La Suisse et son rôle méconnu dans le colonialisme

11:3116/09/2024, lundi
AFP
Hall de l'exposition sur le rôle de la Suisse dans le colonialisme, au musée national de Zurich, le 13 septembre 2024.
Crédit Photo : Musée national de Zurich /
Hall de l'exposition sur le rôle de la Suisse dans le colonialisme, au musée national de Zurich, le 13 septembre 2024.

Une exposition à Zurich dévoile l'implication méconnue de la Suisse dans l'expansion coloniale à travers le commerce, la science et les mercenaires.

La Suisse n'a jamais été une puissance coloniale. Pourtant, à travers ses négociants, mercenaires, anthropologues ou missionnaires, le pays alpin a contribué à l'expansion coloniale, suscitant de vifs débats sur la manière dont il doit se confronter à ce passé.


C'est ce que cherche à éclaircir une exposition à Zurich, qui se penche sur ce passé longtemps resté dans l'ombre. Les historiens tentent désormais de comprendre comment le pays en a, lui aussi, profité.


Intitulée "Colonialisme - une Suisse impliquée", l'exposition présente une série d'objets témoignant de cette participation aux côtés des grandes puissances coloniales européennes.


Elle montre notamment des toiles de coton du XVIIIe siècle, utilisées par les négociants suisses comme monnaie d'échange pour acheter des personnes réduites en esclavage, des sacs destinés au transport maritime de denrées comme le coton ou le cacao, ainsi que l'uniforme d'un officier enrôlé dans un régiment de mercenaires à la solde de la Compagnie néerlandaise des Indes orientales, puis de la Couronne britannique.

Parmi les objets présentés figurent également une collection de papillons constituée par un riche marchand dans une plantation de café à Cuba, ainsi que la casquette et le fouet d'un ressortissant suisse recruté comme fonctionnaire dans l'État indépendant du Congo au début du XXe siècle.


"C'est un thème difficile",
a déclaré Denise Tonella, la directrice du Musée national suisse.

"Il n'est pas facile de se confronter à un sujet peu flatteur"
, mais
"c'est une question importante pour la société d'aujourd'hui"
, a-t-elle ajouté.

"Depuis le mouvement Black Lives Matter, il y a beaucoup de débats sur le colonialisme et la Suisse",
explique-t-elle, précisant que l'objectif de l'exposition est de fournir des outils pour comprendre ces enjeux.

Dans le sillage des manifestations aux États-Unis en 2020, après la mort de George Floyd et le déboulonnage d'une statue d'esclavagiste à Bristol au Royaume-Uni, la ville de Neuchâtel a été secouée par une controverse autour de la statue de David de Pury, un banquier et négociant du XVIIIe siècle.

Longtemps considéré comme le bienfaiteur de Neuchâtel, sa ville natale à laquelle il avait fait de généreux dons, sa statue avait été aspergée de peinture rouge en 2020. Un collectif critiquant son implication dans le commerce triangulaire avait lancé une pétition pour qu'elle soit retirée.


Un compromis avait été trouvé, avec les autorités locales optant pour une plaque explicative et l'installation, juste à côté, d'une œuvre critique d'un artiste genevois représentant la statue à l'envers, la tête enfoncée dans le socle.


Théories justifiant la colonisation


"L'histoire n'intéresse pas de la même façon à toutes les époques"
, écrit le professeur bâlois Georg Kreis dans le catalogue de l'exposition, expliquant que ces questions sont longtemps restées
"dans l'ombre"
au niveau académique.

La Suisse, n'ayant pas eu de colonies, était perçue comme
"un cas particulier hors de l'histoire générale"
, un
"pays innocent"
, retrace cet historien. Mais
"l'intérêt pour le passé colonial a changé après le nouveau millénaire"
, précise-t-il.

Depuis une vingtaine d'années, les travaux universitaires se sont multipliés.

En s'appuyant sur ces recherches, le musée a voulu refléter toutes les facettes de cette implication coloniale, en commençant par le négoce des matières premières et la traite transatlantique, à laquelle la Suisse a participé par le biais d'immenses fortunes accumulées au XVIIIe siècle par des négociants, propriétaires de plantations où travaillaient des personnes réduites en esclavage.


L'exposition montre également que la Suisse a été impliquée d'autres manières, notamment avec les mercenaires recrutés pour réprimer des insurrections dans les empires coloniaux. Plus tard, des géologues ont participé à l'exploration pétrolière, et des naturalistes et anthropologues ont contribué aux théories raciales qui ont servi à justifier le colonialisme.


L'exposition rappelle qu'au début du XXe siècle, les universités de Genève et de Zurich étaient des centres réputés pour leurs travaux en anthropologie raciale, où les chercheurs mesuraient les crânes pour hiérarchiser les populations.


L'exposition se tient à Zurich du 13 septembre au 9 janvier.


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