusant le pays nordique de fournir un refuge à des terroristes présumés, et assuré que la demande d'adhésion sera suspendue jusqu'à ce que la Suède prenne des mesures concrètes pour soutenir la lutte de la Türkiye contre le groupe terroriste PKK et que le gouvernement suédois accepte d'extrader rapidement les individus condamnés en Türkiye.


Le timing du reportage de Reuters n'est pas non plus une simple coïncidence, car il a fait son apparition quelques jours avant le sommet de l'OTAN en Lituanie, soulevant des questions sur les principaux acteurs de l'histoire : les entreprises américaines et suédoises et la
“personne informées du dossier“.

Reportage d'investigation et déontologie


Le reportage d'investigation exige d’accorder une attention particulière à l'objectivité et à l'équité. Chaque fois qu'un journaliste dépeint une personne ou une entité sous un jour négatif, il doit faire un réel effort pour obtenir une réponse de la partie concernée.


Dans ce sujet, Reuters -et cela peut sembler un peu ridicule pour une agence de presse bien établie- affirme ne pas avoir été en mesure de vérifier de manière indépendante si le président Erdogan et son fils Bilal étaient au courant ou impliqués dans l’affaire présumée de pots-de-vin.


Cela réduit le sujet à peine plus qu'un scénario imaginaire basé sur les allégations d'une personne et sur des notes de service et des courriels internes à l'entreprise.

En principe, chaque fois qu'un média a l'intention de publier des données, il doit commencer par des efforts diligents pour vérifier et valider l'intégrité de l'ensemble des données et explorer les moyens de rectifier toute inexactitude.


L'impartialité inclut l'exhaustivité, donc aucune histoire n'est juste si elle exclut ou néglige des faits d'importance majeure, ni ne peut être juste si elle induit en erreur ou trompe le lecteur.


Dans le reportage de Reuters, il s'avère finalement qu'aucun pot-de-vin n'a été payé et la société suédoise a brusquement abandonné le projet à la fin de l'année dernière, détruisant essentiellement la prémisse de toute l'histoire et sa narration.


Vérité ou contenu viral ?


À la fin de l’année 2016, les dictionnaires d'Oxford ont choisi le terme "post-vérité" comme mot de l'année, le définissant comme étant
"relatif à ou désignant des circonstances dans lesquelles des faits objectifs ont moins d'influence sur l'opinion publique que les appels à l'émotion et à l’opinion personnelle"
.

Les organes de presse et les agences sont appelés à jouer un rôle déterminant dans la diffusion d'informations précises et de qualité à leur public.


Mais cela est rendu plus difficile avec les embuscades tendues par les agendas personnels, les tromperies, la désinformation entre autres contenus erronés circulants sans relâche sur les plateformes d'information.


Les journalistes d'aujourd'hui devraient prêter serment d'engagement à passer au crible la masse d’informations produites pour séparer les faits tangibles de la fiction, et aider à diffuser des faits véridiques.

Leur objectif principal devrait être de vérifier et de diffuser des informations exactes, au lieu d’accorder la primauté au nombre de fréquentations ou à la popularité de leurs plateformes.


Malheureusement, la réalité est tout autre actuellement en ce qui concerne la façon dont les organes de presse traitent les allégations non fondées, les rumeurs en ligne et le contenu délibérément monté de toutes pièces.


Les mensonges se propagent beaucoup plus vite et vont plus loin que les vérités, et les agences de presse jouent un rôle dopant dans cet état de choses, en ne jouant pas leur rôle de démystification et d’examen des contenus.


Conventionnellement, il y a deux domaines principaux dans l'élaboration de l'agenda médiatique: rapporter l'actualité et, implicitement ou explicitement, guider le public sur ce qu'il faut penser de cette actualité.


La couverture médiatique envoie divers messages et interpelle le public sur l'importance d'un sujet particulier, tandis que le cadrage de l’actualité induit les personnes crédules à une certaine réponse.

L'histoire de Reuters vise apparemment, et sans équivoque, à dénigrer le président Erdogan et son fils, indépendamment de toutes les preuves solides qui réfutent et démystifient ces allégations sans fondement.


Vérifier l’information


Les médias professionnels conviennent à l'unanimité qu'un bouclier de protection est une nécessité inévitable pour vérifier l’information.


Avec la quantité illimitée d'informations disponibles, la vérification est une obligation éthique et professionnelle qui devrait se produire de manière automatique.


L'utilisation d'une gamme de termes de couverture et de formulations d'attribution -à l’instar des termes
“apparemment“
,
“allégations“,
“source anonyme“
, etc.- pour transmettre la nature non vérifiée de l'information n'est pas la méthode éthique et professionnelle.

La déferlante des “fakes news“ et la propagation des récits trafiqués en ligne constituent un sérieux défi pour les éditeurs et les plateformes d’information.

La question demeure de savoir si des méthodes fiables émergeront au cours de la prochaine décennie pour bloquer les faux récits et permettre aux informations les plus précises de prévaloir. Ou sommes-nous, au contraire, condamnés à subir la détérioration de la qualité et de la véracité des informations en ligne, en raison de la diffusion d'idées peu fiables, parfois même dangereuses et socialement déstabilisantes ?


Par Ahmet Alioglu, analyste politique.


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