Crédit Photo : LUIS TATO / AFP
Hafsa Omer fait jouer de vieilles cassettes contenant des chansons et des poèmes traditionnels du Somaliland pendant qu'elle numérise le contenu et l'ajoute à des archives numériques au Centre d'études africaines du Somaliland à Hargeisa, le 10 novembre 2024.
Dans la bibliothèque du Centre culturel d'Hargeisa, capitale du Somaliland, Hafsa Omer appuie sur le bouton "play" d'un petit lecteur cassette. Les notes d'un 'kaban', le luth somalien, résonnent, accompagnées par la voix d'une femme.
Les yeux rivés sur l'écran de son ordinateur portable, elle tape sur son clavier en balançant la tête au rythme de la mélodie pentatonique, caractéristique de cette région située au nord de la Corne de l'Afrique.
Depuis 2021, cette jeune femme de 21 ans mène un travail minutieux d'archivage et de numérisation d'un fonds de 14 000 cassettes.
Ces bandes, rachetées, retrouvées ou données, contiennent plus d'un demi-siècle de vie quotidienne, musicale, culturelle et politique du Somaliland,
ancienne Somalie britannique rattachée en 1960 à la Somalie, avant de proclamer son indépendance en 1991, indépendance toujours non reconnue à ce jour par la communauté internationale
.
"Beaucoup de gens ne considèrent pas ces choses comme importantes. Mais elles contiennent toute l'histoire de mon pays, toute l'histoire de mon peuple",
résume Hafsa Omer:
Mon peuple n'écrit pas, ne lit pas. Tout ce qu'il fait, c'est parler.
Peuple de bergers nomades, les Somali sont porteurs d'une riche culture orale. Le Somaliland a été un haut lieu de création musicale et un berceau de la poésie, un art essentiel dans cette région, façonnant même les débats politiques.
Radio Hargeisa, la radio publique, possède également un fonds de plus de 5 000 bobines et cassettes d’émissions et de groupes musicaux enregistrés depuis sa création en 1943.
Cependant, les dizaines de milliers d'heures d'enregistrements collectés par le centre culturel d'Hargeisa relatent une histoire plus officieuse: morceaux de
des années 1970, répétitions théâtrales d'une époque où le Théâtre national existait encore, ou encore récits intimes d'anonymes.
Avec l’arrivée des magnétophones portatifs dans les années 1970-80, les Somalilandais avaient pris l'habitude d'envoyer des cassettes audio à leurs proches en exil. Ils y décrivaient des nouvelles familiales, les événements locaux ou encore la dure réalité de la guerre d'indépendance (1981-1991) contre le régime militaire de Siad Barre, dont les bombardements ont détruit 70 % d'Hargeisa en 1988.
"On trouve aussi des cassettes enregistrées clandestinement, où des hommes réunis mâchent du khat et discutent de politique. Ils ne pouvaient pas s'exprimer librement en public sous la dictature",
explique Jama Musse Jama, directeur du centre culturel d'Hargeisa.
Ces bandes révèlent
"tout ce qui n’apparaît pas dans l’enregistrement officiel de l’État, ce qui se passait dans les rues et les maisons".
Ces cassettes révèlent également l'impact des changements climatiques.
"En écoutant des chansons, j’ai réalisé combien d’arbres ont disparu, combien de fruits et d’espèces animales ont disparu au Somaliland",
témoigne Hafsa Omer.
Avec seulement
"4 690 cassettes cataloguées" et "1 103 numérisées",
le travail reste immense pour Hafsa et son équipe de quatre collaborateurs. Mais cette mission dépasse l’archivage : elle devient un acte de reconnaissance pour un
en quête de légitimité depuis plus de trois décennies.
"Cela permet de répondre à ceux qui disent que le Somaliland n'existe pas",
souligne Jama Musse Jama, qui souhaite aussi transmettre cette mémoire à la jeune génération.
"Connaissent-ils le Somaliland ? Nous devons leur fournir des connaissances de base, une identité. Le Somaliland n’est pas né en 1991. Il y a des pans d’histoire que nous avons partagés avec l’ancienne Somalie italienne, et d'autres qui nous sont propres. Ces récits, qui fondent l’identité du peuple somalilandais, sont préservés dans ces enregistrements".
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